French Parliamentary Elections, Paris, France – 07 Jul 2024

Résultats du RN aux législatives : « La normalisation est un processus qui est toujours loin d’être achevé »

La troisième place du Rassemblement national aux élections législatives anticipées du 7 juillet dernier a pris tout le monde de court : responsables politiques, militants, électeurs, observateurs. Ce qui est en réalité une défaite en demi-teinte, car la poussée du parti d’extrême-droite est historique, s’explique par une mobilisation exceptionnelle des électeurs opposés au RN pour lui faire barrage. Analyse.
Mathilde Nutarelli

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Hier soir, à la grande surprise des observateurs de la vie politique, des sondeurs, et peut-être du reste des Français, ce n’est pas le Rassemblement national qui est arrivé en tête du second tour des élections législatives anticipées. En effet, le parti lepéniste n’a obtenu que 143 sièges, en comptant ceux dévolus à ses alliés ciottistes. Un score très loin des 289 nécessaires pour la majorité absolue que Marine Le Pen et Jordan Bardella espéraient pour former un gouvernement. Et surtout, un score qui les place derrière la gauche, unie sous la bannière du Nouveau Front Populaire, et qui a obtenu 182 sièges, et derrière le bloc macroniste, qui sort affaibli mais toujours vivant avec 168 sièges. Si Jordan Bardella reconnaît « des erreurs », comment expliquer que la dynamique du premier tour, qui donnait le RN gagnant, et les sondages qui ont jalonné la semaine d’entre-deux-tours, se soit avérée inexacte ?

Une « défaite en demi-teinte »

La première chose à comprendre, pour analyser les résultats du RN d’hier soir, c’est leur ambivalence. « C’est une défaite en demi-teinte pour le RN », explique Félicien Faury, sociologue et politiste, chercheur postdoctoral au Cesdip, auteur de « Des électeurs ordinaires : Enquête sur la normalisation de l’extrême-droite » (Seuil, 2024), « obtenir 143 sièges, il y a quelques années, c’était quelque chose de presque impensable, d’inespéré pour le RN. C’est donc un résultat très bon et important pour ce parti qui avait deux députés en 2012, huit en 2017. C’est une progression linéaire voir exponentielle ». Le parti d’extrême-droite, qui a commencé comme paria dans l’espace politique, est maintenant capable d’avoir le plus grand groupe parlementaire à l’Assemblée nationale, l’augmentant, en deux ans, de 54 députés. Marine Le Pen a en effet, dès l’annonce des résultats hier soir, utilisé cet argument dans ses éléments de langage. Elle a salué son parti, le « premier en nombre de voix et de députés ». « Cela va se traduire en manne financière très importante pour le parti et en manne de collaborateurs parlementaires, ce qui est important pour solidifier encore davantage sa stratégie de professionnalisation », prédit Félicien Faury.

Pour autant, une fois reconnue la poussée très importante et même historique pour un parti d’extrême-droite en France, les choses sont à relativiser. « Au vu des horizons d’attente suscités par les sondages et leur commentaire journalistique, c’est une défaite, à l’aune de ce que pouvait espérer le RN », affirme Félicien Faury. Erwan Lecoeur est sociologue spécialiste de l’extrême-droite et membre du Gresec. Il reconnaît : « Beaucoup de gens, des supporters comme des cadres, estimaient que cette fois ça y était, que le RN allait prendre le pouvoir. Et il se retrouve troisième de façon très surprenante. C’est une surprise même pour les sondeurs et pour moi. Je n’avais pas prévu ça du tout ».

Des « erreurs » du côté des candidats

Les cadres et les militants RN ne s’y attendaient pas non plus. En attestent les mines déconfites devant les résultats hier soir aux soirées électorales RN, ou encore les mea culpa de plusieurs cadres RN sur les plateaux. Ainsi, Sébastien Chenu, ce matin sur France Inter, a reconnu « une erreur d’expression » concernant sa phrase sur les binationaux. Louis Aliot, sur RTL, a exprimé le besoin d’un « examen de conscience ». Jordan Bardella, devant le siège du RN, a reconnu des « erreurs ». Pour comprendre leur défaite, certains pointent des candidats « qui n’auraient pas dû l’être », selon Louis Aliot. En l’espèce, une centaine de candidats RN se sont révélés avoir tenu des propos racistes, avoir des accointances avec les idées nazies, ou alors manquer cruellement de compétence. Ils ont été, parfois, écartés par le parti. Le résultat de cette séquence médiatique a été l’hyper resserrement de la présence médiatique des membres du RN. Presque plus de candidats sur les plateaux télé pour les débats locaux, et une liste très restreinte de personnes autorisées à parler. « Il y a bel et bien une cinquantaine de cadres supérieurs qui sont formés au RN », explique Erwan Lecoeur, « ce qui n’a pas changé, c’est la formation au niveau des militants, qui n’est pas excellente. Il y a encore tout un tas de gens qui n’ont pas eu droit à cette formation, parce qu’ils ne pensaient pas en avoir besoin avant 2027. Le RN n’était pas prêt à avoir 250 députés ». Pour le sociologue, cette séquence a fait voler en éclats la « vitrine ripolinée » du RN, construite par Marine Le Pen, pour montrer « l’intérieur de la boutique ».

Pour défaire le RN, le barrage républicain a joué à plein

Ce manque de formation et ce besoin en ressources humaines ont-ils pu causer la chute du parti lepéniste ? « Durant l’entre-deux-tours, il y a eu une attention médiatique sur le racisme et l’antisémitisme, et sur la façon dont ils structurent l’extrême-droite et ses électeurs », analyse Félicien Faury, « il semble que la médiatisation autour de ces thématiques n’a pas freiné les électeurs du RN, mais a sur mobilisé la réaction en face ». En effet, les scores plus bas que prévu du RN au second tour sont à attribuer au « barrage républicain », c’est-à-dire aux nombreux désistements de candidats de la gauche et du centre en cas de triangulaire face à un RN en voie de l’emporter. De quoi relativiser la « dédiabolisation » du parti d’extrême-droite, entreprise par Marine Le Pen dans les années 2010. « La normalisation est un processus qui est toujours loin d’être achevé pour le RN », confirme Félicien Faury, « c’était le cas avant les législatives. Mais l’augmentation du RN se nourrit de l’indifférence, de l’abstention que l’on peut trouver dans les autres forces politiques concurrentes. On l’a vu aux élections européennes : une forte abstention de la gauche fait que mécaniquement le RN obtient des suffrages. Mais lorsqu’il y a une crainte de la gauche et du centre de voir le RN arriver au pouvoir, les électeurs se mobilisent ». Une mobilisation exceptionnelle et inattendue, d’autant qu’en 2022, le barrage républicain n’avait pas joué à plein, le camp présidentiel ayant choisi la stratégie du « Ni-ni » : ni RN ni LFI. Ce regain de mobilisation pour faire barrage est dû, selon Erwan Lecoeur, à une implication très forte des leaders des mouvements citoyens, comme le mouvement climat. « Les têtes de réseaux ont lancé sur internet une mobilisation dans les circonscriptions. C’est le mouvement citoyen qui a gagné et qui a fait chuter le RN, pas les partis », analyse-t-il.

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