BRUNO RETAILLEAU LE HAVRE
Credit : Maxime Le Pihif/SIPA

Retailleau, Philippe, Attal : en 2027, n’y aura-t-il « que des cadavres à la fin » ?

Entre Bruno Retailleau, nouvel homme fort de la droite, Edouard Philippe, déjà candidat pour 2027, Gabriel Attal, qui rêve de l’être, Gérald Darmanin et les autres, la division menace le socle commun pour la présidentielle. La machine à perdre est-elle en marche ? A moins que certains rapprochements s’opèrent, à l’approche du scrutin…
François Vignal

Temps de lecture :

10 min

Publié le

Mis à jour le

« La campagne 2027 a commencé, clairement ». Pour ceux qui en doutaient encore ou qui suivent l’actualité avec une certaine distance, les mots de ce cadre du parti Renaissance résument la situation : la présidentielle a déjà commencé. Une forme de précampagne, où chacun s’échauffe et se regarde, en chien de faïence. A droite et au centre, ou plutôt dans le socle commun, on voit déjà se profiler une multitude de candidats, plus ou moins sérieux, à deux ans de l’échéance. Ça se bouscule et déjà, les coups sont lâchés entre ceux qui sont pourtant membres de la même majorité gouvernementale.

La victoire écrasante de Bruno Retailleau dimanche dernier à la présidence des LR lui donne aujourd’hui les habits de nouvel homme fort de la droite. De quoi donner de l’ambition pour 2027. Sauf qu’à droite, un certain Edouard Philippe est déjà sur les rangs, candidat déclaré. Sans oublier l’ancien premier ministre Gabriel Attal, qui se verrait bien incarner l’héritage d’Emmanuel Macron. Retailleau, Philippe, Attal… le spectre de la division et la machine à perdre est-elle en marche, à droite et au centre droit ?

« Gabriel Attal est capable de se maintenir coûte que coûte »

A mots couverts, certains le craignent maintenant dans le camp présidentiel. « Soit il y a une sélection naturelle, en étant raisonnable ou par le rapport de force, et on a une chance de s’en sortir. Soit les uns et les autres vont à la guerre et il n’y a plus que des cadavres sur le champ de bataille à la fin », lâche une députée Renaissance il y a quelques jours, à l’heure du déjeuner. Cette dernière n’exclut pas l’option B, soit une bataille ouverte au sein de son camp. « Je pense qu’Attal est capable de se maintenir coûte que coûte », soutient cette élue, qui craint la stratégie du pire :

 Il peut y avoir une forme de cynisme à dire, il vaut mieux 5 ans de Bardella que 10 ans de Philippe. Cette élection rend suffisamment toc toc pour que cela caresse l’esprit de certains. 

Une députée Renaissance.

Autre signe qui plaide pour l’option « plus on est de candidats, plus on rit » : au sein d’Horizons, le parti d’Edouard Philippe, on juge aujourd’hui acquise une candidature du président du groupe EPR (Renaissance). « Au dernier bureau politique d’Horizons, on a acté le fait qu’il y aura un candidat Attal et un candidat Retailleau », confie ainsi un responsable du parti philippiste.

Bruno Retailleau, c’est le troisième larron qui vient pimenter l’histoire. « Nous avons vocation à être les premiers. Et nous allons tout faire pour cela. Nous avons une incarnation, un parti revigoré », s’enthousiasme le sénateur LR Max Brisson, porte-parole du groupe et l’un des fidèles soutiens de Bruno Retailleau.

« Il y a deux couloirs de nage : un macroniste et un LR »

Dans l’entourage du ministre de l’Intérieur, sa victoire ne fait que confirmer l’idée qu’« il y a de la place pour un candidat de droite à la présidentielle. Les sondages le montrent. La droite serait bien idiote de se coucher maintenant en disant on se rangera derrière le candidat du centre. La vraie question, c’est celle de l’espace politique et donc de la position », avance un proche de Bruno Retailleau, qui résume sa vision de l’équation : « Il y a deux couloirs de nage : un macroniste et un LR. Il y a une bataille qui s’est terminée dimanche à LR. Donc Bruno Retailleau est tout seul dans son couloir, ce qui n’est pas le cas de Philippe, qui a encore de la concurrence. Et les deux couloirs ont vocation à exister jusqu’à la présidentielle. Après, les circonstances d’une présidentielle, on ne les connaît pas », soutient-il, ne voyant pas comment Philippe et Attal échappent à une primaire pour les départager.

