Une séquence compliquée risque de bientôt s’ouvrir. Les syndicats ne s’y sont pas trompés, en multipliant ces derniers jours les mises en garde. À commencer par Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT. « Lancer de façon verticale, brutale le report de l’âge de départ à la retraite, c’est mettre le feu au pays », lançait-il le 8 septembre sur l’antenne de RTL. Sur ce chantier qu’il a promis de relancer pendant la campagne présidentielle, Emmanuel Macron veut aller vite, visant une entrée en application dès l’été 2023. Face à une centaine de journalistes de l’Association de la presse présidentielle, le chef de l’État a commencé à planter le décor. Il s’agira d’un « un moment douloureux », cette réforme « ne fait plaisir à personne ».
Selon plusieurs médias, l’Élysée n’exclut pas de placer la réforme des retraites au sein le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), discuté chaque année au Parlement durant les mois d’octobre et de novembre. Sa présentation est attendue pour la fin du mois de septembre. Ce mardi, Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée chargée des personnes handicapées, sur Radio J, n’a pas non plus écarté une réforme dès cet automne. « On ne précipite rien, et visiblement on est dans un mur budgétaire. »
Ce scénario pourrait constituer un casus belli. « Si le gouvernement décide, par le biais du PLFSS, d’avoir une mesure de report de l’âge légal, la CFDT appellerait à la mobilisation et serait déterminée à faire reculer le gouvernement », martelait la semaine dernière Laurent Berger. Ce lundi, alors qu’ils étaient reçus au ministère du Travail pour recevoir la feuille de route du gouvernement avant le lancement des concertations, les syndicats ont averti l’exécutif. Pour Michel Beaugas, secrétaire confédéral à Force ouvrière (FO) toute mesure « cachée » dans le budget de la Sécu « serait dangereuse et entraînerait une forte mobilisation ».
Nouveaux échanges entre le gouvernement et les partenaires sociaux, dans la foulée de la remise du rapport du COR
Le gouvernement doit d’ailleurs revoir les partenaires sociaux le 19 septembre pour discuter des modalités de l’allongement de la durée de cotisation, sur la base des données contenues dans le nouveau rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR). « Le système de retraite français n’est pas équilibré financièrement. Il est même structurellement en déficit », avertissait ce lundi le ministre du Travail Olivier Dussopt, dans un entretien au Point.
Dans un rapport ayant fuité dans plusieurs médias, le COR présente une situation rassurante à court terme. Le système de retraite a dégagé un excédent de 900 millions d’euros l’an dernier, pour la première fois depuis la crise de 2008. Le surplus pourrait même représenter 3,2 milliards cette année. Mais le régime va « se dégrader sensiblement » dès 2023, n’entrevoyant pas de retour à l’équilibre vers le milieu des années 2030, dans le meilleur des cas. Cette année, le rapport est d’ailleurs « marqué par de nouvelles hypothèses […] plus défavorables sur le long terme », notamment pour ce qui est des gains de productivité. Le COR rappelle toutefois à plusieurs reprises que ses résultats « doivent être interprétés avec prudence ».
« Plus on tarde à prendre des décisions, plus les décisions sont brutales », insiste René-Paul Savary
Membre du COR, le sénateur LR René-Paul Savary estime que le rapport 2022 n’est « pas plus rassurant » que celui de l’an dernier, et pousse, lui aussi, pour l’adoption de mesures rapides. Le rapporteur pour la branche vieillesse de la Sécurité sociale est d’ailleurs coutumier des tentatives de rétablissement l’équilibre du régime de retraite à travers le PLFSS. Chaque année, il défend au nom de la majorité sénatoriale un amendement pour reculer l’âge légal de départ à la retraite (relire notre article sur le projet de loi de l’an dernier), tentative sur laquelle revenait systématiquement le gouvernement à l’Assemblée nationale. « Plus on tarde à prendre des décisions, plus les décisions sont brutales […] On ne va pas reculer devant nos responsabilités », prévient le sénateur de la Marne.
