Réforme des retraites : « Cela mériterait une belle discussion démocratique, que nous n’aurons pas avec des artifices »

Réforme des retraites : « Cela mériterait une belle discussion démocratique, que nous n’aurons pas avec des artifices »

Alors que l’exécutif aurait évoqué un outil parlementaire peu usité pour tenter de faire passer une réforme des retraites en janvier, on s’agace au Sénat de la multiplication des annonces destinées à occulter le débat sur la question. Un budget rectificatif de la Sécurité sociale ne ferait, d’après eux, que décaler le problème de quelques semaines.
Louis Mollier-Sabet

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En bon rocardien, Emmanuel Macron devrait miser sur la fameuse « troisième voie » pour sortir de l’impasse qui se profile sur la réforme des retraites. Le problème, c’est que, la « troisième voie », beaucoup ont tenté de s’y engouffrer, mais peu ont réussi à la trouver. Promesse de campagne avortée du candidat Macron en 2017, à nouveau remis sur la table par le Président-candidat en 2022, le dossier de la réforme était sur toutes les lèvres de la majorité présidentielle ces dernières semaines. La réforme est « nécessaire », clame-t-on en Macronie et à droite. Ce qui est moins consensuel, même au sein de la majorité, ce sont les contours exacts de la réforme – au-delà de la nécessité de « réformer – et la méthode. En évoquant la possibilité de modifier la durée de cotisation ou l’âge légal de départ à la retraite par voie d’amendement au budget de la Sécu, l’exécutif a certes tendu un piège à la droite sénatoriale qui vote la mesure depuis trois ans, mais a en retour froissé le centre droit, des centristes du Sénat au MoDem à l’Assemblée. Le président du groupe MoDem à l’Assemblée nationale, Jean-Paul Mattei, a ainsi fait savoir par deux fois que ses troupes ne pourraient pas « accepter une réforme, petite ou grande, à travers un amendement. »

« Cela lui permettrait simplement de faire en janvier ce qu’il ne peut pas faire en octobre »

En présentant le budget de la Sécurité sociale en conseil des ministres lundi, Élisabeth Borne avait botté en touche en renvoyant la décision à la fin de la semaine, alors que fuitait dans la presse une réunion ce mercredi à l’Elysée destinée à réaliser les ultimes arbitrages. Mardi soir, le Canard Enchaîné, ainsi que BFM TV, annoncent qu’Emmanuel Macron envisagerait une « troisième voie » entre l’amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) et le projet de loi dédié : un projet de loi de financement rectificatif de la sécurité sociale, c’est-à-dire un budget rectificatif de la Sécu, comme il y en a souvent pour le budget de l’Etat. Un nom aussi brutal que la méthode, pour René-Paul Savary, le « monsieur retraites » des LR au Sénat : « En utilisant un véhicule financier, cela veut dire que le gouvernement peut passer par le 49.3 sans que ça pénalise son droit de tirage. Cela va à l’encontre d’une volonté de discussion, par définition on envisage de passer en force. » En fait, ce budget rectificatif, très rarement utilisé, permettrait à Emmanuel Macron de consacrer un texte budgétaire au sujet des retraites au début de l’année 2023. Les débats seraient ainsi limités dans le temps, et le Président de la République pourrait utiliser un 49.3 « gratuit », puisque celui-ci est de droit sur les textes budgétaires et n’entame pas le quota d’un 49.3 par session parlementaire dont bénéficie l’exécutif depuis 2008.

» Pour plus de détails, lire notre article « Qu’est-ce qu’un PLFRSS, piste du gouvernement pour mettre en œuvre la réforme des retraites ? »

Monique Lubin, cheffe de file du groupe socialiste sur le sujet, y voit aussi simplement un « report de la provocation » : « Le Président voulait quelque chose dans le PLFSS et il a manifestement compris que ce serait mal vécu. Ce ne sont pas les syndicats, ni l’opposition qui l’a convaincu, mais son ami Bayrou et la menace de ne pas avoir les voix du MoDem, qui lui sont indispensables. Il ne veut pas non plus d’un projet de loi qui laisserait plus de temps à la discussion. Cela lui permettrait simplement de faire en janvier ce qu’il ne peut pas faire en octobre. » Un tour de passe-passe parlementaire qui présente des avantages certains pour l’exécutif d’un point de vue technique, mais qui interroge politiquement, à un moment où le gouvernement semble tâtonner et ne pas arriver à prendre cette réforme par le bon bout. « C’est encore un ballon d’essai pour voir les réactions », analyse René-Paul Savary. Pour le moment, on temporise dans la majorité présidentielle. Un cadre de la Macronie ne veut pas « spéculer » une annonce qui n’est pour l’instant que de « source journalistique » et réfute une éventuelle fuite de l’Elysée en estimant que si c’était pour « lancer un ballon », un ministre aurait pris la parole.

