Réforme des retraites : le Sénat adopte l’index senior pour les entreprises de plus de 300 salariés

Réforme des retraites : le Sénat adopte l’index senior pour les entreprises de plus de 300 salariés

Le Sénat a adopté dans la nuit de dimanche à lundi l’article 2 de la réforme des retraites sur l’index sénior. Les sénateurs ont ramené à 300 salariés le seuil à partir duquel les entreprises devront publier l’index. La gauche a dénoncé un dispositif inconstitutionnel et qui ne « sert à rien », tandis que la majorité sénatoriale a timidement défendu une mesure qu’elle veut compléter par un CDI senior et qu’il faut laisser vivre dans le dialogue social.
Louis Mollier-Sabet

Par Louis Mollier-Sabet et Guillaume Jacquot

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Qu’ont en commun un numéro vert pour lutter contre la canicule l’été, le quai neuf trois quarts dans Harry Potter, et un cache-sexe ? Ils ont tous été comparés à l’index senior proposé par le gouvernement dans sa réforme des retraites, ce dimanche au Sénat. Si le dispositif proposé à l’article 2 du projet de loi a en effet été loin de faire l’unanimité, ce n’est pas vraiment à cause d’une opposition frontalement politique, contrairement à l’article 1er sur la suppression de cinq régimes spéciaux. Non, ce que la gauche a cette fois reproché à la mesure proposée par l’exécutif, c’est qu’elle ne servait à rien. « Je ne comprends même pas que l’on soit en train d’en discuter », tacle notamment la sénatrice écologiste Mélanie Vogel. « L’index ne remédiera pas aux représentations négatives liées à l’âge », ajoute la sénatrice Éliane Assassi, la présidente du groupe communiste, alors que la sénatrice socialiste Laurence Rossignol, qui confie « beaucoup aimer les index », regrette que « ça ne fasse pas une politique publique. »

Même du côté de la majorité sénatoriale, on défend timidement cet article rejeté par l’Assemblée nationale. « Pour tout vous dire, je ne suis pas un grand fan », lâche même le rapporteur LR du texte, René-Paul Savary, qui préfère mettre en avant des dispositifs comme le « CDI Senior », qui exonérerait de cotisations familles les employeurs qui embauchent une personne de plus de 60 ans en CDI. Le sénateur de la Marne donne par ailleurs rendez-vous aux sénateurs pour l'examen d'une future loi travail dans les prochains mois. Élisabeth Doineau, rapporteure générale centriste du budget de la Sécurité sociale, défend, elle une « responsabilisation des chefs d’entreprise », tout en concédant au micro de Public Sénat en marge de la séance que le CDI Senior de la majorité sénatoriale présenterait des résultats « beaucoup plus significatifs. »

L’article, qui était débattu depuis le milieu d’après-midi ce dimanche, a été adopté dans la nuit, peu avant 1 heure du matin, par 244 voix pour, et 96 voix contre.

Un seuil d’application rétabli à 300 salariés

Sur le fond, le texte met en place un « indicateur relatif à l’emploi des salariés âgés », appelé « index senior » obligatoire pour les entreprises de plus de 300 salariés dans la version votée par le Sénat. « Le seuil de 300, c’est le seuil de discussion au sein de l’entreprise, de la gestion prévisionnelle des emplois […] En dessous c’est un peu compliqué », a exposé le rapporteur LR René-Paul Savary. Dans la version transmise au Sénat, le gouvernement avait abaissé le seuil à 50 salariés, comme le souhaitait une majorité de députés avant le rejet de l'article. Ce dimanche, le gouvernement a finalement adressé un avis de sagesse à la modification proposée par les rapporteurs du Sénat. Retour donc au seuil présent dans la version initiale du projet de loi.

Cet index sera obligatoire dès novembre 2023 pour les entreprises de 1000 salariés. Les entreprises dont les effectifs sont compris entre 300 et 1000 auront un peu plus de temps pour se préparer, le projet de loi fixant l'obligation pour la publication de l'index à partir de juillet 2024.

Une pénalité en fonction de la masse salariale est prévue en cas de non-publication, mais pas en cas de résultats insuffisants sur l’emploi des séniors. Le pari de la « responsabilisation des entreprises » sans contrainte ou sanctions financières n’a évidemment pas enchanté la gauche sur le principe. Mais en l’espèce, le problème est encore plus profond.

