Régulation des influenceurs : Magali Berdah avait alerté le cabinet de Bruno Le Maire en 2021

Régulation des influenceurs : Magali Berdah avait alerté le cabinet de Bruno Le Maire en 2021

Auditionnée au Sénat sur la régulation des pratiques commerciales des influenceurs, Magali Berdah s’est défendue d’encourager les « dérives » du monde de l’influence commerciale. La proposition de loi visant précisément à lutter contre « les arnaques et les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux » sera discutée au Sénat en mai prochain.
Louis Mollier-Sabet

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La proposition de loi d’Arthur Delaporte (PS) et Stéphane Vojetta (Renaissance) sur les influenceurs ayant été adoptée par l’Assemblée nationale le 30 mars dernier, le texte a été mis à l’agenda du Sénat les 9 et – éventuellement – 10 mai prochains. Pour entamer leurs travaux sur la régulation de « l’influence commerciale » de ces influenceurs sur les réseaux sociaux, les sénateurs ont donc auditionné Magali Berdah ce jeudi 13 avril. La fondatrice de l’agence Shauna Events a grandement participé à la structuration du milieu des influenceurs et à l’explosion des recettes liées à ce type d’activité. Remplissant une sorte de rôle d’agente d’influenceurs, les polémiques récentes autour de la vente par certains de ses clients-influenceurs de produits dont la qualité est fortement contestée l’ont mise au centre de la question de la bonne régulation des « dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux », contre lesquelles la proposition de loi entend lutter.

« On a parfois été dépassés par tout ça, on a un peu appris sur le tas »

Magali Berdah a d’abord rapidement résumé le développement quelque peu anarchique d’une profession qui n’a pas encore d’existence juridique, ce à quoi le texte se propose d’ailleurs de remédier : « Au départ, les candidats de téléréalité faisaient beaucoup de placements de produits pour les marques, mais sans rémunération. Ils le faisaient en échange de vêtements par exemple. Avec un regard un peu plus ‘business’ je leur ai demandé pourquoi ils ne se faisaient pas rémunérer parce qu’il était normal et logique qu’ils se fassent rémunérer pour le chiffre d’affaires qu’ils apportaient. Au début c’était nouveau, on a parfois été dépassé par tout ça. On a un peu appris sur le tas. […] Il n’y a pas de code APE [Activité principale exercée] influenceur. La proposition de loi en parle, créée ce statut légal, c’était la première chose à faire. »

Avec les récentes polémiques déclenchées notamment par les attaques sur les « influvoleurs » du rappeur Booba et les accusations réciproques d’arnaques et de harcèlement, Magali Berdah a tenu à signifier ces efforts pour que la profession se développe en conformité avec l’administration. Une sorte de réponse aux enquêtes de Libération et Complément d’Enquête, qui mettent en évidence des placements de produit frauduleux. « J’ai tapé à la porte de l’ARPP [Autorité de régulation professionnelle de la publicité] en 2017, où je leur ai demandé des conseils, j’y suis allé volontairement en leur disant que j’avais de la demande mais que je ne savais pas dans quel cadre, à quoi je devais adhérer. L’ARPP était vraiment à mon écoute, m’a donné des conseils. Ils m’ont tout de suite dit qu’il fallait dire au consommateur que c’était une production rémunérée. Nous, ça ne nous concernait pas, mais on a indiqué tout de suite à nos influenceurs qu’il fallait qu’ils mettent le hashtag sponsorisé sur toutes leurs publications. »

« C’est là où il y a un amalgame. Les contrôles de la DGCCRF vont pouvoir dire si ce contrat-là a été passé par l’agence ou pas »

