Réforme de la SNCF par ordonnances : les sénateurs remontés contre «une grave connerie politique»

Réforme de la SNCF par ordonnances : les sénateurs remontés contre «une grave connerie politique»

L’éventuel recours aux ordonnances sur la réforme de la SNCF passe très mal chez les sénateurs. Gérard Larcher dénonce un « déni de respect de la démocratie parlementaire ». Selon le sénateur UDI Hervé Maurey, cela pourrait compliquer la donne sur la réforme constitutionnelle, où Emmanuel Macron a besoin des voix du Sénat.
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Sujet explosif, la réforme de la SNCF pourrait faire l’objet d’un passage en force du gouvernement. Le secrétaire d’Etat en charge des Relations avec le Parlement, Christophe Castaner, a confirmé jeudi matin sur BFM que le recours aux ordonnances était bien une « possibilité », comme l’ont évoqué Les Echos et auparavant Contexte.

« On a quelque part diabolisé les ordonnances mais c’est aussi une façon de travailler vite et bien »

« La position aujourd’hui n’est pas arrêtée, mais il faut aller vite. (…) Les ordonnances sont une des façons de légiférer. (…) Je n’exclus rien. Ensuite, il y a un premier ministre qui prend les décisions. (…) Mais n’ayons pas peur des ordonnances. Toutes les semaines, le Parlement travaille sur des ordonnances. On a quelque part diabolisé les ordonnances mais c’est aussi une façon de travailler vite et bien » a tenté de minimiser le délégué général de La République En Marche (voir le sujet de Jordan Klein).

Il s’agit bien pourtant, comme le gouvernement l’a fait sur le Code du travail, de contourner le Parlement pour réduire à portion congrue le débat parlementaire. Ce qui n’est pas acceptable pour le président LR du Sénat, Gérard Larcher. « Les ordonnances sont faites pour répondre à des situations particulières. Si le Parlement n’est pas sollicité pour débattre d’un sujet aussi important pour l’aménagement du territoire, il y aura un déni de respect de la démocratie parlementaire. Et je le dis clairement : on nous entendra sur ce sujet » a prévenu Gérard Larcher ce matin sur France Inter.

Le sénateur des Yvelines ne s’était pourtant pas opposé au recours aux ordonnances sur la réforme du droit du travail. Les ordonnances allaient « dans le bon sens », avait-il même estimé début septembre. Mais les sénateurs sont beaucoup plus sensibles à la réforme de la SNCF car elle touche aux territoires. Les élus de la Haute assemblée sont déjà vent debout contre la possibilité de fermer certaines lignes jugées non-rentables (voir notre article). « La SNCF, c’est un service public. On ne peut pas être dans le tout TGV et aller de métropole en métropole, comme je l’ai lu dans le rapport Spinetta. (…) Est-ce que l’espace rural est définitivement exclu des modes de transport collectif ? » demande Gérard Larcher, qui ajoute que le Sénat n’est pas pour autant « bloqué » sur l’ensemble de la réforme.

« Si le gouvernement fait voter un texte, il pourrait avoir le soutien de la majorité sénatoriale »

Au contraire, il serait même prêt à la voter, selon le président UDI de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, Hervé Maurey. A condition qu’on lui en donne réellement l’occasion. « Si le gouvernement fait voter un texte, il pourrait avoir le soutien de la majorité sénatoriale et du Parlement sur ces sujets » pense le sénateur de l’Eure. A défaut, le recours aux ordonnances « serait la preuve d’un mépris très profond et très grave du Parlement. On ne peut pas en permanence gouverner par ordonnance. (…) Le gouvernement a peur du débat, peur de la confrontation d’idées ». Très remonté, Hervé Maurey ajoute : « Franchement, ce serait une grave connerie politique. Ce serait une réelle stupidité. Passer en force sans s’appuyer sur le Parlement renforcerait les syndicats ». A moins que le gouvernement cherche à durcir le mouvement pour espérer avoir l’opinion avec lui.

Le recours possible aux ordonnances énerve d’autant plus Hervé Maurey qu’il a déposé une proposition de loi sur l’ouverture à la concurrence du rail. Il espère qu’elle puisse être reprise par l’exécutif. « Le texte est prêt, il est en cours d’examen par le Conseil d’Etat. On avait convenu avec le gouvernement d’attendre le rapport pour l’inscrire à l’ordre du jour… Et l’argument de dire qu’il faut aller vite ne tient pas. La PPL peut être adoptée aussi vite ». Une position raillée par un parlementaire de la majorité LREM : « Aujourd’hui, l’art politicien des sénateurs est de multiplier les PPL pour prendre la paternité d’un texte ».

