Salle des fetes de Crepol, ou le jeune Thomas a ete tue, 27 novembre 2023

Récupération politique du meurtre de Thomas : « Le problème, c’est de plaquer sur une réalité compliquée des grilles de lecture un peu binaire », estime Bruno Cautrès

La récupération d’événements ou faits divers « est une constante » de la politique, rappelle Bruno Cautrès, politologue au Cevipof de Sciences Po. Il souligne que les élus sont soumis à « un paradoxe » entre le risque de « réagir trop vite », sans connaître les dossiers, et la nécessitée, liée à « une pression médiatique », de réagir aux événements.
François Vignal

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Alors que les réactions se déchaînent après le meurtre de Thomas à Crépol, puis l’action de l’extrême droite à Roman-sur-Isère, Bruno Cautrès souligne que les politiques devraient suivre une plus grande « prudence » face à ce type d’événement, où les médias jouent aussi un rôle. « Les politiques se précipitent vers les micros, mais il y a des gens qui leur tendent », relève le politologue de Sciences Po. Entretien.

Après le meurtre du jeune Thomas à Crépol, les réactions politiques se sont multipliées, notamment à droite et à l’extrême droite. Le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, a dénoncé une « instrumentalisation ». La récupération politique de faits divers est-elle constante ou s’est-elle accélérée ?

Ça a toujours existé. En tout cas, depuis les dernières décennies, c’est une constante qui est plus généralement liée au rapport du monde politique à l’actualité. Avec un paradoxe qui explique un peu la situation : d’un côté, si le politique réagit trop vite, il se met régulièrement en porte-à-faux, en ayant parlé sans connaître le dossier. En même, temps, s’il ne dit rien, si personne ne dit rien, ce n’est pas normal. On ne s’en sort pas. Il y a cette contradiction qui est là, qui devrait amener le politique à parler mais avec beaucoup de prudence, tant que l’enquête n’a pas connu ses vrais développements. Le vrai problème, c’est de plaquer sur une réalité compliquée des grilles de lecture un peu binaire.

Il y a-t-il aussi une pression médiatique, qui pousse les politiques à réagir ?

Oui, la pression est aussi médiatique. Certes les politiques se précipitent vers les micros, mais il y a des gens qui leur tendent. Mais les politiques devraient toujours attendre le point d’information fait par le procureur de la République pour parler ensuite en connaissance de cause. C’est là que le bât blesse. C’est plus ça, que le fait qu’un politique veuille réagir. Le politique est dans sa fonction de donner son analyse de la situation. La question, c’est à partir de quelles données et quel recul.

Une difficulté ne vient-elle pas du fait que certains événements ne sont pas de portée générale, restent anecdotiques, quand d’autres peuvent dire quelque chose de la société ?

Normalement, les partis politiques sont dans leur rôle, en prenant du recul et en répondant par leur programme, en expliquant le sens qui doit être donné à des événements. Après, il faut toujours être prudent quand on dit qu’il y a un accroissement de la violence, de phénomènes comme ça. Tout dépend les données sur lesquelles on se trouve, depuis quand on les prend en compte. Le politique est tout à fait dans son rôle d’émettre un commentaire et d’émettre des analyses. Le problème est davantage la manière et la prise de recul, il faut être toujours extrêmement prudent.

L’action ce week-end de militants d’extrême droite, à Roman-sur-Isère, a été dénoncée par la gauche – Jean-Luc Mélenchon parle de « milice », Olivier Faure de « ratonnade » – ou du côté de la majorité présidentielle par Aurore Bergé, mais rien en revanche de la part d’Eric Ciotti, président des LR. La récupération politique est-elle à géométrie variable ?

Oui, c’est là aussi un classique. Que les partis de la majorité présidentielle veuillent évidemment qualifier de récupération ce que disent les partis de l’opposition, on est dans une figure de style classique de la politique. Quand la droite parle de phénomènes d’insécurité, de violences, elle critique directement l’action du gouvernement. Et les membres de la majorité diront que le danger, c’est l’extrême droitisation de la société, la récupération par la droite.

Parfois, la récupération va au-delà de la réaction sous le coup de l’émotion et peut déboucher sur une loi. On l’a déjà vu, suite à plusieurs faits divers…

Oui, parfois les faits divers débouchent sur une loi. On a eu un certain nombre d’expériences pas très heureuses. Ça a été régulièrement le cas sous Nicolas Sarkozy. Là aussi, il faut que l’action publique, comme le commentaire politique, prennent le temps. S’il y a plusieurs événements qui sont venus souligner qu’il y avait un problème plus structurel, la loi est dans son rôle pour colmater des brèches dans l’action publique.

Après, qu’il y ait une réaction du législateur, quand un événement choque beaucoup l’opinion, tout dépend comment c’est fait, si le législateur prend comme première décision de conduire une investigation indépendante, voit quelles sont les politiques publiques qui doivent normalement répondre et qui existent, qui est responsable. Il s’agit de rendre compte auprès de l’opinion publique que la sphère publique agit. Et agir, ce n’est pas forcément faire une loi, c’est aussi montrer qu’on réfléchit au problème.

Mais faire des annonces dès qu’un fait divers survient, ça ne sert à rien, c’est même contreproductif. Par contre, une commission d’enquête parlementaire, sérieuse, exigeante, dont les débats sont retransmis, ça peut intéresser et répondre à la légitime interrogation et savoir si oui ou non, il y a une augmentation de la criminalité qui choque l’opinion.

Après, les partis politiques s’adressent à leurs différentes clientèles, leurs électeurs. C’est légitime. C’est le rôle qu’on attend d’eux, mais avec une exigence, pour rendre compte de la complexité de la réalité, refuser les raisonnements parfois trop rapides et simplificateurs. Ce qu’il faut éviter, c’est de donner le sentiment de « circulez, il n’y a rien à voir », que tout va bien, mais aussi de donner le sentiment que le pays est face à l’apocalypse. Car je pense que l’assassinat d’un jeune de 16 ans, dans ces conditions, est un événement qui marque le pays en profondeur.

Les réseaux sociaux exacerbent-ils cette tendance à la récupération ?

Ce qui est certains, c’est que les réseaux sociaux confortent chacun dans son point de vue. C’est la polarisation affective. C’est-à-dire qu’on est les uns, les autres, dans des boucles d’information, suggérées par algorithme, ou qui apparaissent à nous sur Google, qui sont le reflet de l’historique de nos recherches. Cela fige les gens dans une représentation un peu binaire. Après, j’essaie toujours d’échapper à l’idée très à la mode que c’est la faute aux réseaux sociaux. C’est une chose, mais il y a surtout ceux qui les regardent. On pourrait dire la même chose sur les chaînes d’information en continu. C’est vrai qu’elles vont donner un écho très important à ces événements. Le problème n’est pas tellement qu’elles jouent ce rôle-là. Le problème est qu’elles ne font que ça exclusivement pendant des jours, et que nous, nous les regardons.

Il est bon que l’espace public, les réseaux sociaux, les chaînes infos, donnent à voir le monde dans lequel nous vivons. S’il y a des événements dramatiques, qu’ils en parlent évidemment. Mais s’ils développent un point de vu biaisé, ou si jamais ils consacraient exclusivement une couverture à cela, c’est sûr qu’ils ne rendent pas compte de la complexité du monde, alors qu’il y a beaucoup de choses formidables qui se passe en termes de capacité à vivre ensemble. Le danger, c’est de laisser croire qu’on vit dans une sorte d’apocalypse criminogène.

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