Mais il l’assure, personne ne lévite encore dans l’entourage du ministre de l’Intérieur depuis son sacre. Sa garde rapprochée n’a même pas eu le temps de fêter la victoire, assure-t-elle. « Il y a eu un moment un peu particulier, avec une incarnation que nous cherchions. Mais si on ne veut pas que tout cela retombe, il faut dire aux Français ce que la droite républicaine pense sur le travail, l’école, etc », prévient Max Brisson, qui ajoute :

 Le grand défaut, c’est de penser que c’est fait. Non, ça commence. Pour éviter l’effet bulle, il faut structurer tout ça. 

Max Brisson, sénateur LR, soutien de Bruno Retailleau.

Bruno Retailleau a d’ailleurs prévu un congrès, fin août, dans cette optique (voir notre information sur le sujet). Et plutôt que « de l’eau tiède », il faudra amener « de l’eau froide, de l’eau chaude », dit Max Brisson, autrement dit, assumer des positions tranchées. Quitte à continuer à se démarquer d’Emmanuel Macron. « Le macronisme, c’est fini, comme le giscardisme, le pompidolisme. Le temps long, c’est le gaullisme ou le mitterrandisme », soutient le sénateur LR.

« A part commenter l’actualité, quand il y a un fait divers, je ne vois pas grand-chose chez Retailleau »

Dans l’ex-majorité présidentielle, on commence aussi à sortir les couteaux face à un allié devenu un peu trop présent, un peu trop puissant. Chez Horizons, si un chapeau à plumes reconnaît avoir été « surpris » par la victoire de l’ex-sénateur de Vendée, il en minimise aussitôt la portée : « C’est 75 % de 97.000 votants. Avant dimanche, il était à 8 % dans les sondages. Il y a un petit effet mais on en reparle dans deux/trois mois », se rassure cet élu.

Du côté des amis de Gabriel Attal, on est plus dur encore et, sous couvert d’anonymat, on attaque le ministre sur le thème de l’absence de résultat. « A part commenter l’actualité, quand il y a un fait divers, je ne vois pas grand-chose. Ce n’est pas à la hauteur », lâche une proche de l’ancien premier ministre, qui ajoute : « 2027 n’existera pour personne, si aux responsabilités, ils nous expliquent qu’ils sont des incapables ». La même distribue les mandales – pas de jaloux – et envoie une belle droite au boxeur Philippe en raillant « la stratégie du planqué, en attendant que ça passe, pour 2027 ». « Edouard Philippe, ça fait tellement longtemps qu’il n’est plus premier ministre, qu’il est hors-jeu. Philippe est loin de la balle », confirme un autre député Renaissance.

Et de pointer l’absence, pour l’heure, du programme, que les soutiens du maire du Havre annoncent après les municipales : « Pour l’instant, le truc massif, je ne le vois pas… » Au passage, cette porte flingue de Gabriel Attal reprend la petite musique entonnée par Laurent Wauquiez durant la campagne LR. « Philippe va-t-il succomber aux sirènes de Retailleau ? Ou l’inverse ? » demande cette parlementaire.

« Retailleau et Philippe peuvent travailler ensemble, car ils s’estiment »

Il n’y a pas de fumée sans feu. On constate un certain respect entre Bruno Retailleau et Edouard Philippe. Le premier a d’ailleurs rendu visite au second, à sa mairie du Havre, il y a quelque mois. Et dans les deux camps, on dit du bien de l’autre. « Il y a une capacité à discuter avec Retailleau », reconnaît-on chez un soutien du patron d’Horizons, « il n’a jamais fermé la porte au fait de travailler avec Edouard Philippe ». « Ils peuvent travailler ensemble, car ils s’estiment », confirme l’entourage du ministre de l’Intérieur, « mais ils n’ont pas le même projet ». Le même l’assure : « Il n’y a pas de deal secret, loin de là ». Seule la situation à gauche semble être en mesure de pouvoir changer la donne. « Si Mélenchon devient une menace pour le second tour, c’est sûr que ça posera une question à tout le monde », soutient ce proche, « mais ça ne peut pas se décider avant ».

D’ici là, c’est que le meilleur gagne. Et il ne faut pas trop pousser les soutiens du ministre pour lâcher aussi quelques banderilles. « Son équation personnelle est ultra fragile. Tout ça peut s’effondrer très vite », pense un stratège, qui au regard des sondages, soutient même que l’ex-premier ministre « est déjà sur un toboggan ». Le moment n’est pas sans lui rappeler un passé pas si lointain. « J’ai l’impression de revivre ce qu’on a vécu avec Juppé, qui était au firmament de sa gloire, en 2014, qui ne disait rien », se remémore-t-il. Or « ne pas descendre dans l’arène », « c’est la grande erreur de Philippe », pense se retailliste.

