Politique
Emmanuel Macron veut « élargir » le socle commun et parler aux socialistes. Un message entendu par le parti à la rose, qui pose ses conditions. Cette hypothèse soulève plus de questions qu’elle n’apporte de réponses.
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Par François Vignal
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A quelques jours d’un vote de confiance qui s’annonce fatal pour le gouvernement Bayrou, le gouvernement bouge encore. Il va lancer une réforme de l’aide médicale d’Etat (AME). Ce dispositif, dans le collimateur de la droite et de l’extrême droite depuis des années, mais défendu par les professionnels de santé, permet aux étrangers en situation irrégulière et aux revenus très faibles de bénéficier d’une couverture à 100 % de leurs soins médicaux. En 2024, l’AME représente un budget de près de 1,4 milliard d’euros au total.
« Lorsque vous demandez des efforts aux Français, il n’est pas possible qu’ils aient le sentiment de devoir faire des efforts, mais pas les autres. […] Ce n’est pas possible que les étrangers que nous accueillons et que nous aidons ne soient pas associés à cet effort », a soutenu le premier ministre sur BFMTV ce mercredi matin. « Il y avait, par exemple, dans la liste des soins, de la balnéothérapie. Ce n’est pas normal, ce n’est pas raisonnable que le pays ne prenne pas soin de l’équilibre (entre les Français et les étrangers) », a poursuivi le premier ministre, expliquant qu’il s’agissait d’un projet « souvent évoqué ».
Selon BFM Business, qui a révélé l’information, il s’agit de deux décrets. Le premier « concerne le panier de soins couverts par l’AME et les modalités d’appréciation des ressources des bénéficiaires de cette aide. Le second étoffe la liste des pièces justificatives à fournir pour demander l’AME ». « Les deux décrets sont en cours de rédaction. Ils sont en réalité le fruit d’un accord passé sur le budget 2025 avec l’ensemble des parties politique pour l’adoption du budget 2025, qui fait suite au rapport Evin/Stefanini », a expliqué ce mercredi, à l’issue du Conseil des ministres, Sophie Primas, porte-parole du gouvernement. Elle précise qu’il ne s’agit pas « d’empêcher l’AME naturellement », ni de faire « prendre des risques sanitaires », mais d’« éviter la fraude et de restreindre un certain nombre de prestations médicales qui sont parfois caricaturales ».
Parler, comme le fait la porte-parole du gouvernement, d’un « accord » sur le sujet lors du dernier budget, est une réécriture de l’histoire. Car il n’y en a pas eu. C’est ce qu’explique le sénateur centriste de l’Essonne, Vincent Delahye. En tant que rapporteur du budget Santé de la commission des finances du Sénat, c’est lui qui porte le sujet à la Haute assemblée lors du budget. La majorité sénatoriale de droite et du centre avait bien réduit l’AME de 200 millions d’euros, dans le dernier projet de loi de finances. Mais « ça n’a pas été retenu, lors de la commission mixte paritaire » entre députés et sénateurs, rappelle le sénateur UDI de l’Essonne.
Fin 2023, le sujet avait déjà travaillé le gouvernement Borne. Elle défendait globalement l’AME, comme son ministre de la Santé, Aurélien Rousseau, alors que Gérald Darmanin s’était dit favorable à sa suppression. « Elisabeth Borne puis Gabriel Attal avaient promis qu’on reverrait l’AME. En fait, elle n’a jamais été revue. Il est grand temps de revoir ce dispositif qui n’a jamais été maîtrisé », selon Vincent Delahaye.
Dans un rapport publié en juillet dernier, le sénateur centriste a préconisé à nouveau de réformer ce dispositif jugé trop « généreux ». « J’entends dire que ce ne sont pas des sommes considérables. Mais l’AME a coûté 1,4 milliard d’euros en 2024 et ça augmente de 15 % par rapport à 2023. Vous vous rendez compte, si tous les budgets augmentent de 15 % ? Où on va ? Vis-à-vis des Français, il faut montrer qu’il y a des efforts dans toutes les directions », soutient le sénateur UDI.
Il précise qu’« en 2024, on n’a pas modifié les conditions, mais on a réduit les crédits de l’AME de 50 millions d’euros de façon forfaitaire. Mais en réalité, les médecins sont obligés de soigner les personnes qui se présentent, et on a créé une dette de l’Etat de 186 millions d’euros vis-à-vis de la Sécu », pointe le rapporteur Santé.
Pour réformer l’AME, Vincent Delahaye propose « de s’aligner sur le système allemand, qui est plus restrictif. Il prévoit notamment d’exclure les soins programmés pour maladie chronique et qu’on soumette à autorisation préalable de la CNAM (Caisse nationale de l’Assurance Maladie) la rééducation physique, la psychothérapie et les traitements hospitaliers non urgents. Aujourd’hui, ils ne sont soumis à autorisation que lorsque le bénéficiaire a moins de 9 mois d’ancienneté ».
