Visiblement impressionné par les 2 millions de signatures de la pétition contre la loi Duplomb recueillies cet été sur le site de l’Assemblée nationale, l’ancien eurodéputé, égérie des médias Bolloré, Philippe De Villiers a décidé de s’emparer du même mode d’action. « Une pétition a voulu sauver les abeilles, les oiseaux, les sols. Aujourd’hui, ce sont les Français qu’il faut sauver. Les derniers Français. Avant qu’il ne soit trop tard », écrit le fondateur du Puy du Fou sur son site dans la description de sa pétition en faveur d’un référendum sur l’immigration.
Sa pétition visant « à contraindre » le chef de l’Etat à lancer ce référendum, sous « la pression populaire », compte plus de 1,3 million de signatures, au moment où nous écrivons cet article. Un chiffre à prendre avec de grandes pincettes puisqu’à la différence de la pétition contre la loi Duplomb postée sur le site de l’Assemblée nationale, rien n’empêche une même personne de la signer plusieurs fois. Signer cette pétition n’est pas seulement un acte politique, mais peut potentiellement se transformer en bénéfice commercial pour le milliardaire Vincent Bolloré, puisqu’il est aussi proposé au signataire de « consentir » à ce que Philippe de Villiers communique son « adresse email à la société Lagardère Media News (propriété de Vincent Bolloré NDLR) afin qu’elle (lui) adresse des informations, offres, bons plans et avantages promotionnels pour les titres JDD et JDNews ».
« On sait très bien que beaucoup de nos militants l’ont signée »
Succès relatif ou non, la pétition a été abordée en réunion de groupe LR ce matin. « Ce n’est pas, pour nous, un sujet d’actualité immédiat. Mais cela ne veut pas dire qu’il doit être balayé d’un revers de main. On sait très bien que beaucoup de nos militants l’ont signée, car ils veulent s’exprimer sur le sujet de l’immigration », rapporte le sénateur Max Brisson.
Le patron des députés LR, Laurent Wauquiez a, lui, signé la pétition et l’a fait savoir sur X. « Je l’ai signé aussi », confie le sénateur Etienne Blanc. « Qu’est-ce qui pousse aujourd’hui des mouvements souverainistes en Europe ? C’est la question migratoire. En politique, il faut saisir les événements avant que les évènements ne vous saisissent par la gorge. Si on ne saisit pas des questions migratoires, l’opinion va nous échapper », justifie Etienne Blanc.
« Racoleuse sur le plan politique, et c’est aussi une supercherie »
Du côté de la majorité sénatoriale, les centristes et les Républicains ne sont pas au diapason sur cette question. « Ce genre de pétition racoleuse sur le plan politique, et c’est aussi une supercherie, car un référendum sur l’immigration n’est pas constitutionnel. Mais M. De Villiers est porté par un groupe de médias qui essaye de faire croire aux gens qu’on peut faire ce référendum. Et comme vous le savez, il faudrait changer la Constitution. Une procédure qui est longue et qui obéit à un certain nombre de règles », rappelle le président du groupe centriste, Hervé Marseille.
En effet, la Constitution de la Ve République ne permet pas au peuple Français de se prononcer sur cette question. Le référendum de l’article 11, décidé par le chef de l’Etat, sur proposition du gouvernement, ne peut porter que sur l’organisation des pouvoirs publics, les réformes relatives à la politique économique et sociale et aux services publics qui y concourent, et sur la ratification des traités internationaux.
Et même si une révision constitutionnelle peut être approuvée par le référendum prévu à l’article 89, elle doit d’abord être adoptée dans les mêmes termes par le Sénat et l’Assemblée nationale. Inenvisageable actuellement faute de majorité dans les deux chambres. Il existe néanmoins un précédant de contournement du Parlement pour réviser la Constitution. En 1962, le général de Gaulle avait utilisé la voie référendaire de l’article 11 pour inscrire dans la Constitution l’élection du chef de l’Etat au suffrage universel direct, malgré une majorité de parlementaires contre cette réforme.
