Pour Jean-Philippe Derosier, professeur de droit public à l’université de Lille, l’organisation des élections législatives et de l’élection présidentielle le même jour représenterait « un moyen de nuancer » le vote des électeurs et de répondre aux ‘dysfonctionnements’du quinquennat tout en renforçant la légitimé des députés élus.
Vous défendez le regroupement de l’élection présidentielle et des élections législatives le même jour. Deux mois séparent actuellement les deux scrutins, en quoi cette mesure renforcerait-elle les institutions ?
Le fait de coupler élections législatives et élection présidentielle n’a pas pour but d’éviter les surprises électorales mais de renforcer la légitimité des parlementaires. Cette idée n’est pas non plus totalement saugrenue. Aux Etats-Unis, cela existe déjà. Dans la configuration actuelle, les députés élus sont redevables politiquement vis-à-vis du président de la République. Ce phénomène de « vague présidentielle » instaure une très forte discipline au sein de la majorité parlementaire.
Ce changement de calendrier électoral ne vise pas non plus à affaiblir les prérogatives du président de la République ou le pouvoir de l’exécutif mais à renforcer in fine le pouvoir du parlement. Cette mesure permettrait également de résoudre certains dysfonctionnements, notamment la problématique de l’abstention. La participation aux élections peut s’expliquer par une certaine résignation des électeurs à se déplacer à leur bureau de vote, surtout pour les législatives. Ils peuvent se dire « tout est déjà joué. » Certains électeurs ne se retrouvent pas dans les accords électoraux et les coalitions politiques établis pour ces scrutins. Il n’est pas sûr que tous les électeurs socialistes soient prêts à voter pour un candidat de la Nouvelle Union Populaire Ecologiste et Sociale (NUPES).
En pratique, cela veut dire que les électeurs voteraient en une journée pour un couple de candidats : un président et un député. Ils ne seraient pas soumis à l’influence des sondages ou au résultat d’une première élection, une manière de revaloriser le scrutin. Cette configuration électorale aurait pu changer l’histoire. En 2002, la gauche [l’ensemble des scores des candidats de gauche, ndlr] termine en première position. Si les deux élections avaient été couplées, il n’est pas certain que Jacques Chirac aurait disposé d’une majorité de députés à l’Assemblée nationale. Pour réaliser ce changement dans le calendrier, il n’est pas nécessaire de réformer la constitution, un simple projet de loi suffirait pour aligner les deux scrutins sur les mêmes dates. En cas de fin prématurée du mandat du président (décès, destitution ou démission du chef de l’Est), l’Assemblée nationale serait automatiquement dissoute.
Ce changement de calendrier ne risquerait-il pas de présidentialiser davantage la Vème république ?
La France n’est pas comme on l’entend souvent un régime présidentiel ou semi-présidentiel. C’est avant tout un régime parlementaire et j’insiste beaucoup sur cet aspect. Il existe deux raisons, l’une juridique et l’autre politique. D’un point de vue juridique, l’article 20 de la constitution est très clair sur ce point [« le gouvernement détermine et conduit la politique de la nation. Il dispose de l’administration et de la force armée. Il est responsable devant le Parlement, ndlr].
Politiquement, ce sont les élections législatives qui attribuent le pouvoir au président de la République. Si Emmanuel Macron n’obtient pas une majorité à l’Assemblée nationale, le soir du 19 juin, il sera dans l’impossibilité de gouverner. La France est donc un régime parlementaire très spécifique, à tendance présidentielle. Dans de nombreux pays étrangers, le chef politique est le premier ministre désigné à la suite des élections législatives. En France, le chef politique est élu au suffrage universel par les Français. Les électeurs sont très attachés à cette figure du président. Selon moi, il serait risqué de diminuer le rôle ou le pouvoir de l’exécutif. Il conviendrait mieux de renforcer le pouvoir législatif en corrigeant les manquements du quinquennat.
A peine nommé, le nouveau gouvernement est déjà soumis à un devoir de réserve en vue des élections législatives. En attendant l’installation d’une nouvelle législature au Palais Bourbon, le gouvernement Borne I n’est-il pas un gouvernement de transition ?
On pourrait dire : c’est un gouvernement qui ne sert presque à rien. L’exécutif ne va pas légiférer avant les résultats des législatives. Il est uniquement chargé de préparer les actions prioritaires à l’ouverture de la nouvelle législature. De plus, il existe des considérations plus importantes pour les membres de l’exécutif, à savoir constituer une majorité à l’Assemblée nationale. Ce qui est absurde, c’est le droit de réserve mis en place pour les ministres. Ils ont une interdiction d’intervenir dans la campagne ou de s’exprimer en faveur d’un candidat lors d’une prise de parole « officielle. »
Dans la lignée du regroupement de l’élection présidentielle et des élections législatives, il serait intéressant d’allonger la durée de transition entre l’élection et l’investiture. Aux Etats-Unis, l’élection du président a lieu en novembre et ce dernier est officiellement investi en janvier. Une telle mesure en France permettrait de préparer au mieux la prise de fonction des ministres nommés, de recruter les conseillers et les équipes nécessaires à l’exercice du pouvoir. Cette période allongée permettrait à la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP) d’effectuer les vérifications sur les personnes nommées.