« Si sur des sujets comme ça, on considère que le Parlement n’a pas son mot à dire, il vaut mieux fermer le Parlement »

Reste que pour Hervé Maurey, la réforme de la SNCF ne peut pas échapper au débat : « Quand on parle de la question des dessertes, c'est-à-dire de l’aménagement des territoires, qui concerne intimement l’ensemble des élus et les sénateurs, quand on parle du statut de la SNCF, une des plus grandes entreprises nationales, ce sont des sujets éminemment importants et sensibles. Si sur des sujets comme ça, on considère que le Parlement n’a pas son mot à dire, il vaut mieux fermer le Parlement ».

Pour dénoncer le recours aux ordonnances, droite et gauche se retrouvent unies. Le président du Sénat est soutenu par la sénatrice PS Marie-Noëlle Lienemann, qui dénonce une « provocation inacceptable ». « Ce serait un déni de démocratie. Le président du Sénat a raison. Ce ne serait pas acceptable » affirme sur Public Sénat la vice-présidente de la Haute assemblée, membre de l’aile gauche du PS. Sur le fond, elle rejette l’ensemble de la réforme qui vise « au démantèlement du service public. (…) A force d’avoir réduit l’investissement public, au bout du compte, on tue la SNCF au lieu de s’attaquer aux causes réelles ». Regardez :

Marie-Noëlle Lienemann : la réforme de la SNCF vise le "démantèlement du service public"
02:54

« Le gouvernement aura besoin du Sénat sur la réforme de la Constitution »

Ce ballon d’essai, lancé par le gouvernement, ne va pas arranger les discussions avec les sénateurs sur un autre sujet : la réforme constitutionnelle. « Dans quelques mois, je vous rappelle que le gouvernement aura besoin du Sénat sur la réforme de la Constitution. On ne peut pas avoir les voix du Sénat et souhaiter que des sénateurs votent éventuellement la réforme, et en même temps envoyer un signal aussi négatif à l’Assemblée et au Sénat » met en garde Hervé Maurey. Emmanuel Macron a en effet besoin des voix LR et UDI du Sénat s’il veut espérer faire adopter par le Parlement sa réforme constitutionnelle. Le président de la commission du développement durable menace même de ne pas la voter :

« On ne peut pas, en février, dire au Sénat on se passe de vous et on vous piétine comme un paillasson, et revenir deux mois après faire les yeux doux et dire on a besoin de vos voix. Si ça devait se passer, je suis certain que ça aurait des conséquences quant à mon attitude par rapport au gouvernement et à la réforme constitutionnelle. Si on nous fait ce qui serait un affront, ça laisserait des traces ».

Patriat : « Le gouvernement pourrait prendre des ordonnances sur des points ponctuels où il y a une forme de rencontre. Après, l’ensemble de la réforme passera sans doute par la loi »

Alors, piétiné le Parlement ? Le président du groupe LREM du Sénat, François Patriat, se fait rassurant, sans nier la possibilité du recours aux ordonnances. « Je ne sais pas ce que va dire le gouvernement, mais la négociation aura lieu. J’ai le sentiment que c’est à l’issue de cette négociation que le gouvernement pourra prendre des ordonnances » affirme-t-il à publicsenat.fr. Le sénateur de la Côte-d’Or estime que l’exécutif pourrait mêler ordonnances et projet de loi. « Il pourrait prendre des ordonnances sur des points ponctuels où il y a une forme de rencontre. Après, l’ensemble de la réforme passera sans doute par la loi » pense le président du groupe LREM. Une hypothèse justement avancée par le Canard enchaîné : « L’application du rapport Spinetta serait saucissonnée : les questions concernant les infrastructures attendraient – peut-être – une loi, alors que la transcription des directives de Bruxelles ainsi que les nombreux autres sujets brûlants liés au personnel seraient réglés par ces ordonnances »…

François Patriat s’étonne des réactions épidermiques des sénateurs sur le sujet. « Cette surréaction ne me semble pas de nature à favoriser le dialogue. Si d’ores et déjà des élus prennent des positions de principe sur les ordonnances, c’est le signe qu’on ne comprend pas que la SNCF, comme ce pays, a besoin de réformes. Si ça permet de sauver le service public, je ne suis pas opposé aux ordonnances sur certains points ». Une méthode aussi suscitée par la multiplication des réformes. « Ce gouvernement prend dix grands chantiers à bras à le corps et entend avancer. On ne veut pas se noyer dans des débats, comme on l’a eu avec la loi El Khomri », souligne François Patriat, qui ajoute : « Au Sénat, on aime bien le temps long. Le temps long, c’est bien. Mais si c’est du temps perdu pour aller dans l’impasse, ce n’est pas ma vision ». Autrement dit, le gouvernement ne mènera pas la réforme de la SNCF à un train de sénateur…

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