Autre idée : alors que la personne qui obtient sa carte d’AME peut en faire bénéficier les « ayants droit, comme sa compagne, mais aussi ses enfants mineurs et majeurs, je propose d’exclure les enfants majeurs », avance le sénateur centriste.
A droite, le sénateur LR Roger Karoutchi accueille évidemment bien ces décrets gouvernementaux. « J’ai été le premier au Sénat à faire voter un amendement révisant l’AME de moitié, il y a déjà 10 ans. C’était la création de l’aide médicale d’urgence », rappelle-t-il. Pour le sénateur des Hauts-de-Seine, il faut aujourd’hui mettre en place « un ticket d’entrée à l’AME. Il fut un temps où il y en avait un, à peu près de 50 euros. Ça a été supprimé par François Hollande. Ça rapportait un peu d’argent et surtout, ça permettait d’avoir un véritable contrôle ». Il ajoute une réduction du panel de soins et une baisse de la dépense « de moitié ». Il avance encore un autre argument : « Je ne dis pas que l’AME fait venir les clandestins, mais ça y participe ».
Sur le plan politique, tout s’apparente à un geste tardif envers les LR et le RN. « Bien sûr », reconnaît Roger Karoutchi, « mais même par rapport au RN, ce n’est pas suffisant pour changer le vote », pense le sénateur. « Ce qui est dommage, c’est que toutes les avancées de ces derniers jours auraient pu être des concessions du débat budgétaire », regrette l’ancien ministre de Nicolas Sarkozy. « Ce qu’il se passe depuis son annonce du vote de confiance, fait penser qu’il imaginait s’en sortir. Maintenant qu’il est loin d’une majorité, on a l’impression qu’il y a un cadeau à gauche, un cadeau à droite », pointe Roger Karoutchi. Une vaine tentative selon le sénateur LR : « Ça ne sert à rien, le vote du lundi 8 septembre est acté. Il ferait mieux de ne plus rien dire jusque-là et de sortir avec dignité ».
A l’inverse, à gauche, le sénateur du groupe PS, Bernard Jomier, enrage de voir ces attaques contre l’AME. « Bien sûr, il n’y a pas de tabou, on peut rediscuter de savoir si on prend en charge les soins utiles. Mais les abus sont très faibles. L’AME est le dispositif le plus contrôlé », souligne le sénateur membre de Place Publique, le parti de Raphaël Glucksmann.
« Dans le texte transmis à la CNAM, on ne trouve rien qui soit fondé en termes de santé publique. On est bien dans une posture. Il l’a dit ce matin : il demande des efforts aux Français, donc il demande des efforts aux étrangers », pointe le sénateur du groupe PS, « c’est un choix politique, pas un choix de santé publique ».
Surtout qu’« à cet instant, il n’y a pas de mise en évidence de type de soins sur lesquels il y a une fraude d’ampleur ou sur lesquels il y avait une prise en charge qui ne soit pas nécessaire », selon Bernard Jomier. Ou alors, « on est dans l’anecdotique. Il y a eu cette polémique sur les oreilles décollées. Il y a eu six opérations. On ne fait pas de politique à travers des anecdotes ». Quant à l’exemple pris aujourd’hui par François Bayrou, il irrite particulièrement ce médecin de profession. « Avec la balnéothérapie, les gens vont imaginer qu’ils vont à Cabourg. Ce n’est pas du luxe. C’est une méthode de rééducation, après un accident grave. Ça n’a pas de sens ce qu’il raconte », dénonce le sénateur.
Pour Bernard Jomier, l’AME doit être gardée en l’état. « Les étrangers sur notre sol doivent être soignés quand ils en ont besoin. On ne soigne pas toute la misère du monde, ce n’est pas vrai. Tous les soins ne sont accessibles », souligne le sénateur Place Publique.
Pour le sénateur de gauche, l’attitude du premier ministre ne fait pas de doute. « Il porte une posture politique qui s’adresse aux LR et à l’extrême droite », soutient-il. Il relève au passage que « les LR, qui remettent de plus en plus en cause l’AME, se sont radicalisés sur cette question depuis quelques années ». Il insiste : « Ça m’a un peu attristé car c’est un centriste, Bayrou. Les élus Modem ont régulièrement défendu l’AME. Là, il prend une posture qui n’est pas celle d’un centriste, mais de quelqu’un désemparé qui court après la droite et l’extrême droite. Il est temps qu’il s’en aille ». Quant au décret, même s’il est bien signé cette semaine, son avenir est évidemment incertain. Tout dépendra du prochain gouvernement, qui pourra, s’il le souhaite, revenir dessus.
Pour aller plus loin
Pierre Perret