Elle a été un des axes majeurs de la campagne présidentielle 2022 du candidat Macron, ses grandes lignes et son calendrier étaient attendus pour la rentrée. Et pourtant, au lendemain du séminaire de rentrée du gouvernement, où sont abordés les dossiers urgents de l’exécutif, la réforme des retraites n’est pas mise sur la table.
Olivier Véran, porte-parole du gouvernement, puis Elisabeth Borne, Première ministre, ont bien affirmé, le 31 août et le 1er septembre, que la réforme aurait « bien évidemment » lieu. Mais ils temporisent, mentionnant des « discussions » et une consultation approfondie des partenaires sociaux, pour des discussions qui commenceraient après le Conseil national de la refondation qui débute le 8 septembre.
Une réforme qui a du mal à se dessiner
Les grandes lignes de la réforme ne sont pas vraiment tracées, l’exécutif parle d’allongement de l’âge de départ à la retraite à 64 ou 65 ans, de la nécessité de « travailler plus longtemps ». Une des raisons invoquées par les défenseurs de cette réforme serait la nécessité de rééquilibrer les comptes, en déficit, du système de retraites. Le COR (Conseil d’orientation des retraites), dans un rapport dévoilé en avril, chiffre bien un déficit du dispositif, mais n’alerte pas sur la nécessité de le réformer.
Les syndicats, dont la CFDT, ont déjà manifesté leur hostilité à cette réforme. De son côté, le Medef, favorable au projet, juge que ce n’est plus une priorité. Le 30 août, à l’occasion de la rentrée de l’organisation patronale, Geoffroy Roux de Bézieux a en effet expliqué que la réforme de l’assurance chômage était prioritaire par rapport à celle des retraites.
Un gouvernement qui redoute « d’affronter l’opinion publique »
Les sénateurs sentent bien que le gouvernement avance avec prudence sur le dossier. Le sénateur (LR) de la Marne, René-Paul Savary, déplore une « une rétivité de la part du gouvernement » à aborder cette « réforme difficile ». « Il faut faire preuve de courage et affronter l’opinion publique et les partenaires sociaux », affirme-t-il. « Le gouvernement a eu peur de la rue ». Jean-Marie Vanlerenberghe, sénateur (UC) du Pas-de-Calais, analyse que le gouvernement a « peur d’y toucher ». « Le président avait déjà rétropédalé sur les 65 ans, aujourd’hui il le fait sur sa méthode : on sent qu’il est conscient qu’il ne faut pas agresser les syndicats », explique-t-il.
Cependant, pour la sénatrice (PS) des Landes, Monique Lubin, cette réforme se fera, quoiqu’il arrive. « La réforme des retraites est un serpent de mer qui revient régulièrement », dit-elle. Elle explique : « Le président la présente tantôt comme une urgence et tantôt il temporise. Dans le fond, je pense qu’Emmanuel Macron a envie de faire cette réforme, que c’est une question de principe. Il a abandonné sa première réforme pendant son premier quinquennat, mais tous les prétextes sont bons pour y revenir ». Par ailleurs, pour la socialiste, cette réforme serait un moyen pour Bruno Le Maire de tenir ses engagements pris devant les instances de l’Union Européenne de réduire les déficits.
Une réforme qui ne fait pas consensus au Sénat
Au Sénat, les groupes politiques ne sont pas sur la même ligne : si la droite et le centre sont plutôt favorables, même s’ils ne défendent pas tous un recul de l’âge légal de départ, la gauche s’oppose au projet.
Sans parler du fond de la réforme, la méthode envisagée par le gouvernement est fortement critiquée au Sénat. Pour René-Paul Savary, membre du COR, le gouvernement a « mal présenté les choses » en abordant le sujet par le recul de l’âge légal de départ à la retraite, ce qui a bloqué la réforme. « Ils ont d’abord abordé l’aspect technique avant de parler de vision politique, alors qu’il y en a besoin sur ce genre de sujet », explique-t-il. Dans la même veine, Jean-Marie Vanlerenberghe, également membre du COR, plaide pour une approche « homéopathique plutôt que chirurgicale » : ne pas brusquer l’opinion avec une réforme trop violente. « Il ne faut pas financer d’autres dépenses sociales avec cette réforme », ajoute-t-il. Pour Monique Lubin, « ce n’est pas un sujet prioritaire ». Les questions d’énergie et de pouvoir d’achat passent avant.
Si les deux sénateurs de droite et du centre estiment qu’il est important de ramener le régime de retraite à l’équilibre, ils n’envisagent pas de le faire de la même manière. Pour René-Paul Savary, la réforme des retraites est nécessaire, car le régime est déficitaire. « On ne peut pas vivre indéfiniment sur le dos de nos petits-enfants », ajoute-t-il. D’autant que d’après le sénateur, il y a urgence : « plus on attend pour faire cette réforme, plus son application sera différée. On ne peut pas annoncer 5 ans avant la retraite des gens qu’ils vont devoir travailler un trimestre de plus ». Jean-Marie Vanlerenberghe, lui, exprime depuis longtemps son désaccord avec les propositions du président concernant cette réforme. « Je pense qu’il faut simplement accélérer la réforme Touraine, explique-t-il, et dès 2035, certains partiront en retraite à 64 ans. Il faut bien cibler les besoins et les dépenses à venir. »
De l’autre côté de l’hémicycle, Monique Lubin, elle aussi membre du COR, considère que cette réforme n’est pas urgente et serait une « régression sociale ». Sur la question du déficit, elle explique : « on peut faire dire ce que l’on veut aux chiffres en fonction des critères retenus. Depuis la reprise post-pandémie, par exemple, les prévisions des déficits sont meilleures, elles sont très sensibles à la situation économique. » Avec le recul de l’âge de départ à la retraite, elle craint qu’on ne fasse travailler les Français bien trop vieux, les plus fragiles en tête. Elle déplore par ailleurs qu’on ne parle jamais des solutions alternatives à l’allongement de l’âge de départ à la retraite, comme « l’augmentation des taux de cotisation retraite en fonction des salaires, ou bien la péréquation des cotisations en fonction du salaire ».
Mais au rythme des interrogations, cette question pourrait bien rythmer la prochaine présidentielle… en 2027.