Pression maximale sur les épaules de Jean-Laurent Felizia. Quelques heures après l’annonce des résultats du premier tour des régionales en Provence-Alpes-Côte d’Azur, le candidat à la tête d’une liste d’union de la gauche (EELV, PS, PCF, PRG, Place Publique) arrivée troisième a dans un premier temps annoncé vouloir se maintenir au second tour. Problème : les états-majors nationaux, des socialistes aux Verts, étaient formellement contre cette décision qui signifierait la mort du front républicain. « Les états-majors parisiens sont parfois déconnectés de la réalité du terrain », leur a rétorqué Jean-Laurent Felizia dimanche soir.
Jean-Laurent Felizia : « Je ne reculerai pas »
Ce lundi matin, le patron des Verts a haussé le ton, menaçant son candidat d’exclusion : « Il (le) sera, bien sûr, avec toutes les conclusions qui doivent être tirées ». Sur France Info, Julien Bayou a ajouté que « si cette liste venait à se maintenir, elle n’aura pas le soutien d’EELV, du PS ou du PCF ». Les patrons du PS Olivier Faure et du PCF Fabien Roussel ont de leur côté appelé au retrait de la liste. « On ne considère pas qu’on peut jouer cette élection aux dés, le risque Rassemblement national est trop élevé », a insisté le numéro un des écolos, en appelant de nouveau à « faire barrage » au RN. « Je ne reculerai pas devant cette nécessité », lui a répondu une nouvelle fois sur France Info Jean-Laurent Felizia, faisant valoir que « le sursaut républicain vaut mieux qu’un front républicain, qui efface les écologistes et la gauche de tout le paysage politique régional ».
Une attitude « irresponsable », a fustigé Olivier Faure sur France Inter. « Il n’y aura pas de socialistes au deuxième tour en région Paca », a-t-il assuré. Mais rien n’était moins sûr tant la liste de Felizia était secouée de turbulences. Dans la foulée du maintien, des partenaires de l’écologiste ont annoncé leur départ de la liste comme Place Publique, le parti de l’eurodéputé Raphaël Glucksmann. Après une réunion fédérale très tardive, les communistes ont dénoncé une « faute politique » de la part de Jean-Laurent Felizia. « La Fédération du PCF exprime fortement et clairement son désaccord devant ce qui nous apparaît comme une sous-estimation grave des conséquences d’une victoire du RN en PACA », a écrit dans une déclaration le Conseil départemental du PCF13. « Tout doit être fait pour écarter toute possibilité que le Rassemblement national accède au pouvoir dans notre région », ajoutaient-ils.
« Je n’ai pas le droit de jouer avec le feu »
Dimanche soir, Guy Benarroche, le sénateur écologiste des Bouches-du-Rhône proche de la liste Felizia, expliquait à Public Sénat que la décision « a été prise collectivement, quasiment à l’unanimité, avec les représentants de tous les partis. Même les socialistes. »
Le président sortant de Paca, le LR Renaud Muselier, a quant à lui, critiqué sur RTL « une aventure personnelle d’un individu qui se retrouve en haut de l’affiche », rejetant totalement une éventuelle fusion de listes. « Nous, on y réfléchirait », affirmait dimanche soir un poids lourd écolo local. Renaud Muselier a plutôt appelé Felizia à la « responsabilité ». Sans surprise, la majorité présidentielle, Christophe Castaner en tête, a étrillé la décision de l’écolo.
Et finalement, Jean-Laurent Felizia a cédé. Réuni avec ses soutiens en début d’après-midi lundi, le conseiller municipal EELV a annoncé le retrait sa liste, mettant fin au suspense. « Il n’y avait pas de bon choix », a expliqué Jean-Laurent Felizia vers 17 heures dans une déclaration à la presse. « Je n’ai pas le droit de jouer avec le feu pour l’avenir de nos enfants. Ce ne sont pas les pressions si dérisoires qui ont emporté la décision. C’est le souci de l’intérêt général », a-t-il poursuivi. Après avoir remercié les militants avec émotion, il a déclaré glisser un bulletin LR dimanche prochain : « Je voterai Renaud Muselier pour battre Mariani. »
Le retrait, la « mort dans l’âme »
Dans une ambiance de plomb, « la mort dans l’âme », les représentants de la liste avaient débattu pendant « deux heures ». « Des expressions très fraîches de la totalité des membres du comité de pilotage. La quasi-totalité des gens étaient convaincus que la meilleure solution était le maintien », souligne auprès de Public Sénat un participant. Mais face au risque du RN et d’être « cloué au pilori par l’ensemble des médias et des représentants politiques, nous avons décidé de retirer la liste », rapporte le sénateur écolo Guy Benarroche, qui a participé à la réunion. Triste et un peu en colère, le sénateur estime « que le retrait c’est donner à nouveau la main libre à un débat entre la droite et l’extrême droite ». « On pense que ce n’est pas la solution, on l’a expliqué à nos états-majors. Les candidats PS ne comprennent pas les positions nationales. Les états-majors nationaux ne comprennent absolument pas le regard qu’on a. En se retirant, on n’empêche pas les idées, les programmes d’extrême-droite d’avancer », déroule le sénateur.
A « contrecœur », avec un sentiment « d’incompréhension », les représentants de la liste se sont résolus à abandonner pour donner les meilleures chances à Renaud Muselier de l’emporter. « Les menaces n’ont pas pesé une seule seconde », évacue Guy Benarroche, mais « la moitié d’entre eux ont terminé en larmes ». « Je n’en veux pas aux exécutifs nationaux, ce n’est pas le moment. Mais il faut s’asseoir autour d’une table dans le mois qui vient et qu’on ait une vraie réflexion sur le sujet, car ça va se reproduire. Je vais militer pour », prévient tout de même Guy Benarroche.
« Le risque de basculement au RN était déterminant », estime pour sa part Jérémy Bacchi, sénateur communiste qui n’a pas participé à la réunion. « L’écart entre Mariani et Muselier est plus important que les chiffres donnés hier soir », souligne-t-il. « Nous avons donc appelé au retrait, la mort dans l’âme… »
Dépité, il pointe la « faiblesse de la gauche » et l’exhorte à se ressaisir. » « Je veux bien qu’on dise systématiquement que le retrait ne garantit rien, mais ce qui est plus alarmant c’est la faiblesse de la gauche, même rassemblée. Nous avons aussi une responsabilité en interne », observe-t-il. Et de livrer son analyse : « Lorsque la gauche n’est pas clairement en rupture avec les politiques libérales du gouvernement, elle est clairement sanctionnée. C’est le cas du PS. Il y a une aspiration dans la population, et peut être encore plus chez les abstentionnistes, pour une gauche de transformation sociale ». Pour l’heure et comme en 2015, la gauche n’aura donc pas d’élus au conseil régional. Dans un communiqué, Renaud Muselier a néanmoins salué « la décision républicaine » de Jean-Laurent Felizia et promet des « mécanismes » pour permettre à la gauche de peser, comme « des propositions de délibérations, de motions et de voeux au sein même de l’hémicycle régional ».