Une des premières lois d’Emmanuel Macron portera sur la rénovation de la vie politique et la réduction de nombre de parlementaires. Pour pouvoir appliquer cette baisse du nombre d’élus, le futur exécutif pourrait vouloir repousser d’un an les élections sénatoriales prévues le 24 septembre prochain. Cette rumeur semble se confirmer. Le président du groupe PS du Sénat, Didier Guillaume, y est totalement favorable, quand le président LR du Sénat, Gérard Larcher, attend d’être informé des éventuelles intentions d’Emmanuel Macron (voir notre article hier sur le sujet).
La question semble avant tout politique. Un report de 2017 à 2018 du scrutin passe par une loi organique relative au Sénat qui doit obligatoirement être adoptée par la Haute assemblée dans les mêmes termes que par les députés. Autrement dit, si la majorité sénatoriale de droite et du centre s’y oppose, le texte ne passera pas.
« Ce n’est pas une affaire très simple »
Mais ce report est-il réalisable ? Pose-t-il des problèmes constitutionnels ? « Ce n’est pas une affaire très simple » selon le constitutionnaliste Didier Maus. En soi, il est possible de décaler un scrutin. C’est déjà arrivé par exemple pour les législatives de 2002. Prévues en mars, elles ont été décalées en juin pour arriver après la présidentielle, lors de la première élection du Président pour un quinquennat.
En 2003, quand la durée du mandat de sénateur passe de 9 à 6 ans, les dates des élections avaient été déjà décalées (voir la proposition de loi organique). Dans une décision du 15 décembre 2005 du Conseil constitutionnel, les sages ont considéré que la modification des dates de renouvellement des sénateurs n’était alors pas contraire à la Constitution.
« Un calendrier assez serré »
Dans ces deux cas, la date du scrutin avait été modifiée relativement tôt. Ce qui ne serait pas le cas avec les sénatoriales de 2017. « L’Assemblée et le Sénat commenceront à travailler en juin. Il faudra aller vite pour que la loi organique soit adoptée à la fin du mois de juillet, c’est un calendrier assez serré » note Jean-Philippe Derosier, professeur de droit public à Lille 2. Les règles d’une élection ne sont normalement pas modifiées moins d’un an avant le scrutin. Mais aucune loi ne l’écrit. C’est surtout une pratique.
« Il n’y a pas d’obstacle à la réforme elle-même mais un obstacle de calendrier qui peut mettre en cause la régularité d’une opération électorale déjà entamée » confirme Didier Maus. Les comptes de campagne officiels sont déjà ouverts et les convocations ont déjà été envoyées aux conseillers municipaux, qui représentent 96% des grands électeurs des sénateurs. « C’est de nature à fausser la sincérité du scrutin et à remettre en cause le renouvellement périodique des mandats, corollaire de la démocratie » souligne Jean-Philippe Derosier.
« Je ne vois pas le Conseil constitutionnel valider la prorogation d’un an d’un mandat, à moins de deux mois du scrutin »
S’agissant d’une loi organique, le Conseil constitutionnel devra se prononcer obligatoirement. « D’un point de vue constitutionnel, je ne vois pas le Conseil valider la prorogation d’un an d’un mandat, à moins de deux mois du scrutin. La loi ne serait pas adoptée avant le 24 juillet. Or la modification ne peut se faire que pour des raisons sérieuses d’intérêt général » explique Jean-Philippe Derosier. Même doute pour Didier Maus : « Je vois assez bien le Conseil constitutionnel dire qu’on ne peut pas modifier à aussi brève échéance les règles du jeu et prolonger le mandat des sénateurs. Dans une décision de 2001 sur le report des législatives de 2002, il avait vérifié que les objectifs du législateur étaient raisonnables. Il avait considéré que c’était une prolongation qui apparaissait comme strictement nécessaire à l’objectif. Là, on est dans un calendrier où on pourrait dire exactement le contraire. Mon sentiment, c’est que c’est extrêmement tangent pour ne pas dire risqué sur le plan constitutionnel. J’aurais tendance à penser que ce serait très difficile pour que le Conseil valide. L’objectif peut être atteint en attendant les élections suivantes ».
Une fois la loi organique adoptée, le Conseil constitutionnel a normalement un mois pour se prononcer. « Mais le gouvernement peut demander que ce soit fait en 8 jours » explique un connaisseur des institutions. Le Conseil constitutionnel compte 9 membres, plus les anciens Président. Nicolas Sarkozy ne vient jamais et François Hollande a annoncé qu’il ne siégerait pas. Quant à Valéry Giscard-d'Estaing, cela lui arrive de venir, notamment pour les décisions sur les lois organiques.
Le référendum éviterait le risque constitutionnel
Emmanuel Macron peut toujours décider de passer par une autre voie : un référendum, selon l’article 11 de la Constitution qui permet de soumettre aux Français « tout projet de loi portant sur l'organisation des pouvoirs publics ». « Cela couperait court aux problématiques constitutionnelles », selon Jean-Philippe Derosier. Mais politiquement, on sait qu’un référendum est toujours risqué. La tentation est grande de ne pas répondre à la question. Et on retrouve une difficulté de calendrier. « Le référendum devrait se tenir courant juillet ou tout début septembre. Et si la réponse est non, les sénatoriales seraient maintenues et il faudrait quand même une campagne » souligne le professeur de droit public.
Certains estiment, notamment du côté des LR, que le report impliquerait un autre problème. La moitié des sénateurs élus en 2018 le serait selon les nouvelles règles, avec moins de parlementaires. L’autre moitié des sièges, dont le mandat serait toujours en cours, serait en revanche toujours sous l’ancien système, où la réduction du nombre de parlementaire ne serait pas appliquée. Ce qui pourrait poser un problème de proportionnalité pour le nombre de sénateurs par département en fonction de la population. Mais selon Didier Maus, pas de problème : « Il est parfaitement possible que la réforme s’applique en deux fois ». « Il y a toujours une période de transition » confirme Jean-Philippe Derosier.
« Vous croyez que le Sénat voudra se faire hara-kiri ? »
Autre impact : en cas de réunion du Congrès, la part des sénateurs face aux députés serait réduite, puisque les députés ne seraient concernés par les nouvelles règles que lors des législatives de 2022. Cela aurait une incidence sur la composition du Congrès, au détriment du Sénat, pointent certains.
Il ne serait aussi peut-être pas facile pour les sénateurs d’accepter d’être les premiers à s’appliquer la réduction du nombre du parlementaire, même si tous les groupes sont d’accord sur le principe. « Vous croyez que le Sénat voudra se faire hara-kiri ? » demande un bon connaisseur du Parlement. Mais un autre spécialiste du droit voit « un élément favorable aux yeux de certains sénateurs : le report des sénatoriales entraînerait le report d’un an de la loi sur le non-cumul des mandats. Ça peut faire passer la pilule ».