Perché à 40 mètres de hauteur, casque blanc sur la tête, masque noir sur le nez, Emmanuel Macron a arpenté ce jeudi matin les échafaudages du chantier de Notre-Dame. Sous les voûtes, flanqué de la maire socialiste de Paris Anne Hidalgo, potentielle adversaire à la présidentielle, le chef de l’Etat a pu constater les avancées d’un chantier « hors-norme », deux ans après l’incendie de la cathédrale. « Les cinq ans seront tenus. […] Tout le monde est sûr maintenant qu’on y arrivera en 2024 », avait assuré au préalable le chef de l’Etat dans le Parisien. Promesse répétée sur le chantier. À la rencontre des ouvriers, Emmanuel Macron a convenu qu’il y « avait encore du boulot », mais a salué « l’immense travail accompli ». Invité de France Inter, le Général Georgelin, président de l’établissement public chargé de la restauration et la conservation de Notre-Dame, a quant à lui confirmé une réouverture au 16 avril 2024. Anne Hidalgo s’est dit, elle, « très optimiste sur la façon dont le chantier va évoluer ». Objectif : accrocher au plus vite le célèbre coq sur la flèche de Viollet-le-Duc.
« En 2024 ? Macron ne sera plus là ! »
Parmi les sénateurs, la date de réouverture en 2024 fait à peu de chose près, consensus. Présidente de la commission de la Culture du Sénat au moment de l’incendie, Catherine Morin-Desailly va dans le sens du chef de l’Etat. « Les spécialistes, les architectes en chef que j’avais rencontrés - car le chantier de la charpente avait été initié en Normandie - disaient que tout ne sera pas forcément rouvert mais une partie, très certainement », explique la centriste. Vice-présidente LR de la commission et sénatrice de Paris, Catherine Dumas abonde : « Il y a un énorme travail qui a été accompli. Pendant cette période, l’édifice a été stabilisé, les voûtes sécurisées, de nouveaux échafaudages installés ». La sénatrice pense que « dans trois ans, tout ne sera pas achevé, mais la cathédrale sera de nouveau ouverte. C’est un chantier de très longue haleine ». Elle espère vivement « avoir une grande messe le 16 avril 2024 ».
À l’initiative d’une mission de suivi lancée l’été dernier avec Catherine Morin-Desailly, le socialiste Vincent Éblé tempère : « Il convient de distinguer un parachèvement complet de l’ensemble des travaux, car la voûte ne sera probablement pas terminée dans ces délais, et la remise à disposition pour des activités de culte, qui sera envisageable. Une fois que la voûte aura été restaurée, il sera sans doute possible de rétablir une accessibilité. Le parachèvement des éléments de toitures, de flèches, eux, ne sera peut-être pas achevé à cette date. Mais certainement que le maximum sera fait pour que ces travaux rendent possible les missions cultuelles. En particulier au moment des JO ». Ce que confirme Rémi Féraud, sénateur socialiste de Paris. « La question de la restauration n’est pas un sujet de conflit entre la ville et l’Etat », assure ce proche d’Anne Hidalgo.
D’autres sont plus circonspects face à la promesse d’Emmanuel Macron. « En 2024 ? Il ne sera plus là ! », se marre Michel Savin, sénateur LR de la commission de la Culture. « Aujourd’hui, il est difficile d’annoncer cela. On l’espère tous. Mais il fallait prendre plus de précautions, c’est un tel chantier… La cathédrale ne s’est pas construite en deux ans ! C’est un peu prétentieux d’annoncer des dates, mais on a l’habitude avec ce président… », griffe-t-il. La phase de sécurisation devrait bien être terminée cet été, ouvrant la voie à la restauration.
Comparaison « choquante » sur la cohésion nationale
Beaucoup ont peu goûté la mise en scène du chef de l’Etat. Avant de se mouvoir parmi les échelles et les structures du chantier, le président de la République a livré un numéro d’équilibriste dans le Parisien, comparant la reconstruction de Notre-Dame à l’après crise du covid-19. Selon lui, ce chantier est « comme une métaphore de ce que beaucoup ressentent et que nous pouvons vivre ». « Nos soignants ont été extraordinairement héroïques comme l’ont été les sapeurs-pompiers pendant l’incendie », vante-t-il dans les colonnes du Parisien. Il ajoute encore que la France « est une nation vivante qui a toujours à rebâtir et à faire ». « Parfois, nous nous sommes habitués à l’idée que nous étions installés, avec des certitudes. Eh bien les temps contemporains nous bousculent, ils remettent en cause beaucoup de choses », lance-t-il. Il termine : « Le peuple français est extraordinairement résilient, il l’a été dans ces moments d’émotion et il l’est depuis le début de la crise […] S’il n’y a pas de détermination, s’il n’y a pas d’ambition, il n’y a pas d’action aussi. »
« C’est un peu déplacé ! », tranche Michel Savin. Comme nombreux de ses collègues, il ne « comprend pas » la comparaison. Rémi Féraud pousse un soupir : « Macron aime bien être grandiloquent… Il est déjà candidat à sa réélection, ses images ne sont pas toujours pertinentes… » Nathalie Goulet sourit. « En ce moment on se raccroche à ce qu’on peut pour faire plaisir à tout le monde. Faire le lien avec les soignants, c’est un peu d’opportunisme », estime la sénatrice de l’Orne.