Déjà, l’article avait été rejeté par l’Assemblée nationale en première lecture. Si le texte avait été une loi ordinaire examinée jusqu’à son terme par la chambre basse, cet article n’aurait donc pas figuré dans la version transmise au Sénat. Mais le gouvernement ayant eu recours à l’article 47-1 au terme des délais prévus pour un budget de la Sécurité sociale, l’index senior a pu être réintégré dans la version du texte transmise au Sénat. « Le gouvernement se plaint de l’obstruction mais quand un article est voté et rejeté, ça ne vous intéresse pas. Moi je ne comprends pas », a notamment protesté Mélanie Vogel.

Surtout, l’article 2 représente un risque de censure par le Conseil constitutionnel, comme le confirme l’avis du Conseil d’Etat qui a fuité dans Le Monde, et que René-Paul Savary a pu consulter, comme il l’a admis ce samedi en séance. « Cette note ne contient rien de scandaleux, quelques dispositions sur l’index des séniors […]. Ce sont des alertes tout à fait courantes qui ne remettent pas en cause les discussions que nous avons au Sénat », précisait le rapporteur du projet de loi interpellé par la gauche dans la nuit de samedi à dimanche.

« Nous allons discuter d’un index sénior manifestement inconstitutionnel »

L’index senior ne représentant pas de nouvelles dépenses ou recettes pour les comptes de la Sécurité sociale sur l’année 2023, le Conseil constitutionnel pourrait en effet censurer la mesure au motif qu’elle n’a pas sa place dans un budget rectificatif de la Sécurité sociale pour 2023. Le sénateur LR, qui a pu consulter cette note en tant que président de la mission d’évaluation de la Sécurité sociale du Sénat, a assuré ce dimanche qu’il était « conscient » des risques d’inconstitutionnalité, mais qu’il n’y « avait pas de problème » à examiner cet article. Les sénatrices et sénateurs de gauche présents étaient loin de partager son avis.

« Le véhicule législatif choisi est proprement scandaleux. Nous allons discuter d’un index sénior dont l’avis du conseil d’Etat que nous n’avons pas dit qu’il est manifestement inconstitutionnel. […] L’emploi des seniors, voilà un beau sujet. Manque de chance, nous sommes dans un budget rectificatif de la Sécu, donc ce débat, nous allons le mener à partir de l’article 2. Mais vous avez évacué les amendements qui présentaient une vision alternative de ce travail. Le détournement de procédure auquel vous vous livrez malmène les possibilités que nous avons dans notre travail », a notamment tancé le sénateur écologiste Daniel Breuiller.

La gauche s’est en effet vu censurer des amendements sur l’index des séniors au motif qu’ils n’avaient pas d’impact sur les dépenses ou les recettes de la Sécurité sociale… ce qui est précisément le problème constitutionnel posé par l’index sénior lui-même.

« Nous avons écouté les partenaires sociaux pour ne pas tout rejeter d’un revers de main »

Olivier Dussopt est resté bien silencieux sur les risques d’inconstitutionnalité et a principalement défendu un index des séniors qui misait sur le dialogue social et une construction du dispositif par les partenaires sociaux. « La CFDT a regretté cette suppression de l’index. On renvoie au dialogue social pour la fixation des critères et leur adaptation », a notamment expliqué le ministre du Travail. « La CFDT est attachée à l’index. Nous avons consulté énormément, cela fait quatre ou cinq ans que certains d’entre nous se penchent sur le sujet. Nous avons écouté les partenaires sociaux pour prendre en compte cet index et ne pas tout rejeter d’un revers de main », a ajouté René-Paul Savary.

Olivier Henno, qui a travaillé sur ces questions pour la majorité sénatoriale, a lui aussi voulu défendre une mesure qui « ne doit pas trop être encadrée », mais que le paritarisme « doit faire vivre. » Le sénateur centriste ne « désespère » pas d’un dispositif qui doit représenter « du grain à moudre » pour l’emploi des séniors dans l’année à venir. « Le paradoxe c’est l’incohérence. Celles et ceux qui étaient pour sa suppression et qui veulent l’étendre à toutes les entreprises », a-t-il notamment lancé à la gauche qui défendait des amendements pour étendre le dispositif aux petites et moyennes entreprises.

Comme leurs collègues de gauche, les membres de l'Union centriste et sénateurs du RDPI (majorité présidentielle) ont échoué à rendre l'article plus coercitif. Ils souhaitaient rendre obligatoire la négociation d'un accord ou d'un plan d'action, en cas d'absence de progression ou de détérioration des indicateurs sur l'emploi des seniors dans une entreprise. Leurs amendements ont été rejetés.

Ce lundi matin, le Sénat va examiner la proposition de la commission des affaires sociales de « CDI senior » ou « contrat de fin de carrière ». Après avoir examiné 258 amendements ce dimanche, il reste désormais 3011 amendements à débattre pour les sept dernier jours d'examen de la réforme.

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