Réduction du nombre de parlementaires : l’heure des interrogations et des doutes chez LREM

Réduction du nombre de parlementaires : l’heure des interrogations et des doutes chez LREM

La volonté d’Emmanuel Macron de réduire d’un tiers le nombre de députés et sénateurs questionne aujourd’hui dans les deux groupes de la République en marche. Le doute s’immisce, à l’heure où des citoyens alertent sur le risque d’une coupure avec leurs représentants.
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C’est l’histoire d’une promesse mouvementée. La réforme institutionnelle a été ajournée à deux reprises. Télescopée par l’éclatement de l’affaire Benalla, elle l’a été une première fois cet été. Son examen à l’Assemblée nationale, qui devait reprendre au début de l’année, a été encore repoussé après l’irruption du mouvement des Gilets jaunes. L’un des totems de cette réforme reste toujours en suspens : celle d’une réduction d’un tiers du nombre de députés et de sénateurs.

Le manque de relais locaux dans les territoires a probablement précipité l’expression d’une colère dans les différents territoires du pays. Aujourd’hui, certains parlementaires de la majorité craignent que la réduction des effectifs du Parlement éloigne les citoyens de leurs représentants nationaux. La question a d’ailleurs été abordée cette semaine en réunion de groupe des députés La République en marche. Des doutes se sont exprimés. « Plus le temps passe et plus je trouve que c’est une connerie populiste », commente une députée au journal Libération.

« Ce n’est pas la bonne réponse », nous explique un député LREM

Un an et neuf mois ont passé depuis les législatives, et certains nouveaux députés voient désormais cet engagement présidentiel avec un œil nouveau. Xavier Paluszkiewicz, député LREM de Meurthe-et-Moselle depuis la vague de 2017, nous explique qu’il s’est « beaucoup questionné » sur cette proposition. Engagé dans un groupe de travail sur la réforme institutionnelle l’an dernier, il se dit aujourd’hui « réfractaire » sur ce point. « Cela répond en effet à une demande des Français, mais je suis convaincu que ce n’est pas la bonne réponse […] Qu’est-ce que ça pourra amener de plus quand on aura 404 députés et pas 577 ? Quand je vois le nombre de sujets que nous avons à traiter, si on se retrouve avec moins de parlementaires, je ne suis pas sûr que l’on y répondra. »

« Avec moins de parlementaires, la somme de travail serait invivable. Aujourd'hui, on parvient à peine à assumer toutes nos tâches », confiait le mathématicien Cédric Villani au Point à la mi-février. L’élu de l’Essonne ajoutait : « Moins de députés, ce n'est pas forcément plus de démocratie. » Le débat est ouvert au sein de la majorité.

Au sein du groupe LREM du Sénat, les avis sont aussi mitigés. Martin Lévrier, élu aux sénatoriales de septembre 2017 dans les Yvelines, se dit un peu « dubitatif », voire inquiet devant l’élargissement des circonscriptions législatives. « Étant le seul sénateur LREM pour tout un département, je me rends compte du travail de terrain à faire que je ne peux pas partager. »

« Il y a un consensus pour qu’il y ait moins de députés, sauf là où on habite », constate Richard Ferrand dans les salles du Grand débat national

La réduction de 30% pourrait même être aggravée par l’introduction d’une dose de proportionnelle (annoncée à 15%) à l’Assemblée nationale, et l’arrivée de députés sans attache locale. Autrement dit, le nombre de circonscriptions législatives pourrait être divisé par deux.

La perte de liens avec les parlementaires est aussi évoquée dans les réunions publiques. Interrogé par la presse parlementaire, Richard Ferrand, le président de l’Assemblée nationale raconte avoir été confronté, en assistant à des ateliers du Grand débat national, à des « injonctions paradoxales ». « Il y a un certain consensus dans les salles pour dire : il y a trop de députés. Et lorsque vous dites, par exemple, dans le Finistère, au lieu de 8 députés, qu'il y en aurait 4, là, la salle est beaucoup moins favorable. Les gens disent : on ne vous verra plus, on ne pourra pas aller à votre permanence... »

« Il y a un consensus pour qu’il y ait moins de députés, sauf là on habite », constate Ferrand
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Une mesure plébiscitée dans le cadre du Grand débat national

C’est également ce que Public Sénat a constaté sur le terrain, en se rendant à des réunions publiques ces dernières semaines. « Il n’y a pas trop de députés », expliquait par exemple une participante au Grand débat organisé à Aurey, dans le Morbihan (relire notre reportage).

