Paris : Cabinet meeting

Remaniement : «Emmanuel Macron et Elisabeth Borne sont allés à rebours des attentes des Français »

L’Elysée a présenté jeudi soir un remaniement partiel de l’équipe gouvernementale. Les nouveaux ministres sont presque tous issus du parti présidentiel, tandis que plusieurs personnalités issues de la société civile ont été écartées. L’exécutif fait ainsi le choix d’un recentrage avec, à la clef, un renforcement de l’autorité du chef de l’Etat.
Romain David

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Il a fallu attendre 19h39 pour connaître la combinaison gagnante. Le suspense autour du remaniement ministériel s’est étiré tout au long de la journée de jeudi. Une séquence brouillonne, où les noms des nommés et des sortants putatifs ont été égrenés au fil de la journée par différents médias, certains prenant même la parole avant que leur entrée au gouvernement, ou leur sortie, ne soit officialisée par la présidence. À l’image de Marlène Schiappa auprès de BFM TV ou d’Aurélien Rousseau, confirmant sa nomination au journal Le Monde. À l’arrivée : sept départs et huit nouveaux entrants, des profils souvent peu connus du grand public, presque exclusivement issu du groupe Renaissance à l’Assemblée nationale, et qui ont souvent fait leurs premières armes dans les rangs socialistes.

« Sur la forme, la séquence a été assez surprenante. Avec des ministres qui n’ont pas hésité à prendre la parole avant d’être nommés ou remerciés. Des annonces perlées dans les médias au fil de la journée, et finalement une liste officialisée en début de soirée. Cela est à mettre en résonance avec la manière dont l’annonce du maintien d’Élisabeth Borne à Matignon a été faite, par l’entourage du président », commente auprès de Public Sénat Emilie Zapalski, spécialiste de la communication politique et fondatrice de l’agence Émilie Conseil.  « On a l’impression que tout a été fait pour ne pas faire de ce remaniement un évènement. Et pourtant, avec autant de nouveaux ministres et deux postes majeurs remaniés, à l’Education nationale et à la Santé, on ne peut pas non plus parler d’un remaniement a minima, même s’il n’a rien de révolutionnaire et ne définit pas un nouveau cap politique. »

L’impossible élargissement

L’exécutif donne le sentiment de se recentrer sur le cœur même de sa majorité, alors que les rumeurs d’élargissement à la droite de l’échiquier politique allaient bon train pendant la réforme des retraites. Point de débauchage dans cette nouvelle organisation gouvernementale, alors qu’ils avaient souvent été l’élément de surprise des précédents remaniements. Désormais, l’idée d’un partenariat avec les LR, qui viendrait donner de l’air à un camp présidentiel privé de majorité absolue, semble de moins en moins envisageable. « Depuis les législatives de 2022, on a une demande de rupture, d’élargissement du côté de l’opinion. Là, Emmanuel Macron et Élisabeth Borne sont allés à rebours des attentes des Français », note Erwan Lestrohan, directeur conseil chez Odoxa. « On peut imaginer que ce casting ne va pas entraîner de regain de sympathie dans l’opinion. On peut même s’interroger sur la dynamique que l’exécutif sera en mesure d’enclencher à la rentrée », pointe encore ce sondeur.

Six Français sur dix se disent insatisfaits du nouveau gouvernement et du fait qu’Elisabeth Borne ait été conservée à Matignon, selon un sondage Odoxa pour Le Figaro publié ce vendredi 21 juillet.

« On a le sentiment d’un remaniement par défaut. En nommant Aurore Bergé, Fadila Khattabi, Prisca Thévenot ou encore Thomas Cazenave, Emmanuel Macron remercie ceux qui sont montés au créneau et qui ont défendu son projet pendant la séquence des retraites. Mais du point de vue de la promesse initiale de dépassement des clivages, c’est un échec, avec un repli de l’exécutif sur les valeurs sûres de la macronie », abonde Emilie Zapalski. « Paradoxalement, c’est peut-être aussi la première fois que l’on voit se dessiner l’après Macron, avec des fidèles de la première heure qui prennent du poids, je pense à Aurore Bergé et Gabriel Attal, des profils assez jeunes qui conservent la niac des débuts. »

« L’objectif premier était de sortir ceux qui n’avaient pas réussi à rentrer dans le costume ministériel »

« Ce remaniement n’est pas un renforcement, il s’agit plutôt d’un correctif, voire d’un replâtrage, mais d’un replâtrage plutôt réussi », défend l’historien et politologue Jean Garrigues. « L’objectif premier était de sortir ceux qui n’avaient pas réussi à rentrer dans le costume ministériel, François Braun et Pap Ndiaye notamment. Mais aussi de répondre à une certaine pression médiatique sur le cas de Marlène Schiappa, empêtrée dans l’affaire du Fonds Marianne. Inversement, Gabriel Attal est un très bon communiquant, Aurore Bergé a fait le job et Aurélien Rousseau fait plutôt consensus. »

Si le nom de Gabriel Attal est régulièrement cité comme nouvelle étoile montante de la macronie, ce gouvernement fait aussi la part belle à des personnalités politiques plus secondaires, sans faire entrer de nouveaux poids lourds. Emmanuel Macron semble par ailleurs avoir renoncé à s’appuyer sur des personnalités issues de la société civile. « On a beaucoup parlé de start-up nation, mais Emmanuel Macron nous a montré depuis six ans qu’il n’était pas un si bon manager que cela. Il a du mal à faire monter les personnalités autour de lui. La carrière de Premier ministre d’Edouard Philippe s’est terminée parce qu’il brillait trop. Gabriel Attal fait figure d’exception, peut-être parce qu’il apparaît comme un copier-coller en plus jeune du président de la République, et donc celui qui pourrait endosser les habits du dauphin ».

Les mises en garde du chef de l’Etat

Cette situation renforce l’envergure politique du président et la verticalité de son pouvoir. Revers de la médaille : l’autorité des ministres semble sapée par la parole présidentielle avant même qu’ils ne soient entrés en action. L’intervention du chef de l’Etat en ouverture du Conseil des ministres, ce vendredi matin, retransmise en direct sur plusieurs chaînes d’information, a été l’occasion d’une nouvelle démonstration de force de la part du chef de l’Etat, appelant la nouvelle équipe à « l’exemplarité » et à « la dignité ».

« Les ministres dirigent leur administration. Être ministre ça n’est pas parler dans le poste, c’est mettre en œuvre des décisions qui correspondent à une stratégie », a encore expliqué le chef de l’Etat. Une référence, sans doute, à l’affaire du Fonds Marianne, Marlène Schiappa s’étant largement défaussée sur son administration au cours de l’enquête parlementaire. Par ailleurs, l’ancienne secrétaire d’Etat en charge de l’économie sociale et solidaire avait suscité un certain agacement en posant pour le magazine Playboy au moment où l’affaire avait éclaté.

Pour Emilie Zapalski la scène « ressemblait plutôt à un comité exécutif avec un patron remontant les bretelles à son équipe qu’à un Conseil des ministres ». « En leurs temps, Charles de Gaulle, Valéry Giscard d’Estaing ou encore François Mitterrand ne se gênaient pas pour rabrouer leurs ministres en plein conseil », rappelle Jean Garrigues. « À la différence que cela n’était pas médiatisé. Ici, il y a une volonté politique : mettre en scène la présidence jupitérienne. »

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