Référendum sur la fin de vie en cas d’« enlisement » au Parlement : que veut dire Emmanuel Macron et est-ce possible ?

Emmanuel Macron a annoncé qu’il serait prêt à recourir au référendum, si le texte sur la fin de vie, en cours d’examen, faisait face à un « enlisement » au Parlement. Sans le citer, il vise le Sénat, où une partie de la majorité sénatoriale de droite émet de sérieux doutes sur ce sujet sensible. Le chef de l’Etat met ainsi une douce pression sur les sénateurs et députés opposés au texte, montrant qu’il sera prêt à contourner le Parlement pour mener à bien cette réforme.
François Vignal

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Il a longtemps été hésitant. Maintenant, Emmanuel Macron semble bien décidé à aller au bout sur la question de la fin de vie. Interrogé mardi soir sur TF1 sur ce sujet sensible, le chef de l’Etat a dit « souhaiter » pouvoir accorder le droit à mourir aux personnes, « quand il n’y a plus d’espoir, avec des règles, des encadrements, qu’on puisse aider à partir dans la dignité ». C’est pourquoi il « souhaite que le texte, qui est engagé aujourd’hui, soit voté ».

« Je ne le ferai que si c’était bloqué, il y a d’abord le travail du Parlement »

Emmanuel Macron parle de la proposition de loi du député de Charente-Maritime, Olivier Falorni, membre du groupe Modem, dont l’examen vient de commencer en séance, à l’Assemblée nationale. Il s’agit précisément de deux textes, l’un sur la fin de vie, l’autre sur les soins palliatifs, le sujet ayant été scindé en deux par le premier ministre, François Bayrou.

Mais si la proposition de loi, qui a été retardée à cause de la dissolution, est bien maintenant à l’agenda du Parlement, Emmanuel Macron n’exclut plus de passer par référendum. Le texte « a commencé son chemin à l’Assemblée. Puis il suivra au Sénat. Je pense qu’il faut d’abord qu’il y ait un temps parlementaire, c’est légitime, c’est sein. Mais si, à l’issue de cette première lecture, on voyait au fond qu’il y a un enlisement, une espèce d’impossibilité d’aller au bout, à ce moment-là, je pense que le référendum peut être une voie pour débloquer et permettre aux Français et aux Françaises de s’exprimer », a annoncé dimanche soir Emmanuel Macron, précisant : « Mais je le ferai d’abord avec beaucoup de précaution et je ne le ferai que si c’était bloqué. Il y a d’abord le travail du Parlement. J’espère qu’il y aura un cheminement respectueux, équilibré, qui se fera dans les jours, semaines et mois qui viennent » (voir la vidéo).

De nombreuses réserves au sein de la majorité sénatoriale

Le chef de l’Etat attend donc de voir la situation après la première lecture. C’est-à-dire que chaque chambre, l’Assemblée nationale, puis le Sénat, va examiner les propositions de lois. Pour la Haute assemblée, il ne faut pas s’attendre à un passage avant la rentrée de septembre.

La procédure parlementaire normale veut qu’en cas de désaccord, deux lectures sont possibles par assemblée. Mais très généralement, les gouvernements recourent depuis des années à la procédure d’urgence, qui limite l’examen à une seule lecture par chambre, avant la commission mixte paritaire entre députés et sénateurs. La procédure d’urgence est en quelque sorte devenue la norme, du moins pour l’examen des projets de loi. Mais sur les questions sociétales ou de bioéthiques, la pratique est de laisser au Parlement le temps d’examiner ces sujets souvent clivants. Mais ici, le chef de l’Etat, qui a souvent montré son impatience sur la durée de la procédure parlementaire, n’entend pas attendre.

Pourquoi Emmanuel Macron parle-t-il « d’enlisement » ? S’il ne dit pas, sûrement pour ne pas viser et braquer la majorité sénatoriale, à commencer par les sénateurs LR, on sait qu’une bonne partie d’entre elle sera réservée, pour ne pas dire hostile au texte. Le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, ancien président du groupe LR, où il compte de très nombreux soutiens, ne cache pas lui-même son opposition à cette réforme sociétale.

Comment déterminer l’« enlisement » du texte ?

Autrement dit, on comprend que si le Sénat rejette le texte, le Président pourrait alors recourir au référendum. Mais qu’entend-il par « enlisement » ? Un rejet pur et simple du texte par la Haute assemblée ? Une obstruction pour faire durer les débats et ne pas terminer l’examen dans le temps imparti ? Des modifications profondes, vidant le texte de sa substance ? Ou simplement un désaccord, qui serait surmontable en laissant le texte cheminer à l’occasion d’une seconde lecture ?

La menace d’un recours au référendum – car elle sera considérée comme tel, par les opposants à l’évolution de la législation – pourrait aussi jouer le rôle d’arme politique, pour pousser les parlementaires opposés, notamment les sénateurs de droite, à lâcher du lest et avancer vers un compromis, faute de quoi, Emmanuel Macron serait prêt à contourner le Parlement en s’appuyant sur les Français, majoritairement pour, selon les sondages.

La fin de vie entre-t-elle dans le champ de l’article 11 sur le référendum ?

Si le chef de l’Etat considère qu’il y a bel et bien blocage et annonce un référendum sur la fin de vie, reste une question de taille : ce dernier sera-t-il légal ? L’article 11 de la Constitution prévoit que le président de la République « peut soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent ». Il faudra déjà au préalable reprendre la PPL, texte d’initiative parlementaire, au travers d’un projet de loi, texte d’origine gouvernemental.

Surtout, la question de la fin de vie entre-t-elle dans le champ de l’article 11 ? C’est toute la question, sur laquelle les constitutionnalistes émettent de sérieux doutes. « La loi sur l’aide à mourir prévoit de « dépénaliser » un acte létal », souligne dans Le Monde Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à l’université Panthéon-Assas, or « en théorie, le sujet ne peut donc pas tomber sous le coup de l’article 11 puisqu’il ne prévoit pas que la dépénalisation puisse faire l’objet d’un référendum ».

Mais le constitutionnaliste estime qu’« on peut également considérer que le sujet a trait aux services publics, puisqu’il concerne les hôpitaux, et à la politique sociale. Ce serait une lecture très extensive de l’article 11 ».

Le Conseil constitutionnel, présidé par Richard Ferrand, exerce un contrôle sur le sujet du référendum

Ce serait dès lors au Conseil constitutionnel de dire si un tel référendum est possible. En matière de référendum, la Constitution confère en effet aux Sages le rôle de juge. Selon son article 60, « le Conseil constitutionnel veille à la régularité des opérations de référendum » et « en proclame les résultats ».

Surtout, selon la jurisprudence du Conseil, l’institution exerce un contrôle préalable sur le sujet du référendum, par l’intermédiaire du décret de convocation. Le rôle de Richard Ferrand, proche d’Emmanuel Macron, que le chef de l’Etat a nommé il y a quelques semaines à la tête de l’institution, sera primordial, même si la collégialité est de mise rue de Montpensier. Interrogé en avril 2022, durant la dernière campagne présidentielle, pour savoir quelle pourrait être la réforme de société d’un deuxième quinquennat Macron, Richard Ferrand avait répondu « le droit de mourir dans la dignité ».

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