Réforme du mode de scrutin à Paris, Lyon et Marseille : le Sénat rejette à nouveau un texte qualifié de « tripatouillage » pour « Rachida Dati »

Les sénateurs, de droite et de gauche, se sont opposés avec force à la réforme du mode de scrutin voulue par le gouvernement pour Paris, Lyon et Marseille. Malgré l’opposition farouche de la « chambre des territoires », le gouvernement défend cette réforme, à moins d’un an des municipales de 2026.
François Vignal

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C’est une opposition franche entre les deux chambres. Le Sénat a de nouveau rejeté, en nouvelle lecture, la réforme du mode de scrutin pour les municipales à Paris, Lyon et Marseille, alors que les députés l’ont adopté lundi, comme en première lecture.

Les sénateurs ont même fait un sort au texte. Ils l’ont dépecé, rejetant chaque article – l’article 1 a ainsi été rejeté par 247 voix contre et 86 pour – vidant ainsi la proposition de loi de toute substance, ce qui revient à rejeter l’ensemble du texte. Le texte va maintenant repartir dès ce jeudi à l’Assemblée, pour un dernier passage devant les députés qui devraient adopter définitivement la proposition de loi.

Un scrutin « plus lisible », qui « rétablit un principe simple : un électeur, une voix »

Ses défenseurs ont eu bien du mal à se faire entendre. Le nouveau mode d’élection sera « plus lisible », assure ainsi le ministre des Relations avec le Parlement, Patrick Mignola, avec l’idée de « rapprocher l’élection des maires du droit commun, pour améliorer la vie démocratique de notre pays ». S’appuyant sur un sondage, il ajoute que « 90 % des habitants sont en faveur de cette réforme ».

« Cette proposition de loi (PPL) rétablit un principe simple : un électeur, une voix », ajoute pour le groupe RDPI (Renaissance), la sénatrice de la Guadeloupe, Solanges Nadille, qui ajoute, sous les critiques de la gauche, qu’« à Paris, comme à Marseille, l’histoire électorale montre qu’on peut devenir maire sans majorité des voix exprimées, à l’échelle de la ville ».

« Pyramide de mensonges »

Pour les opposants au texte, il s’agit ni plus ni moins que d’un « tripatouillage » du mode de scrutin, organisé par et au profit des macronistes et de la ministre de la Culture, Rachida Dati, qui ambitionne d’être la candidate du socle commun dans la capitale. Elle a fait l’objet de nombreuses attaques en règle de la gauche.

« Cette session extraordinaire est faite pour Madame Dati », a raillé la sénatrice PS de Paris, Marie-Pierre de la Gontrie, alors que le texte audiovisuel revient dès ce jeudi au Sénat. « Je regrette que ne soit pas représentée à vos côtés la membre du gouvernement pour qui ce texte est fait. Car il faut dire les choses telles quelles sont : vous ne faites cela que pour, peut-être, […] que Madame Dati réussisse enfin à se faire élire maire de Paris », a lancé Marie-Pierre de la Gontrie (voir la première vidéo).

« Ce débat, ce texte aura été assis sur une pyramide de mensonges, depuis le départ. Le mensonge selon lequel le maire de Paris aurait été élu par une minorité. Chacun sait que c’est faux », ajoute son collègue parisien, Rémi Féraud, qui a brigué l’investiture PS pour les municipales.

« Voilà qui est assez pathétique »

« Dans quelques mois, vous ne serez plus ministre. Et François Bayrou ne sera plus premier ministre car vous aurez été censuré. Et que restera-t-il de votre bilan ? Tripatouillage des modes de scrutin de Paris, de Lyon et de Marseille. […] Voilà qui est assez pathétique », dénonce le sénateur communiste Ian Brossat, lui-même candidat à la mairie de Paris (voir vidéo ci-dessous), qui ajoute :

 Vous êtes convaincus que pour élire Madame Dati à la mairie de Paris, il est besoin de changer le mode de scrutin. 

Ian Brossat, sénateur PCF de Paris.

Si les écologistes sont sur le fond « pour un changement du mode de scrutin », ils ont tout aussi dénoncé ce texte. « Vanter un retour au droit commun et en fait garder ces trois villes dans un statut dérogatoire, en modifiant la prime majoritaire pour s’assurer des voix du RN, ce n’est pas du tripatouillage ? » a demandé le sénateur Les Ecologistes des Bouches-du-Rhône, Guy Benarroche, qui dénonce les « manœuvres » du gouvernement avec « une accélération foudroyante » du calendrier parlementaire, « pour être adopté dès demain matin ».

« Le premier ministre a menti ! »

La droite n’a pas été en reste et ses sénateurs ont su aussi appuyer sur les points sensibles. « Nous n’avons pas eu un débat parlementaire mais plutôt quelque chose qui s’apparente à un vaudeville », a lancé Mathieu Darnaud, président du groupe LR. La rapporteure LR du texte, Lauriane Josende, a dit « regretter profondément ce passage en force », pointant le « risque juridique, le coût financier et la quasi-suppression des arrondissements ». Sa collègue des Bouches-du-Rhône, Valérie Boyer, y voit aussi un « tripatouillage électoral, avec un texte mal ficelé ».