Le sénateur Alain Richard n’est pas convaincu qu’une réduction de 30% du nombre des parlementaires rende plus difficile cette fonction de représentation. « Du point de vue de la relation avec la circonscription, j’ai du mal à dire que si un député représente 120.000 personnes, on représente bien les citoyens, et qu’à 1 pour 160.000, plus rien ne marche » En 1978, il devenait député, à une époque où l’Assemblée nationale comptait 491 députés, au lieu de 577 actuellement. « Je représentais 250.000 citoyens, je n’ai pas eu l’impression que ça posait problème », se remémore-t-il.

En consultant la plateforme en ligne du Grand débat national, on se rend compte malgré tout que cette demande est effectivement récurrente dans les propositions citoyennes, notamment pour des motivations budgétaires. Dans le chapitre institutionnel, cette demande fait d’ailleurs partie des contributions les plus nombreuses. Elle est aussi l’une des plus plébiscitées dans l’opinion. Selon un sondage Ifop pour le JDD publié le 6 janvier, 82% des personnes interrogées se déclaraient favorables à la mesure.

« Il ne faut pas s’interdire de revoir cet élément du programme »

Mesure attendue, elle est aussi l’une des promesses d’Emmanuel Macron faite en 2017, et réaffirmée lors du premier Congrès de Versailles. « C’est un engagement du président de la République sur lequel les Français ont voté, c’est un fait acquis. On ne peut pas bouger sur le principe », estime François Patriat, président du groupe LREM au Sénat.

Le député Xavier Paluszkiewicz est plutôt de ceux à la République en marche à penser l’inverse. Pour lui, le contexte social et politique de ces derniers mois a rebattu les cartes. « Ce n’est pas faire marche arrière, c’est s’adapter. Il ne faut pas s’interdire de revoir cet élément du programme », lâche-t-il.

Les conclusions du Grand débat national seront déterminantes pour la suite. Le sénateur Martin Lévrier n’a pas de solution à l’heure actuelle et attend beaucoup de la synthèse d’avril. « Il faut que les parlementaires soient nombreux. Dans le même temps, je peux aussi comprendre ce besoin d’avoir moins de représentants […] S’il y a des meilleures idées que celles qu’on a eues en 2017, il faut savoir les reprendre. »

Une correction sur le niveau de réduction ?

L’issue probable pourrait être à mi-chemin entre l’enterrement de la promesse présidentielle et son application pure et dure. François Patriat concède que l’on « peut discuter sur la dose ». Plutôt qu’un coup de rabot de 30%, il explique que l’on peut relever le curseur jusqu’à 24%. Son collègue Alain Richard est lui aussi d’avis que « l’ordre de réduction » proposé était « un peu élevé ». « Il y a eu des discussions assez approfondies, notamment avec le président du Sénat, sur un quota plus mesuré. »

Richard Ferrand, en répondant à la presse hier, laissait entendre qu’il faudrait tenir compte de plusieurs paramètres. Et justement de la négociation entre les deux chambres. « Il n’est pas question de renoncer mais sans doute faut-il voir comment aboutissent ces discussions avec le Sénat et quels enseignements il faudra tirer de ce qu’on aura entendu partout dans le territoire », expliquait-il.

Certes, le nombre de parlementaires ne nécessite pas de consensus entre l’Assemblée et le Sénat, puisqu’il s’agit d’une loi organique et non d’une loi constitutionnelle. En revanche, la droite sénatoriale a toujours prévenu qu’elle apporterait son soutien à la réforme constitutionnelle en un seul bloc, sur les trois textes (loi constitutionnelle, loi organique et loi ordinaire). Majoritaire au palais du Luxembourg, elle n’a jamais caché son scepticisme sur la réduction du nombre de parlementaires, sans y être non plus opposée.

La réforme des institutions, toujours à l’arrêt, ne reprendra pas avant la fin du Grand débat national. Ni même avant l’été, vu les textes appelés à être examinés au cours des prochains mois. Il n’est même pas certain que la réduction du nombre de parlementaires soit tranchée par les parlementaires eux-mêmes. L’Élysée n’ayant jamais fermé la porte à un hypothétique référendum.

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