Magali Berdah confie même avoir prévenu le cabinet de Bruno Le Maire en 2021 face aux dérives qui ont pu être constatées par la suite : « Le métier s’était diversifié et j’avais senti qu’il y avait un peu de tout et n’importe quoi. J’avais tout listé par écrit, en demandant la création d’une représentation interprofessionnelle par exemple. À l’époque ils m’avaient dit que ce n’était pas leur urgence, ce que je comprends. Mais aujourd’hui on est dans une situation délicate, tant pour les influenceurs que pour moi avec ce que je subis en cyberharcèlement. Il y a urgence, c’est une question vitale pour moi. J’aurais aimé qu’on le prenne en considération il y a deux ans quand j’avais pris des rendez-vous pour demander des règles claires et que les personnes responsables soient condamnées. »

Sur le fond de l’affaire, la fondatrice de Shauna Events récuse la responsabilité des placements de produits mis en cause au motif qu’ils n’avaient pas été contractualisés avec son agence, mais étaient des initiatives personnelles d’influenceurs qui pouvaient par ailleurs travailler avec elle : « On a certains contrats qui sont exclusifs. Cela veut dire que l’influenceur ne peut pas faire de poste en direct avec les marques. Malheureusement, ce n’est souvent pas respecté. Et il y a un autre type de contrat non exclusif, avec des influenceurs indépendants à qui l’on ramène des marques de temps en temps, mais qui peuvent aussi se servir dans d’autres agences ou en direct avec les marques. C’est là où il y a un amalgame. Les contrôles de la DGCCRF vont pouvoir dire si ce contrat-là a été passé par l’agence ou pas. Il n’y a rien de mieux pour moi que ces enquêtes-là qui sanctionnent les personnes qui doivent être sanctionnées, mais sans jeter en pâture les autres. »

« Il y a eu les paris sportifs, le trading, la NFT, les CPF… il y aura toujours des gens malveillants pour trouver des failles »

Durant cette courte audition, la rapporteure du texte au Sénat, la sénatrice centriste Amel Gacquerre, a assumé un objectif de pédagogie sur un phénomène mal connu « du grand public et des institutions » : « Le but de ce travail parlementaire est aussi de faire connaître le secteur de l’influence au grand public et au monde institutionnel, parlementaires comme politique. Beaucoup découvrent cette notion, l’enjeu c’est aussi une pédagogie, une meilleure appréhension de ce phénomène. »

Le ton n’a donc pas été inquisiteur de la part de la commission des Affaires économiques, qui n’a pas cherché à démêler toute la polémique lancée cet été, mais plutôt à comprendre les enjeux de la profession pour le législateur. À cet égard, Magali Berdah a mis l’accent sur la nécessité d’une représentation professionnelle en renvoyant à son initiative en cours de créer une Fédération des Influenceurs et des Créateurs de contenus (FIC) : « Dans la FIC je voudrais créer comme un code de bonne conduite des influenceurs. Dans certains métiers, il y a des ordres, il doit y avoir des avertissements quand on fait des erreurs. Mais quand vous faites systématiquement les mêmes erreurs alors que les informations sont disponibles, alors ce n’est plus une erreur, il faut qu’il y ait radiation. C’est pour ça qu’il faut travailler avec les plateformes. »

Elle a aussi pointé l’importance d’un travail sur la formation des influenceurs : « Il y a des dérives par méconnaissance, le code de la consommation est très vaste. Il y a un problème de formation pour nous tous, on fait ce qu’on peut pour être encadrés. Les influenceurs doivent faire des formations pour être opérationnels. Dans cette loi, il manque des éléments sur les formations. Le certificat, on va le passer une fois, mais internet est un monde vaste, et les arnaqueurs ont l’esprit très vif. Il y a eu les paris sportifs, le trading, la NFT, les CPF, en ce moment il y a des choses sur les pare-brises. Il y aura toujours des gens malveillants pour trouver des failles, il faut que l’on soit accompagnés là-dessus, avec des formations en continu et presque obligatoires. »

Pour savoir si ces points seront abordés par le législateur, rendez-vous les 9 – et éventuellement 10 – mai prochains pour l’examen au Sénat.

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