Les groupes politiques du Sénat opposés à la réforme des retraites se concentrent pour le moment sur la commission mixte paritaire (CMP) du 15 mars. Avec 10 parlementaires sur les 14 membres de cette instance favorables à la réforme, les opposants au texte ne se faisaient guère d’illusions ce mardi sur l’issue. La CMP sera vraisemblablement conclusive. Le texte qui en sortira sera soumis au vote successivement au Sénat, puis à l’Assemblée nationale ce jeudi. Tous les doutes sont permis sur ce que les députés décideront et sur l’utilisation ou non d’une adoption au travers de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution.
En cas d’adoption définitive, la gauche sénatoriale dispose encore d’outils pour s’opposer à la réforme. Avec un minimum de soixante signatures de sénateurs, elle peut saisir le Conseil constitutionnel sur le projet de loi dans les jours suivant l’adoption définitive. Dès le 7 mars, le patron des sénateurs socialistes, Patrick Kanner, a annoncé son intention de déposer un recours global. La loi devra être déférée dans un délai maximum de 15 jours, mais avant sa promulgation par le président de la République. « On négocie quelques jours avec le Conseil constitutionnel », fait savoir un membre du groupe PS. Comme expliqué dans ses « Nouveaux cahiers », le Conseil constitutionnel informe les « autorités chargées de la promulgation » qu’une demande de saisine est sur le point d’être déposée.
« On collecte tout ce qu’on peut »
Le principe n’est pas encore formellement acté mais une saisine commune pourrait être engagée : les trois groupes de gauche, socialistes, communistes et écologistes ont déjà porté ensemble cette action par le passé. À ce stade, la préparation de l’argumentaire et de la liste des motifs de la saisine s’engage à peine. Disposant de davantage de moyens et d’effectifs que ses deux alliés, le groupe socialiste est à la manœuvre. Plusieurs juristes ont été approchés.
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Chaque groupe va en tout cas apporter de l’eau au moulin de la saisine. « On collecte tout ce qu’on peut », nous confiait la semaine dernière un conseiller du groupe écologiste. « On a des éléments à fournir », souligne-t-on également au groupe communiste.
Depuis la présentation du projet de loi en Conseil des ministres, la liste des griefs s’est accumulée selon les groupes de gauche. Au départ, les parlementaires de l’opposition épinglaient le véhicule législatif retenu pour la réforme, à savoir un projet de loi de financement de la Sécurité sociale rectificative. Le cas particulier de l’article 2, introduisant un index senior dans les grandes entreprises, a aussi beaucoup été invoqué comme un exemple flagrant de cavalier social, c’est-à-dire un dispositif sortant du champ d’une loi budgétaire. Le recours à un temps de débat contraint par l’article 47-1 de la Constitution est l’une des autres grandes critiques exprimées.
Le principe de sincérité des débats n’a pas été respecté, selon la gauche
D’autres interrogations se sont empilées. Les conditions d’examen, la semaine dernière, ont visiblement donné d’autres arguments à la gauche pour contester la constitutionnalité du projet de loi. Il a beaucoup été question du principe de sincérité et de clarté des débats. La nuit du 7 au 8 mars, lorsque l’article 7 sur le report de l’âge légal à 64 ans a été débattu, fera à coup sûr partie des moments passés à la loupe pour la saisine du Conseil constitutionnel. La gauche a notamment reproché à la commission des affaires sociales le dépôt d’un amendement réécrivant l’article, pour accélérer les débats. Les sous-amendements déposés sur l’article ont été déclarés irrecevables. « Cet amendement a été adopté sans respecter les exigences de sincérité et de clarté demandées par le Conseil constitutionnel », a épinglé alors le 8 mars la sénatrice socialiste Laurence Rossignol. « Là, on était en zone plus que grise », considère un conseiller.
La séance sur l’article 7 a également été marquée par l’activation de l’article 38 du règlement du Sénat, ayant pour effet de limiter les prises de parole, face aux milliers d’amendements déposés par la gauche. Là encore, Patrick Kanner a considéré que cette disposition portait atteinte aux « exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire ». Et de prévenir l’hémicycle : « Nous déposerons un recours devant le Conseil constitutionnel. »
Le 9 mars, lors des débats sur l’article 9, c’est une autre procédure qui a généré l’incompréhension sur les bancs de gauche : l’appel en priorité d’un amendement de la commission des affaires sociales, avant les amendements de suppression de l’article. Ces derniers sont tombés dans la foulée de son adoption. « On est vraiment sur une problématique constitutionnelle », dénonçait le président du groupe écologiste Guillaume Gontard, au milieu d’une série houleuse de rappels au règlement. La veille, il déplorait des « irrégularités ».
Rebelote avec l’utilisation à deux reprises de l’article 44 alinéa 2 de la Constitution par le gouvernement pour faire tomber des sous-amendements non examinés par la commission des affaires sociales. « Monsieur le ministre, vous fragilisez l’article 9, car le Conseil constitutionnel examinera nos débats dans le détail », mettait alors en garde le communiste Pierre Ouzoulias.
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