« Je n’imaginais pas entendre dans une séance des gens mentir, car le premier ministre a menti ! Il est un homme sans parole et sans aveu », tonne son collègue Francis Szpiner, ancien maire du 16e arrondissement de Paris, qui entend se présenter face à Rachida Dati aux municipales. Regardez :

L’avocat fait ici référence aux propos tenus le 19 février par François Bayrou, qui avait dit qu’il « n’imagin (ait) pas qu’un texte puisse être adopté sur ce sujet sans qu’il y ait accord de l’Assemblée nationale et du Sénat ». Citation répétée trois fois de suite par l’écologiste Antoinette Guhl, histoire de bien insister, face au ministre, qui a simplement assuré « qu’on ne peut pas faire d’un cas ponctuel une généralité », rappelant, pour passer la pommade, les textes du Sénat que le gouvernement a repris à son compte : PPL narcotrafic, PPL Gremillet sur le nucléaire et PPL Duplomb sur l’agriculture.

« Prime majoritaire de 25 %, dérogatoire au droit commun, où elle est de 50 % »

Stéphane Le Rudulier, sénateur LR des Bouches-du-Rhône, a lui insisté sur les risques d’inconstitutionnalité du texte, entre une « complexité du mode de scrutin qui portera atteinte à sa sincérité » et « cette prime majoritaire de 25 %, dérogatoire au droit commun, où elle est de 50 % ».

Autre reproche entendu à de nombreuses reprises dans la bouche des sénateurs : la réforme intervient à moins d’un an de l’élection municipale de mars 2026, alors que la pratique veut qu’on ne touche pas aux règles dans les douze mois qui précèdent le scrutin.

Pour tenter d’amadouer les sénateurs, le gouvernement a promis une « mission flash sur la définition des compétences des maires d’arrondissement » et « un projet de loi sur le mode d’élection des sénateurs pour adapter le mode de désignation du corps électoral » dans les trois communes, pour les sénatoriales de 2026. En vain.

Bras de fer entre Assemblée et Sénat

Durant le parcours législatif du texte, un véritable bras de fer entre Assemblée et Sénat s’est engagé sur cette réforme politiquement sensible. Après un premier désaccord en première lecture, la commission mixte paritaire a fait long feu. Elle s’est conclue par un cuisant échec, en à peine plus de quinze minutes. Ce qui revient, politiquement, à claquer la porte. Les sénateurs n’ont pas voulu bouger.

Mais dans ce rapport de force, députés et sénateurs ne jouent pas à armes égales. Car à la fin, c’est toujours – sauf réforme constitutionnelle où les textes doivent être adoptés dans les mêmes termes par les deux chambres – les députés qui gagnent. Les institutions donnent en effet la possibilité au gouvernement de donner le fameux dernier mot, à l’Assemblée nationale. Et c’est bien ce qu’il va se passer sur cette proposition de loi « PLM », en dépit de l’engagement du premier ministre, François Bayrou, de ne pas aller contre le Sénat. Le texte repasse par la case Assemblée, dès ce jeudi matin. Une célérité rarement vue.

Les oppositions habituelles volent en éclat

Les sénateurs ont eu beau rappeler que l’exécutif ne pouvait pas aller contre l’avis Sénat, qui représente les collectivités, selon la Constitution, sur un tel sujet. Mais dans les faits, le gouvernement peut passer outre « la chambre des territoires ». Il s’agit davantage d’une pratique, qui veut que l’exécutif soit à l’écoute de la Haute assemblée quand il s’agit de collectivités territoriales.

Sur ce texte, les oppositions habituelles ont volé en éclat. A l’Assemblée, c’est un attelage baroque, formé notamment de Renaissance, du RN et de LFI, qui lui a donné une majorité. Au Sénat, une autre alliance de circonstance a fait front. Droite sénatoriale, qui fait pourtant partie de la majorité du socle commun, et socialistes se sont opposés avec force à la PPL du député Renaissance de Paris, Sylvain Maillard. Mais leurs arguments n’ont pas convaincu le gouvernement, qui entend modifier ce mode de scrutin à part, qui date de 1982.

Un mode de scrutin plus direct

Dans ces trois grandes villes, les électeurs n’élisent pas directement leur maire, comme partout ailleurs, mais votent par arrondissement, ou secteur, pour une liste pour désigner des conseillers qui siégeront dans les conseils d’arrondissement. Les premiers de la liste siègent aussi au conseil de la mairie central. Charge à eux d’élire le premier édile.

Le mode de scrutin que veulent mettre en place les macronistes prévoit à la place deux scrutins : l’un pour élire les conseillers d’arrondissement ou de secteur, l’autre pour élire sur une circonscription unique les conseillers qui siégeront à la mairie centrale.

Ce texte, dont l’adoption définitive est certaine, s’appliquera donc dès les prochaines municipales. Le candidat qui vient d’être désigné par le PS pour succéder à Anne Hidalgo, le député Emmanuel Grégoire, y est sans surprise opposé. Rachida Dati, qui a par ailleurs obtenu gain de cause sur sa réforme de l’audiovisuel avec un retour rapide devant le Sénat, dès ce jeudi, peut déjà sabrer le champagne pour fêter cette – quasi – première victoire.

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