Les défaillances du système hospitalier public français, Inès Gay, infirmière aux urgences de l’hôpital Lariboisière depuis 4 ans peut en témoigner. Si ce n’était pas son secteur, elle était présente à l’hôpital la nuit du 17 décembre, cette nuit tragique où une femme de 55 ans a perdu la vie 12 heures après son arrivée aux urgences. Une enquête est en cours, alors les équipes de l’hôpital « ont débriefé de manière officieuse autour de cafés » mais n’ont pas encore « fait de véritable retour d’expérience ». Mais les dernières informations dévoilées par l’enquête pointent bien des dysfonctionnements dans le service des urgences ce soir-là. Et l’infirmière le confirme : « Sur les plannings, évidemment, il y avait des noms dans chaque case », mais elle relève un manque « de personnel médical et paramédical disponible pour traiter le nombre croissant de passages ». Pour Alain-Michel Cerreti, président de France Assos Santé qui regroupe 80 associations de patients et usagers de l’hôpital, ça ne fait pas de doute, non seulement l’hôpital va mal, mais « les choses se dégradent d’années en années ». Un sujet qui ne date pas d’hier. Déjà il y a 22 ans, il se souvient du collectif « infirmières en colère » qui militait pour manifester un mal-être, et prévenait du risque de « maltraitance » envers les patients qui planait sur le personnel soignant à cause de mauvaises conditions de travail. De son point de vue, ce n’est aujourd’hui plus un risque, c’est un fait. L’explication serait « cette folie à la fin des années 1990 et au début des années 2000 qui a voulu que le service public soit rentable », et il insiste : comment voulez-vous d’un côté avoir ce service qui est un service nécessaire, indispensable et voulu par les Français, et d’un autre côté avoir de la part des pouvoirs publics des consignes qui consistent à dire : maintenant vous allez être rentables ? Ça n’a pas de sens. »
« Comment voulez-vous d’un côté avoir un service nécessaire et voulu par les Français, et des pouvoirs publics qui donnent la consigne : maintenant vous allez être rentables ? Ça n’a pas de sens. »
Hôpital public : La logique de rentabilité n'a pas de sens #UMED
Quand Alain-Michel Ceretti pointe du doigt une incohérence entre la mission du service public de santé et la question de sa rentabilité, Inès Gay en explique les conséquences : « Il y a un grand nombre de turn-overs parce qu’il y a un grand manque de qualité de vie au travail, et c’est presque du volontariat d’aller travailler à l’hôpital public maintenant. C’est mal payé, ce sont des conditions de travail effroyables donc personne n’a envie d’y aller. ».
« C’est presque du volontariat d’aller travailler à l’hôpital public maintenant. C’est mal payé, ce sont des conditions de travail effroyables donc personne n’a envie d’y aller. »
« La durée de vie d’un infirmier dans sa profession c’est à peu près 5 ans » #UMED
« Chaque année, la nation met un peu plus d’argent dans l’hôpital. »
D’un autre côté, la France, qui compte 11.5 % de dépenses de santé et financement en 2017, fait partie des champions de l’OCDE dans ce domaine. Et comme le rappelle Aurélien Rousseau, directeur de l’Agence Régionale de Santé (ARS) de l’Ile-de-France « chaque année, la nation met un peu plus d’argent dans l’hôpital. ». Autre élément rassurant : en 2017, la France arrivait au 15e rang mondial des systèmes de santé sur une base de 168 pays selon une étude de l’Institute for Health Metrics and Evaluation. Alors, gardons en tête que l’hôpital public français est une chance. Le problème, pour le directeur de l’ARS, c’est que « le nombre de patients, lui, augmente encore plus vite » que les dépenses qu’on lui attribue. Mais pour le représentant des associations de patients, si on ne peut pas dire que l’hôpital français représente un danger plus important qu’avant, c’est parce qu’« il tient par l’extraordinaire don d’eux-mêmes des professionnels de santé qui y travaillent ». Alors, comment concilier ? Comment équilibrer les dépenses de l’hôpital public sans peser sur la sécurité des patients et du personnel ?
« L'hôpital public tient par l’extraordinaire don d’eux-mêmes des professionnels de santé qui y travaillent »
Objectif « ma santé 2022 » : quelles solutions pour une sortie de crise ?
Le président de la Fédération hospitalière de France, Frédéric Valletoux, le rappelle, selon Emmanuel Macron, «30% des dépenses de santé aujourd’hui sont des dépenses inadaptées qu’on devrait pouvoir économiser pour réinvestir là où on en a besoin ». Comment remédier à cette gestion du budget des hôpitaux largement améliorable ? Pour Aurélien Rousseau, en charge du dossier en Ile-de-France, « on bouge, et tout le monde doit bouger, par exemple dans l’évolution des modes de tarification ». Ce qui est en question ici, c’est la tarification à l’acte, mise en place depuis 2004 pour remplacer l’enveloppe globale remise aux hôpitaux chaque année. Une tarification « qui partait d’une bonne intention » d’après Frédéric Valletoux, parce qu’elle permettait de financer les hôpitaux en fonction de leur activité réelle. Mais son application poussait parfois les cadres de santé à favoriser certains hôpitaux et certains actes plus rentables que les autres, parfois au détriment des patients.
Frédéric Valletoux : La tarification à l'acte dans les hôpitaux « partait d'une bonne intention » #UMED
À ce sujet, le rapport Aubert remis cette semaine à la ministre de la santé dans le cadre de la réforme « Ma santé 2022 », préconise de revoir à la baisse la part de cette tarification, à hauteur de 50 %. Pour le directeur de l’ARS Ile-de-France, cela constitue une solution, tout comme la volonté de « pousser à l’organisation de la médecine de ville », qui se fait de plus en plus rare, et qui pèse sur l’engorgement des hôpitaux, souvent face à de la « bobologie ».
L'objectif de la réforme de la santé : « Pousser à l’organisation de la médecine de ville »
Mais pour Alain-Michel Cerreti, il faut aller encore plus loin : Sa question : « Qui aujourd’hui évalue ce qui se passe dans les hôpitaux ou dans les cabinets de médecins ? ». Son exemple est clair : « Le patient qui se fait poser une prothèse de hanche c’est pour mieux marcher », et mieux marcher au bout d’un mois ou au bout de six mois ne correspond pas au même service médical rendu. L’objectif sous-jacent : évaluer en amont et en aval la performance des hôpitaux, en plus de la satisfaction des patients lors de leur prise en charge sur place. C’est d’après lui cette méthode venue des États-Unis qu’appliquent 90 % des hôpitaux aux Pays-Bas, et elle semble porter ses fruits.
S’il est vrai que le chantier s’annonce complexe et urgent, notre regard ne devrait-il pas lui aussi évoluer sur l’hôpital ? Le président du regroupement de 80 associations de patients finira par conclure que si les patients en demandent beaucoup « c’est parce que la médecine de proximité disparaît, parfois au profit de rien ». Mais il reste confiant au vu de la réforme annoncée par le gouvernement Macron. L’ensemble des associations qu’il représente « porte et supporte la réforme » et considère « que c’est vers cette voie qu’il faut aller. » Une vision pleine d’espoir que tempèrent les syndicats infirmiers, qui ne voient pas la réforme d’un si bon œil.
France Assos Santé « porte et supporte la réforme de la santé d'Emmanuel Macron » #UMED