« Darmanin se rangera derrière celui en tête. C’est Darmalin »

Pour compliquer la donne, d’autres se poussent du col. Ou du moins essaient, entre les ambitions d’Aurore Bergé, qui s’y prépare, la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, sans oublier Gérald Darmanin, le ministre de la Justice. « Chacun essaie de faire grossir le plus possible son écurie pour être à la table des négociations après. Ce schéma, on l’a déjà vu trop souvent. Darmanin aussi pourrait penser à être candidat », décrypte un responsable du parti d’Edouard Philippe, qui assure rester serein. « Gérald a toujours eu cette ambition d’être Président. Il se positionne en recours potentiel, sachant que ça va être dur. Il organise son écurie, en se disant, sur un malentendu… Et sinon, il organise son ralliement. Il se rangera derrière celui en tête. C’est Darmalin », lâche dans un sourire notre responsable Horizons. La jeanclaudedussisation de la vie politique française nous guette-t-elle ?

Quant à Aurore Bergé, elle en prend aussi pour son grade. « Personne n’a pleuré quand elle n’était plus présidente de groupe. On a pleuré quand elle était là », tacle un député Renaissance. Attention aux balles perdues. Comme dirait l’autre, le groupe vit bien.

François Patriat : « J’appelle à la raison pour qu’il n’y ait demain qu’un seul candidat du bloc central »

Face à cette montée des tensions, dans le même camp, faut-il le rappeler, il faut aller chercher du côté de la Haute assemblée pour trouver un peu de sagesse toute sénatoriale. « Que les choses soient claires : si on veut qu’un candidat du bloc central gagne demain, il faudra que quelqu’un se dégage parmi eux. Je ne suis pas favorable aux primaires. Il faudrait qu’il y ait entre eux des négociations ou que quelqu’un se dégage. Sinon, ce serait une attitude très suicidaire », met en garde François Patriat, président du groupe RDPI (Renaissance) du Sénat. Le sénateur alerte : « S’il y avait plusieurs candidats du centre et du bloc central, de facto, ils annihileraient automatiquement leurs chances »

S’il préférerait « ne pas parler de la présidentielle maintenant », François Patriat a son explication à la multiplication des offres de service. « Le ticket d’entrée pour le second tour peut se trouver demain entre 14 et 16 %. Ils sont aujourd’hui 6 ou 7 à penser pouvoir faire 15 %. De là à les faire, c’est autre chose. Un sondage d’intention de vote aujourd’hui n’a aucun sens, il peut tellement changer », rappelle l’élu de Côte-d’Or. Alors face au spectre de la division, le patron des sénateurs macronistes insiste : « J’appelle à la raison pour qu’il n’y ait demain qu’un seul candidat du bloc central. Mais cessons de parler de ça en ce moment ». Dit autrement, la présidentielle, il faut y penser très fort, mais n’en parler jamais.

Pas avare de plaisanterie, François Patriat fait mine d’avoir déjà le coup d’après en tête : « En 2027, le soir même de la présidentielle, je publierai un post #Macron2032 » blague cet éternel fidèle du chef de l’Etat. S’il ne devait en rester qu’un, ce sera lui.

Partager cet article

Dans la même thématique

SIPA_01215779_000015
5min

Politique

Porno : pourquoi les sites Pornhub ou Youporn sont-ils de nouveaux accessibles ?

Après avoir bloqué son accès à tous les utilisateurs en France pour protester contre la législation française qui contraint ces plateformes à vérifier efficacement l’âge de leurs visiteurs, l’éditeur de sites pornographiques Aylo (Pornhub, RedTube et YouPorn) est de nouveau accessible, en raison d’une décision du tribunal administratif qui a donné gain de cause aux géants du X.

Le

Agen Ok
9min

Politique

Municipales 2026 : à Agen, la gauche part unie du PS… à LFI

Au regard des divisions au plan national, c’est un tour de force. A Agen, toutes les composantes de la gauche ont pourtant réussi à faire l’union en vue des municipales, du PS aux Ecologistes, en passant par le PCF, Place Publique et même LFI. Les enjeux locaux ont facilité le rassemblement. L’accord du NFP a aussi laissé des traces…

Le