Régimes spéciaux : « N’hésitez pas, chers collègues, à venir nourrir les débats », raille la gauche face au silence de la droite
Le Sénat a commencé samedi matin l’examen du premier article du projet de loi sur la réforme des retraites, portant sur la suppression de plusieurs régimes spéciaux. Alors que les élus de gauche multiplient les prises de paroles, la majorité de droite et du centre continue de conserver le silence. Bruno Retailleau explique vouloir éviter de "tomber dans le piège" de la stratégie d’obstruction déployée par ses adversaires.
Le Sénat rentre dans le vif du sujet. Il aura fallu attendre ce samedi, troisième jour de l’examen en séance publique de la réforme des retraites, pour que les élus, après deux jours de chauffe consacrés à la discussion générale, à l’examen des différentes motions présentées par l’opposition et à un article liminaire sur les perspectives budgétaires de l’année, abordent enfin le premier article du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale. En l’occurrence l’un des points les plus controversés de la réforme avec le recul de l’âge légal de départ de 62 à 64 ans : la suppression à partir de septembre 2023 de cinq régimes spéciaux, à la RATP, dans les industries électriques et gazières, pour les salariés de la Banque de France, les clercs de notaires et les employés du Conseil économique, social et environnemental (Cese).
Sans surprise, la gauche a décidé d’engager une très large offensive sur cet article, visé par 356 demandes de modifications dont une cinquantaine d’amendements de suppression. C’est la sénatrice écologiste Raymonde Poncet Monge qui a ouvert les hostilités en réclamant un renvoi préalable devant la commission, estimant que l’impact de la suppression des régimes spéciaux devait être encore approfondi. « Nous avons eu des heures et des heures d’auditions, nous avons reçu l’ensemble des régimes spéciaux, nous avons pu leur poser un certain nombre de questions. Je pense que vous avez pu leur poser vos questions. Donc un retour en commission, c’est non ! », lui a répondu la rapporteure centriste Élisabeth Doineau.
La gauche renvoie dos à dos la suppression des régimes spéciaux et le régime autonome de retraite des sénateurs : « Nous ne sommes pas crédibles ! »
Au fil de leurs nombreuses interventions, les sénateurs de gauche se sont appliqués à essayer de démontrer que les différents régimes spéciaux ciblés par le projet de loi n’étaient pas liés à des privilèges mais correspondaient une compensation au regard de la pénibilité des métiers concernés. La sénatrice Marie-Noëlle Lienemann (Gauche Républicaine et socialiste) a ainsi reproché à l’exécutif de déployer « une vision idéologique de l’égalité, c’est-à-dire la toise pour tout le monde ! ». « Il ne s’agit pas d’une question financière puisque les gains tirés de cette suppression seront peanuts », a relevé le communiste Pierre Laurent. « La vérité, c’est qu’en supprimant les régimes spéciaux vous continuez à démanteler des services publics dont nous avons absolument besoin pour relever le pays et le sortir de la crise actuelle », a accusé l’ancien secrétaire national du PCF.
Rapidement, la question – sensible – du régime autonome de retraite des sénateurs, pointe son nez dans les débats. D’abord évoquée par l’écologiste Daniel Breuiller qui a fait planer, non sans arrière-pensée, la sourde menace d’une prochaine suppression : « Les salariés de la Banque de France ont un régime qui paraît beaucoup ressembler au nôtre cher collègues… Je me demande si ça n’est pas une tentative de commencer par le régime de la Banque de France pour, plus tard, s’attaquer au nôtre », glisse le sénateur du Val-de-Marne. Quelques minutes plus tard, l’ancien ministre socialiste des Outre-Mer, Victorin Lurel, va plus loin dans la charge : « Nous ne sommes pas crédibles ! », lance-t-il à l’attention de ses collègues de droite. « Comment dire aux uns qu’ils sont des privilégiés, des profiteurs, qu’ils n’ont pas de critères de pénibilité, et que nous, nous aurions un travail hyper-pénible, justifiant d’un régime autonome et très spécial ? Comment voulez-vous que les Français nous croient ? ». Ce débat ne devrait pas s’arrêter là, dans la mesure où une partie de la gauche sénatoriale réfléchit à déposer une résolution sur la fin du régime de retraite des sénateurs.
