Politique
Tout juste nommé à Matignon et entre deux mouvements sociaux, Sébastien Lecornu a entamé des consultations avec les syndicats. Mais la marge de manœuvre de ce proche du chef de l’Etat s’annonce plus que réduite.
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Par François Vignal
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C’est une décision qui fait l’effet d’une petite bombe pour la vie des salariés et des entreprises. Selon une décision de la Cour de cassation, un salarié malade pendant ses congés payés pourra désormais les reporter. L’arrêt de la plus haute juridiction française met le droit français en conformité avec le droit européen.
Selon un communiqué de la Cour de cassation du mercredi 10 septembre, « en droit de l’Union européenne, l’objectif du congé payé est de permettre aux salariés non seulement de se reposer, mais aussi de profiter d’une période de détente et de loisirs. L’objectif du congé de maladie est de permettre aux salariés de se rétablir d’un problème de santé. Ces deux droits n’ont donc pas la même finalité ». En conséquence, « puisque la maladie l’empêche de se reposer, le salarié placé en arrêt pendant ses congés payés a droit à ce qu’ils soient reportés », écrit la Cour dans son communiqué, avec une condition : « Il faut toutefois que l’arrêt maladie soit notifié par le salarié à son employeur ».
Une décision qui passe très mal dans le monde entrepreneurial. « Dire que ces décisions suscitent l’indignation des employeurs est bien en deçà de la réalité », réagit dans un communiqué l’organisation patronale CPME, qui dénonce une décision « ubuesque ».
Appelé à réagir sur Sud Radio ce vendredi 12 septembre, le ministre démissionnaire de l’Industrie et de l’Energie, Marc Ferracci, souligne que « c’est conforme au droit européen ». Mais il se dit « préoccupé des conséquences sur la compétitivité et le coût du travail. Il faudra discuter avec la Commission européenne pour envisager des aménagements », affirme le ministre.
La nouvelle inquiète particulièrement le président de la délégation aux entreprises du Sénat, le sénateur LR Olivier Rietmann. « Pour les petites et moyennes entreprises, ça leur tombe comme un coup de marteau sur la tête », dénonce le sénateur. « Ça va être difficilement applicable, ça va laisser des morts au bord de la route. Ça aura de conséquences sur nos entreprises, certaines ne pourront pas l’appliquer, au péril de leur maintien de leur activité économique », alerte le sénateur de la Haute Saône.
Face à cela, il a décidé de se tourner vers le gouvernement. « Au niveau de la délégation aux entreprises, j’ai saisi le ministère du Travail. Mais il me répond, « vous savez, on est démissionnaire, on est juste là pour les affaires courantes ». C’est un peu léger ! » Alors il vise au-dessus.
« Je ne vais pas attendre la constitution d’un nouveau gouvernement et je saisis par courrier le premier ministre pour qu’une action au sommet de l’Etat soit engagée dans les plus brefs délais auprès des instances européennes », nous annonce Olivier Rietmann. Le président de la délégation aux entreprises ne réclame « pas forcément une exception française, mais qu’on puisse consacrer un droit de report, ou essayer une application différenciée, pour trouver une solution pour nos PME, pour qui cela va avoir un impact terrible. On va monter très fort sur le sujet », prévient Olivier Rietmann.
Dans cette décision, il ne met pas en cause les juges. « J’entends des réactions démagogiques, qui pointent les juges. Mais les juges appliquent la loi. C’est le droit européen qui impose ça ».
Ce qui « interroge davantage » le sénateur, « c’est la perte d’influence de la France au niveau européen. J’ai fait un rapport sur la simplification normative il y a deux ans. Je suis allé à Bruxelles. Les fonctionnaires européens m’ont dit que la France perd au fur et à mesure son influence dans les décisions au niveau européen », explique-t-il. « On compte sur le Président et les réunions avec les ministres, mais on n’est pas assez pour faire du lobbying. Quand il y a un fonctionnaire français pour faire du lobbying, il y a en a dix pour l’Allemagne… On a une perte d’influence ».
Une question de volonté politique, selon le sénateur. « Quand on le fait, ça marche. Avec la délégation du Sénat, après un rapport des sénatrices Anne-Sophie Romagny (Union centriste) et Marion Canalès (PS), on a obtenu un report pour les PME de l’application de la directive CRSD (directive sur les rapports de développement durable des entreprises) », se félicite-t-il.
