Tous les ans à l’automne (hors année d’élection présidentielle), le Parlement examine le projet de loi de programmation des finances publiques. Mais cette année le gouvernement a décidé de le reporter au printemps 2020. Vincent Éblé, président de la commission des finances du Sénat, regrette que le gouvernement ait décidé de ce report. Et il n’a pas apprécié la façon de faire du gouvernement.
Que reprochez-vous au gouvernement ?
Il y a la méthode qui m’a un peu heurtée (…) Il y a toujours eu une loi de programmation des finances publiques qui s’ajuste quand c’est utile. Et là, ça l’est puisqu’il y a eu des annonces importantes portant tant sur les recettes de l’État que sur ses dépenses. En particulier dans ce qui a été annoncé à la fin de la crise des « gilets jaunes » (…) Dans le débat d’orientation des finances publiques, j’avais demandé à l’interlocuteur présent qui était le ministre Darmanin, que nous puissions réexaminer ces différentes questions à l’occasion d’un ajustement de la loi de programmation des finances publiques. Il m’avait donné son accord personnel mais avait clairement laissé entendre que la décision ne lui revenait pas, en tout cas pas tout seul et qu’il fallait demander au Premier ministre. C’est ce dernier qui a repris la main hier, selon une méthode que j’ai trouvée assez choquante. Moi j’apprends cette décision de ne pas présenter cette loi de programmation, à l’occasion d’une déclaration rapportée par le journal Le Figaro et à propos d’une lettre qui a été adressée au seul rapporteur général de l’Assemblée nationale. C’est-à-dire le plus proche politiquement des interlocuteurs du Premier ministre. Mais il semble qu’il ait méconnu mon homologue, le président de la commission des finances de l’Assemblée nationale, et au Sénat, tout le monde. Ni le rapporteur, ni moi-même, n’avons eu la moindre information. Je suis critique à l’endroit du Premier ministre qui oublie simplement que notre Ve république fonctionne avec un système à deux chambres et que donc la moindre des choses, si on veut respecter le Parlement, c’est d’en tenir compte.
Et sur le fond ?
On nous dit dans la loi de finances pour l’année 2020, qu’il va y avoir quelques éléments relatifs à de la programmation pluriannuelle. Ils sont dans les annexes et en aucun cas, ils ne sont modifiables par les parlementaires. Donc, en fait ce sont des éléments d’éclairage qui sont joints à la loi des finances mais qui ne constituent pas un élément de cadrage de l’action du pouvoir exécutif, comme le Parlement en a, non seulement le droit, mais la mission. Moi, ça me choque tout à fait qu’on ne donne pas au Parlement la possibilité de définir dans un texte normatif des perspectives d’évolution financière et budgétaire, tant en recettes qu’en matière de dépenses. Tout ce qu’on demande, c’est juste de jouer notre rôle, rien de plus. Il n’y a aucune exigence politique excessive. C’est simplement la volonté du Parlement d’exercer la responsabilité que la Constitution lui confie. C’est aussi basique que ça.
Pourquoi le gouvernement agit-il de cette façon ?
« C’est clair comme de l’eau de roche. Cela fait 40 ans que l’État vit, du point de vue de ses dépenses, au-delà de ses moyens. Ce sont ses charges courantes de fonctionnement, qu’il paye par l’accroissement de sa dette. La loi de programmation est le moment qui permet de mettre ses éléments en exergue. Et donc le gouvernement ne veut pas, ni rouvrir, en quelque sorte, le débat sur le rapport recettes/ dépenses, ni se faire interpeller sur comment les réductions d’impôts sont financées. Et je vais vous dire comment elles sont financées : sur le dos des contribuables de demain. On allège peut-être le contribuable d’aujourd’hui mais on alourdit la charge du contribuable de demain au travers d’un accroissement de la dette. Ce sont des cadeaux fiscaux à crédit. Donc évidemment dans la loi de programmation, ça se voit. On n’a pas tellement envie que cette question soit traitée et on attendra le printemps, alors qu’on aurait pu dès l’automne avoir un ajustement.