Le président du Sénat, Gérard Larcher, est lui aussi d’avis qu’il n’y a pas d’autre choix et qu’il faut désormais « dire la vérité aux Français ». « Soit on diminue les retraites et les cotisations – c’est impossible dans cette ambiance d’inflation – soit on augmente le temps de cotisation, et donc de travail, en étant attentif aux carrières et aux métiers pénibles », expliquait-il la semaine dernière sur les ondes de France Inter. Attaché au dialogue social, l’ancien ministre du Travail a d’ailleurs exposé une méthode similaire à celle que la majorité sénatoriale avait défendue l’an dernier. « Nous ouvrons la porte, comme nous l’avions fait l’an dernier, d’abord à la négociation avec les partenaires sociaux, et à une conférence de financement ». Gérard Larcher a également rappelé quelles étaient les mesures paramétriques susceptibles d’être défendues une fois encore cette année : relèvement progressif de l’âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans, passage à 43 années de cotisation dès la génération 1966 au lieu de 1973, et pour finir, une convergence des régimes spéciaux en dix ans.
Il y a près d’un an, le gouvernement avait estimé que le contexte était inopportun pour introduire de telles mesures. « Une telle réforme ne peut être engagée qu’une fois la situation sanitaire totalement sous contrôle et doit être soumise à un intense débat démocratique », faisait valoir Adrien Taquet. Le secrétaire d’Etat avait également ajouté qu’une réforme des retraites ne pouvait faire l’impasse sur les « enjeux d’équité ». Selon Le Monde, l’Élysée songe à prendre en compte la situation des carrières longues et des « carrières fracturées ».
Le sénateur LR René-Paul Savary plaide pour des mesures incitatives en parallèle. « Pour que ce soit acceptable, il faut prendre des mesures compensatoires. Il faut les accompagner de mesures pour l’emploi des seniors, de ceux qui sont en difficulté », insiste-t-il. La question des retraites devrait être abordée les 15 et 16 septembre, lors des journées parlementaires LR à Biarritz.
« En faisant cela, Emmanuel Macron agirait en véritable pyromane », redoute la socialiste Monique Lubin
De l’autre côté de l’hémicycle du Sénat, la réforme des retraites, qui plus est par l’intermédiaire du PLFSS, est presque vécue comme un affront. « Ça serait terrible. En faisant cela, Emmanuel Macron agirait en véritable pyromane. C’est prendre le risque de générer une crise sociale extrêmement dure dans le pays », s’indigne la sénatrice PS Monique Lubin, épinglant un « manque de respect total vis-à-vis des partenaires sociaux ». Sur la méthode, elle ne veut pas entendre parler d’un débat au sein du PLFSS, hypothèse qu’elle juge « inconcevable ». « On se priverait de tout débat en utilisant ce texte. Les retraites méritent un vrai débat et certainement pas dans le PLFSS en catimini », dénonce-t-elle. Les sénateurs communistes sont sur la même ligne. Dans un communiqué, le groupe dénonce « l’allongement de la durée de cotisation pour la retraite » qui « ne doit pas passer en catimini dans le budget de la Sécurité sociale pour 2023 ».
La dernière réforme des retraites, la réforme dite Touraine de 2014 allongeant progressivement la durée de cotisation jusqu’à 172 trimestres, avait fait l’objet d’un projet de loi spécifique. Pour le cas du Sénat, six journées de débat avaient été réservées dans l’ordre du jour.
Le groupe socialiste du Sénat est d’ailleurs demandeur d’un « échange franc » avec le gouvernement sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Leur président, Patrick Kanner a écrit à la Première ministre Élisabeth Borne pour que « les dialogues de Bercy », concertation qui réunit les commissions des Finances avec le ministre de l’Economie, en vue du débat budgétaire, s’étendent également au projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Patrick Kanner a rappelé l’importance du texte, qui « fixe, entre autres, l’équilibre et la trajectoire de notre modèle social ».