Vincent Éblé, lui, fulmine : « Pour que cette comparaison soit pertinente, il faudrait que l’Etat, dont les cathédrales relèvent de sa compétence, consacre un tout petit peu de moyens à la reconstruction. Or ce n’est pas le cas : il y a 0 centime de crédits budgétaires pour la restauration de la cathédrale ! », rappelle l’ancien président de la commission des Finances. D’autant que les dons - 833 millions à ce jour - vont rapporter un peu « moins de 200 millions d’euros en TVA » à l’Etat, prévoit-il. « C’est formidable que le président de la République se félicite. Mais pour ça, il me paraîtrait normal que l’Etat fasse un effort. La ministre de la Culture m’a répondu que ce qu’on y mettrait, ce serait ça de moins pour les autres missions culturelles de l’Etat. Mais je trouve ça choquant qu’on affiche le thème de la cohésion nationale sans contribution de l’Etat au chantier ! », martèle-t-il. C’est peu dire que l’opération de com’présidentielle lui reste en travers de la gorge. « On vient de faire des milliards de déficit public supplémentaires pour le covid-19 et on ne pourrait pas le faire pour Notre-Dame ? Cela interdit au président de la République de venir se targuer autour de la cohésion nationale », fustige-t-il.
Absence de transparence
Le problème est ancien, mais n’a quasiment pas évolué depuis « six mois ». Un rapport de la Cour des comptes a pointé dès septembre le manque de transparence dans l’utilisation des dons pour la reconstruction de la cathédrale, dont une partie finance les dépenses de fonctionnement de l’établissement public chargé de la restauration et dont l’État à la charge. Lors de l’examen du projet de loi au Sénat, les parlementaires avaient déjà alerté le gouvernement sur ce risque. Depuis, rien n’a bougé à en croire Catherine Morin-Desailly, qui siège également à la Fondation du patrimoine, l’un des organismes récoltant les dons. « Ce n’est pas rien ce qui a été collecté. Les fondations réclament de la transparence, elles souhaitent connaître le montant des travaux. Ce n’est pas de l’argent public, attention. Ce ne sont pas des subventions. C’est l’argent des Français. Il est légitime que toutes les fondations bénéficient de la transparence de toutes les lignes budgétaires. Car les donateurs nous le demandent. Je pense qu’il faudrait une meilleure communication », appuie-t-elle.
Pour seule réponse, et alors que certains supputent que les 833 millions d’euros de dons et promesses de dons sont excessifs, et d’autres, au contraire, qu’ils sont insuffisants, Jean-Louis Georgelin a donné son évaluation « à ce stade » : « Nous aurons besoin de tous ces dons pour tous les travaux nécessaires pour mettre debout cette cathédrale » . Mais, a-t-il dit, la question des coûts doit être « évaluée de manière constante ». Interrogée lors des questions d’actualité au gouvernement par le sénateur RDPI Julien Bargeton, mercredi, la ministre de la Culture Roselyne Bachelot n’a pas donné plus de précision. « Nous avons pris en charge le loyer du bâtiment qui héberge l’établissement public. Je pense qu’à l’heure actuelle, les sommes récoltées permettent d’envisager tranquillement la suite du chantier », s’est-elle contentée d’affirmer.
« Il serait quand même normal qu’on ait une bonne information sur le coût de la reconstruction de Notre-Dame. Je pense qu’on a besoin de transparence : les compatriotes qui se sont mobilisés sont plus de 338 000, et il n’y aurait rien de pire que les choses ne soient pas transparentes et qu’il y ait un doute sur l’utilisation de ces dons », approuve Michel Savin. Vincent Eblé est là encore pour le moins déconcerté. « La dernière information que nous détenons date du rapport de la Cour des comptes qui a plus de six mois. On n’a rien ! Cette commission fait un suivi distancié… On n’a pas de données précises… » Il détaille avec les éléments à sa disposition : « Pour ce qui concerne les dons, la part des grandes fortunes constituent l’essentiel de la collecte. Les dons individuels constituent une part bien plus modeste ».
Dans un communiqué, la Fondation du patrimoine précise qu’elle « a obtenu de nombreuses garanties et informations qui l’amènent à conclure de la bonne conduite du chantier par les équipes du Général Georgelin et de l’architecte Philippe Villeneuve et, partant, de la grande utilité des sommes importantes qui lui ont été confiées ». Mais tous les sénateurs en conviennent, la mission de suivi doit être relancée, pour assurer le contrôle parlementaire. « À chaque jour suffit sa peine ! Cet anniversaire tragique permet de reprendre tout ça en mains. Ce serait très intéressant d’avoir rapidement une audition de contrôle », suggère Nathalie Goulet. Vincent Eblé fait lui aussi une promesse : « Je vais essayer de m’en mêler un petit peu ! »