Majorité silencieuse
En face, la droite encaisse, serre les dents. Silencieuse, elle s’en tient à la méthode déjà mise en place vendredi : limiter les prises de parole pour éviter de rallonger outre mesure les débats, ce qui reviendrait à surenchérir sur la stratégie d’obstruction déployée par les groupes de gauche. Evidemment, du côté de l’opposition les attaques fusent à loisir. Le sénateur communiste Pascal Savoldelli évoque un « silence complice ». Grand amateur du ballon rond, Patrick Kanner ose une comparaison footballistique : « Curieuse ambiance encore une fois ce matin, comme dans un match de foot, parfois on regarde les équipes en fonction du temps de maîtrise de la balle. Manifestement, seule une partie de l’hémicycle maîtrise la balle. Je ne sais pas s’il y aura des tirs au but, je l’espère. En tout cas, n’hésitez pas mes chers collègues à venir nourrir les débats, moins pour nous que pour les Français qui attendent des clarifications… », tacle l’ancien ministre des Sports de François Hollande.
À plusieurs reprises, Bruno Retailleau, le président des LR au Sénat, se voit accusé de « bâillonner » son groupe. Pierre Laurent ose un rappel au règlement pour contester ce silence : « Est-ce que les LR estiment, avec leur attitude depuis hier, participer aux travaux du Sénat ? », lâche-t-il. De quoi faire sortir le président de séance, Roger Karoutchi, de ses gonds : il accuse le communiste de détourner le principe des demandes de rappel au règlement pour prendre la parole et faire sciemment patiner les discussions. Depuis le plateau, le sénateur des Hauts-de-Seine entend diriger la séance d’une main de maître. Il ne tolère aucun flottement : « 51 amendements identiques, deux minutes, c’est deux minutes ! », tempête-t-il lorsque le socialiste Jean-Yves Leconte tente d’aller au-delà de son temps de parole.
À mesure que la matinée avance, la position de la majorité sénatoriale de droite et du centre ne s’exprime qu’à travers les rares interventions des deux rapporteurs, Élisabeth Doineau (Union centriste) et René-Paul Savary (LR). La première rappelle notamment que les régimes spéciaux ont été instaurés « de manière provisoire ». « Est-ce que l’on vivait après la Libération comme on vit aujourd’hui ? Est-ce que ces métiers sont aussi pénibles aujourd’hui qu’ils l’étaient hier ? Non ».
« Je ne voulais surtout pas que l’on se quitte sans remercier les oppositions d’avoir tant de fois cité mon nom ! »
La gauche attire bientôt l’attention sur un amendement, le « n° 2057 rect.bis », déposé par Bruno Retailleau et qui vise à faire sauter « la clause du grand-père », un dispositif selon lequel les salariés embauchés sous un régime d’exception peuvent continuer à en bénéficier même après l’extinction de ce régime pour les nouveaux entrants. Depuis des semaines la droite ne fait guère mystère de sa volonté d’accélérer sur la convergence des régimes, quitte à aller plus loin que ce qu’envisage l’exécutif. Pourtant, ce fameux amendement n’a pas été déposé sur l’article 1 du projet de loi, mais après l’article 7, qui porte sur le décalage de l’âge légal de départ à la retraite. « Je me suis dit : c’est une erreur de rédaction », a relevé Laurence Rossignol. « Il eut été plus sincère d’écrire amendement ‘après le 7 mars’, date du mouvement social. Parce que ce dont vous ne voulez pas, c’est que votre amendement sur les régimes spéciaux soit discuté avant le mouvement du 7 mars ! ». En clair : la droite retarderait sciemment l’ouverture de ce débat pour éviter de crisper l’opinion avant la prochaine journée de mobilisation.
En fin de matinée, à quelques minutes de la pause déjeuner, Bruno Retailleau finit enfin par prendre la parole pour répondre aux nombreuses attaques dont il a été la cible. Beau joueur, le Vendéen joue la carte de l’ironie : « Je ne voulais surtout pas que l’on se quitte sans remercier les oppositions d’avoir tant de fois cité mon nom ! », sourit-il. Pour autant, il n’est pas question pour le LR de mettre fin au monologue que la gauche déroule sur ce premier article : « Nous ne tomberons pas dans le piège que vous nous tendez, vous voulez faire de l’obstruction, nous pas ! Nous voulons examiner l’ensemble du texte et donc nous réservons notre temps de parole pour défendre nos amendements et nos positions. »
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