« Emmanuel Macron n’arrive pas à convaincre ne serait-ce que sa majorité, c’est quand même un problème »

Toujours est-il que passer par un texte budgétaire reste un « vrai problème », pour René-Paul Savary. « Les retraites, c’est un vrai sujet sociétal et pas seulement une question financière », ajoute-t-il. Le sénateur LR fait ainsi référence aux limites imposées au débat parlementaire dans les textes budgétaires. Le Code de la Sécurité sociale, modifié par une récente loi organique, liste en effet les dispositions « relatives aux recettes et à l’équilibre général » qui peuvent figurer dans une loi de financement (article LO 111-3), mais également celles qui ont un effet sur les « dépenses des régimes obligatoires de base » (article LO 111-3-8). La suppression des régimes spéciaux pourrait donc être sur la table, mais toutes les mesures concernant la pénibilité, les carrières longues, ou bien certaines retraites complémentaires pourraient être censurées par le Conseil constitutionnel si le gouvernement n’arrivait pas à suffisamment les rattacher à des enjeux financiers. « Cela limite les évolutions que peuvent proposer les parlementaires. Même au niveau des partenaires sociaux, cela va donner une vraie fausse concertation. C’est une très mauvaise nouvelle », regrette René-Paul Savary.

Entre les tensions dans la majorité et les pirouettes sur la méthode à adopter, cette réforme des retraites a tout du bourbier pour Emmanuel Macron. « Il n’arrive pas à convaincre ne serait-ce que sa majorité, c’est quand même un problème », lâche René-Paul Savary, qui y voit une véritable incapacité politique : « Emmanuel Macron est incapable de mettre sur la table un véritable projet, permettant d’avoir une certaine vision de l’évolution de notre système de retraites par répartition dans l’avenir au-delà de l’angle financier. » Monique Lubin estime pour sa part que la partie consacrée aux retraites dans une loi de financement de la sécurité sociale est « minime » et qu’il est donc « ridicule » de passer par ce véhicule législatif : « La technique c’est difficile à expliquer, mais ce n’est pas neutre. Un amendement en PLFSS, rectificatif ou pas, cela se discute en quelques minutes, on ne va parler que de chiffres. Avec un projet de loi, on en parle en amont, cela laisse le temps aux partenaires sociaux de mobiliser, d’étudier les conséquences sur l’emploi des séniors ou les autres comptes publics, de la qualité de vie, du montant des retraites. Cela ne se fait pas autour d’une loi de finances, fût-elle rectificative. » Côté majorité présidentielle, un cadre assure que le gouvernement pourrait « tout traiter » dans un budget de la Sécu, des carrières longues, aux carrières hachées, en concédant tout de même ne pas pouvoir toucher aux régimes spéciaux et aux retraites complémentaires.

« Le sujet mériterait une belle discussion démocratique, que nous n’aurons pas avec ces artifices »

Le gouvernement semble vouloir expliquer que cela donnerait tout de même le temps de la concertation avec les partenaires sociaux. « C’est l’excuse, ça », répond immédiatement la sénatrice socialiste. « Le calendrier parlementaire va être pris jusqu’à fin novembre par le budget et le budget de la Sécu, justement. Ensuite il y aura les fêtes de fin d’année, on sait comment ça se passe. Il y aura peut-être le temps pour une consultation, mais certainement pas une négociation. » D’après la membre du Conseil d’Orientation des Retraites (COR), le gouvernement saborde le débat public sur la question : « L’utilisation du rapport du COR est complètement biaisée. Ils ont décidé de faire une réforme des retraites, ils arriveront à la faire, et ils trouveront des moyens de la justifier, sur un sujet aussi technique. Mais ça doit d’abord se jouer entre les partenaires sociaux, et ensuite au Parlement. »

« Cela fait cinq ans que l’on parle de cette réforme, les syndicats ne seront pas plus d’accord en janvier », grince un parlementaire de la majorité présidentielle. Au Sénat, François Patriat, président du groupe RDPI / LREM, qui sera présent au dîner de la majorité où le sujet sera évoqué ce mercredi soir, explique que son groupe est « unanimement favorable à avancer vite », que ce soit dans le budget de la Sécu, ou « un texte qui ne passerait pas trop tard, en décembre ou en janvier », afin que « la réforme soit opérationnelle en juillet 2023. » Ce faisant, le gouvernement « se sortirait d’une passe délicate » par rapport à ses alliés du MoDem, analyse Monique Lubin, alors que le sujet mériterait d’après elle « une belle discussion démocratique, que nous n’aurons pas avec ces artifices », aussi ingénieux soient-ils.

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