Ces derniers mois, la droite sénatoriale a tenté, à plusieurs reprises, de contourner l’obstacle. En décembre 2023, en plein examen du projet de loi immigration à l’Assemblée, une proposition de loi constitutionnelle du président du groupe LR du Sénat de l’époque, Bruno Retailleau allait être débattue au Sénat. Le texte prévoyait notamment d’élargir les conditions du recours au référendum de l’article 11 de la Constitution aux questions relatives à l’entrée et au séjour des étrangers en France et au droit de la nationalité. Mais même au Sénat, à majorité de droite, la réforme ne passe pas, faute de soutien des centristes. Bruno Retailleau avait donc dû retirer son texte. « Il y a une majorité sénatoriale, mais quand il y a des désaccords sur des sujets importants, on en prend acte. On n’en fait pas un drame », avait-il expliqué au micro de Public Sénat.
Quelques mois plus tard, en avril 2024, députés et sénateurs LR transmettaient au Conseil constitutionnel leur proposition de loi référendaire visant à enclencher un référendum d’initiative partagé (RIP) sur la conditionnalité des prestations sociales non contributives pour les étrangers en situation régulière. Un texte jugé contraire à la Constitution part les Sages de la rue Montpensier. Contacté par publicsenat.fr à l’époque, Bruno Retailleau avait estimé que le Conseil « outrepassait » son rôle en refusant « au peuple français de se prononcer sur l’immigration ».
« On ne peut pas faire porter au Conseil constitutionnel toute la misère du monde. Heureusement, nous avons des garde-fous, un état de droit bien utile dans le cas où demain, un gouvernement illibéral arriverait au pouvoir », insiste Hervé Marseille.
« La jurisprudence du Conseil constitutionnel répond-elle encore à la volonté du peuple ? »
Des propos qui tranchent avec ceux de Laurent Wauquiez au Congrès de son parti à Port Marly début septembre. Fidèle à la tonalité de ses très nombreux meetings lors de la campagne interne pour la présidence du parti, le député s’en est pris encore une fois aux « juges » du Conseil constitutionnel et du Conseil d’Etat qui « empêchent la démocratie de s’exprimer ».
Max Brisson appuie. « Si l’état de droit freine la démocratie c’est problématique. La jurisprudence du Conseil constitutionnel répond-elle encore à la volonté du peuple ? Les Français veulent-ils placer les libertés publiques au-dessus de leur protection face au vagues migratoires ? »
« On a compris ce qu’était pour le moment la stratégie du président du groupe LR de l’Assemblée, c’est la reprise des thèmes de l’extrême droite », constate, de son côté, la sénatrice Modem, Isabelle Florennes.
Et si à son arrivée place Beauvau, Bruno Retailleau avait lui aussi suscité une polémique en estimant que l’état de droit n’était pas « intangible », à en croire la sénatrice, l’exercice du pouvoir lui aurait fait revoir ses positions. « Pour l’avoir entendu en commission des lois, il a très bien compris la nécessité du renforcement de la coopération européenne sur l’immigration. Que ce n’est pas en mettant la France hors-jeu qu’on réglerait le sujet », a-t-elle observé.
Bruno Retailleau aimerait porter un nouveau projet de loi immigration, le dernier ayant été largement censuré. Difficile d’imaginer, pour autant, un texte visant à élargir aux questions migratoires le recours au référendum car « il n’y a pas de consensus dans le socle commun », constate Max Brisson.
« Et quelle serait la question », interroge Hervé Marseille : « Pour ou contre les immigrés ? Un référendum, c’est un texte accompagné d’une question : êtes-vous pour ou contre ce texte ? », souligne le patron de l’UDI.
« C’est tout ou rien », a regretté sur LCP, la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet qui rappelle avoir déposé une proposition de loi constitutionnelle pour élargir les référendums à « des questions plus ouvertes » sur des sujets « sociétaux ». Elle s’est toutefois montrée ouverte à l’idée de soumettre à un référendum, la question des quotas migratoires.