Réforme de la Justice : « Je suis là pour construire, pas pour détruire », assure Éric Dupond-Moretti

Réforme de la Justice : « Je suis là pour construire, pas pour détruire », assure Éric Dupond-Moretti

Le ministre de la Justice a présenté son projet de loi « pour la confiance dans l’institution judiciaire », ce mercredi, en Conseil des ministres. Un texte qui divise les professionnels du droit et qui pourrait recevoir un accueil tout aussi frais au Sénat.
Public Sénat

Par Héléna Berkaoui

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Audiences filmées, encadrement des enquêtes préliminaires, généralisation des cours criminelles. Le garde des Sceaux a présenté, ce mercredi, en Conseil des ministres son projet de loi visant à « restaurer la confiance » dans la justice. Les mesures divisent déjà les professionnels du droit, particulièrement les magistrats qui y perçoivent une marque de défiance « envers les organisations syndicales et les instances représentatives qui ont été largement contournées et ne sont consultées qu’en urgence sur un texte déjà ficelé », comme le dit le syndicat de la magistrature, classé à gauche.

A l’issue du Conseil des ministres, Éric Dupond-Moretti a défendu son projet de loi et répondu à certaines critiques : « Je suis là pour construire pas pour détruire », a-t-il tonné. La généralisation des cours criminelles a largement été décriée notamment par Maître Franck Berton pour qui cette mesure acte que « la rentabilité l’emporte sur la justice ». Pour lui, « Acquitator » est devenu « Destructor » et « semble piétiner les principes essentiels de notre justice moderne ». Le garde des Sceaux lui-même s’était élevé contre l’expérimentation des cours criminelles qu’il souhaite aujourd’hui généraliser avant la fin de l’expérimentation. « J’ai obtenu des assurances du président de la République », a justifié le ministre de la Justice assurant que les cours d’assises et le rôle des jurés populaires ne seraient pas affaiblis.

« Un certain nombre d’éléments me permettent de dire que ces cours criminelles fonctionnent bien, d’abord les remontées que nous avons eues de la part des magistrats, mais également de la part de beaucoup d’avocats qu’on entend peut-être moins que d’autres », a appuyé Éric Dupond-Moretti. Le ministre fait valoir le fait que le taux d’appel baisse de 10 points par rapport aux cours d’assises traditionnelles, laissant entendre que les décisions sont mieux acceptées par les parties.

Lors de l’examen du projet de loi portant diverses dispositions urgentes dans le cadre l’épidémie de covid-19, les sénateurs s’étaient penchés sur ces cours criminelles (lire ici). Plusieurs d’entre eux s’étaient opposés à l’élargissement de l’expérimentation qui s’était finalement étendue de 10 à 18 départements. Un épisode qui laisse entrevoir les futures résistances que le ministre pourrait rencontrer à la Haute assemblée.

Le sénateur LR, Philippe Bas, se dit à ce titre étonné que le garde des Sceaux, « après avoir été un grand défenseur des jurés d’assises, propose de les supprimer ». La ligne du sénateur de la Manche apparaît claire sur le sujet : « jusqu’à ce qu’il (le garde des Sceaux) me convainque du contraire, je considère que le maintien du jury d’assises est important et que l’expérimentation des cours criminelles n’est pas une expérience à généraliser » (voir la vidéo ci-dessous).

Le ministre de la Justice entend aussi réformer le système des crédits de réduction de peine suscitant là encore de fortes réactions. « Aujourd’hui, il y a un système de crédits automatiques de peines, réduction de peine qui n’est conditionnée à rien et surtout à aucun effort, c’est une façon hypocrite d’envisager la régulation carcérale », a défendu Éric Dupond-Moretti. Faux pour la présidente de l’Union Syndicale des Magistrats, Céline Parisot : « Les crédits de réduction de peine ne sont pas « automatiques », c’est leur calcul qui l’est à l’entrée en détention. Ils peuvent ensuite être perdus en cas de mauvais comportement », corrige-t-elle.

Concernant l’encadrement des enquêtes préliminaires, le garde des Sceaux considère que le système actuel est « gravement attentatoire aux droits de l’homme ». « Aujourd’hui, quand on est suspect, on se retrouve dans le cadre d’une enquête préliminaire qui est éternelle », assure Éric Dupond-Moretti en regrettant le peu de place laissée au droit du contradictoire. Le ministre de la Justice souhaite donc que les enquêtes préliminaires ne durent pas plus de deux ans, avec une prolongation possible d’un an sur autorisation du procureur. Le sénateur LR, Philippe Bas, salue cette mesure et rejoint le ministre. « Les enquêtes préliminaires vont s’ouvrir à davantage de contradictoires, c’est-à-dire aux droits de la défense de s’exercer plus tôt », salue le sénateur.

Éric Dupond-Moretti a par ailleurs évoqué l’article 1 du texte qui permettra de filmer des audiences sous certaines conditions. « La publicité des audiences est une garantie démocratique », argue le garde des Sceaux tout en assurant la garantie de « la présomption d’innocence, le respect de la vie privée et le droit à l’oubli ». Aujourd’hui, seuls les procès à caractère historique peuvent être filmés, ce fut notamment le cas du procès des attentats de janvier 2015, grâce à un texte porté par Robert Badinter en juillet 1985.

L’ancien garde des Sceaux milite d’ailleurs pour l’élargissement de cette mesure aux procès du quotidien comme il le confiait sur notre chaîne (voir ici). En revanche, pour le sénateur LR, Philippe Bas, « il ne faut s’engager dans cette voie qu’avec une extrême prudence, les accusés alors même qu’ils pourraient être innocentés ne doivent pas être livrés en pâture au public ». Le sénateur de la Manche estime qu’une telle disposition pourrait influer : « Je crois que ça modifie les comportements quand les choses sont filmées, ce n’est pas forcément la bonne chose à faire pour accoucher d’une bonne décision de justice », prévient-il.

Le projet de loi du ministre de la Justice sera étudié dès mai à l’Assemblée nationale et devrait arriver au Sénat fin juin.

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