La décision de la Cour de cassation n’est en fait pas totalement tombée du ciel. Renseignement pris, « pour les ressources humaines de grandes entreprises, ce n’est même pas une surprise. Il y a des DRH qui savaient que ça allait tomber. Il y aurait même de grandes boîtes qui le feraient ». Mais le sénateur LR de la Haute Saône, qui n’était pas au courant, regrette de ne pas « avoir été alerté par les fédérations, les syndicats patronaux en amont, que ça pouvait tomber à un moment ou un autre ».
La décision vient de loin en réalité. « C’est l’application d’une directive européenne qui date de 2003, qui a trouvé une jurisprudence d’application en 2012 », explique Olivier Rietmann. Les directives doivent ensuite être retranscrites par chaque Etat membre dans le droit national. « Il y a eu la loi DDADUE, où était comprise cette directive. Elle a été votée début 2024 », précise le sénateur LR. Cette loi DDADUE, dont parle Olivier Rietmann, c’est la loi du 22 avril 2024 « portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière d’économie, de finances, de transition écologique, de droit pénal, de droit social et en matière agricole ».
L’article 37 du texte dit précisément que « lorsqu’un salarié est dans l’impossibilité, pour cause de maladie ou d’accident, de prendre au cours de la période de prise de congés tout ou partie des congés qu’il a acquis, il bénéficie d’une période de report de quinze mois afin de pouvoir les utiliser ».
Cette disposition sur les congés n’apparaît pas dans la version initiale du texte, examinée d’abord par le Sénat. Elle a été ajoutée lors de son passage à l’Assemblée, puis conservée lors de la commission mixte paritaire, entre députés et sénateurs. Et personne ne semble l’avoir vue, ou du moins n’a alerté, lors de l’examen. Autrement dit, c’est un joli trou dans la raquette. « Il y a eu un manquement, mais il faut corriger le tir », soutient Olivier Rietmann.
« Cette loi DDADUE, ça débarque comme ça, on a très peu de temps et on a tellement de choses à côté. Et on n’y prête pas forcément attention », réagit de son côté la sénatrice LR de l’Aisne, Pascale Gruny. Ancienne « directrice financière et DRH », elle craint aussi « que ça mette les entreprises en difficulté ». « On est en train de faire la chasse aux arrêts maladie de complaisance. Malheureusement, il y a une partie des gens qui fraudent. Là, ça va ajouter encore. Les gens en vacances iront voir un médecin qui ne les connaît pas et ce sera plus difficile de refuser un arrêt », avance la sénatrice de l’Aisne, qui était ce matin à la banque alimentaire. « Il y avait beaucoup de chefs d’entreprise. Deux ou trois sont venus me parler de cette décision », explique la sénatrice LR.
Mais cette décision, qui est favorable aux salariés, ne choque en revanche pas le sénateur Bernard Jomier, membre du groupe PS. « Le principe ne m’étonne pas. Une femme enceinte par exemple ajoute ses congés annuels à sa période de maternité. Si le congé tombe au même moment, on les rajoute. Ça n’a rien de nouveau », réagit le sénateur de Paris, par ailleurs médecin de profession.
« Ce n’est pas du tout exorbitant du droit commun. Quand on est malade, on n’est pas en vacances. Et quand on est malade en vacances, on ne peut pas profiter de ses congés annuels. C’est un rappel », pour le sénateur, membre de Place Publique, le parti de Raphaël Glucksmann. A l’inverse, il remarque au passage qu’« on ne vous prend pas vos jours de congés annuels quand vous êtes malade ». Si « sur le fond, la décision est logique, après, je n’ai pas vu l’arrêt, il faut voir les modalités, et qu’elles soient compatibles avec les impératifs d’organisation du travail », ajoute Bernard Jomier.
De son côté, pour éviter à l’avenir de passer à côté de ce genre d’information, Olivier Rietmann a « décidé de mettre une cellule de veille et d’alerte en place à la délégation des entreprises ».
Pour aller plus loin
Alex Vizorek, des punchlines de droite et de gauche