Invité de la matinale de Public Sénat, Mathieu Darnaud, président du groupe Les Républicains au Sénat, a répété ce jeudi que son parti ne participerait pas à « un gouvernement dont le Premier ministre serait de gauche et porterait le programme du Nouveau Front populaire ». Le responsable pointe « l’irresponsabilité » des forces politiques qui ont voté la censure.
Retour sur les enquêtes du Sénat (1re partie) : affaire McKinsey, la concentration des médias et les déboires du système hospitalier
Par Romain David
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En 2022, le Sénat a exercé à plein sa mission de contrôle. En France, le Parlement n’est pas seulement chargé de voter la loi, il exerce aussi un droit de regard sur l’action du gouvernement et des services publics, en déployant ses propres moyens d’investigation, sous la forme de missions d’information ou de commissions d’enquête. Ces dernières ne peuvent jamais porter sur l’objet d’une enquête judiciaire, séparation des pouvoirs oblige. Leur durée est limitée à six mois. En revanche, elles disposent de certaines prérogatives. À titre d’exemple : il n’est pas possible pour les personnes concernées de se dérober à la convocation d’une commission d’enquête parlementaire ; entendu sous serment, il s’expose à des poursuites judiciaires en cas de parjure.
Au Sénat, la médiatisation et les implications politiques de certains travaux d’investigation - on se souvient de l’affaire Benalla en 2018 - ont affirmé au fil du dernier quinquennat le rôle de contre-pouvoir de la Haute Assemblée, dominée par une majorité de droite et du centre. Plusieurs enquêtes menées au cours de l’année écoulée ont confirmé cette tendance. À commencer par celle, très médiatisée, sur le recours aux cabinets de conseil, venue heurter la campagne présidentielle.
Cabinets de conseil : suspicion de faux témoignage et plusieurs enquêtes judiciaires
Fin 2021, c’est à l’initiative du groupe communiste que la Chambre haute décide de se pencher sur le recours aux cabinets de conseil par le gouvernement, en particulier pendant la crise sanitaire déclenchée par le covid-19. La filiale française du cabinet américain McKinsey a notamment participé à la mise en place de la stratégie vaccinale. Très vite, les auditions conduites par les rapporteurs Éliane Assassi (PCF) et Arnaud Bazin (LR) révèlent les dérives d’un système « tentaculaire et opaque », selon le rapport d’enquête, où l’emploi de prestataires privés par les ministères est devenu monnaie courante. Ce phénomène remonterait à l’ère Sarkozy mais s’est sensiblement accéléré sous Emmanuel Macron. Les élus s’interrogent notamment sur la pertinence des services fournis. À l’image de ce séminaire sur l’avenir du métier d’enseignant, facturé un demi-million d’euros à l’Education nationale en 2020. Dans leurs conclusions, les sénateurs dénoncent l’intégration des consultants aux équipes ministérielles, et leur influence supposée sur la prise de décisions publiques.
» Retrouvez l’ensemble des conclusions de la commission d’enquête sénatoriale sur le recours aux cabinets de conseil
En marge d’une campagne présidentielle plutôt atone, la polémique vient offrir un angle d’attaque aux adversaires du chef de l’Etat. « S’il y a des preuves de manipulation, que ça aille au pénal ! », lance Emmanuel Macron passablement agacé sur le plateau de France 3, à quinze jours du premier tour. Au début du second quinquennat, le nouveau gouvernement s’engage à faire preuve de parcimonie. Les dépenses allouées pour chaque mission de conseil seront désormais limitées à deux millions d’euros, et les ministères priés de baisser de 15 % leur recours aux prestataires privés. En octobre, le Sénat a présenté sa propre proposition de loi en la matière, votée à l’unanimité des participants, mais qui attend toujours d’être inscrite à l’ordre du jour du côté de l’Assemblée nationale. Ce texte entend soumettre les consultants à une obligation de déclaration d’intérêts auprès de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Il prévoit des amendes administratives en cas de manquement. Toujours dans un souci de transparence, il impose la publication annuelle d’un récapitulatif des prestations fournies à l’Etat par des cabinets de conseil, et bannit les services « pro-bono » dans l’administration. Par ailleurs, les consultants ne pourront plus utiliser les logos des ministères qui les emploient sur les documents produits.
» Retrouvez le contenu de la proposition de loi adoptée par le Sénat pour encadrer le recours aux cabinets de conseil
Les travaux de la commission d’enquête ont connu de multiples ramifications. Le 25 mars 2022, le Sénat avait annoncé avoir saisi la justice pour une suspicion de faux témoignage. Un signalement visant Karim Tadjeddine, directeur associé et responsable du secteur public de McKinsey France, qui avait assuré aux élus lors de son audition, le 18 janvier, que la filiale française du groupe s’acquittait de ses impôts en France. Des déclarations finalement mises à mal par des documents du ministère des Finances auxquels les sénateurs ont eu accès, et faisant état de résultats fiscaux négatifs depuis une dizaine d’années. Dans la foulée, le Parquet national financier a ouvert une enquête pour « blanchiment aggravé de fraude fiscale ». En marge de cette première affaire, deux autres informations judiciaires ont été lancées cet automne sur les « conditions d’intervention de cabinets de conseils dans les campagnes électorales de 2017 et 2022 » d’Emmanuel Macron.
Concentration des médias : les grandes fortunes de France sur le gril de sénateurs
Sous l’impulsion des socialistes, le Sénat accepte le 2 novembre 2021 d’ouvrir une commission d’enquête sur les conditions de rachat des médias en France par certains grands groupes. De l’aveu même de Patrick Kanner, le chef de file des sénateurs PS, c’est le groupe Bolloré, détenu par Vincent Bolloré, qui est en partie visé par cette démarche. Le milliardaire breton, déjà propriétaire des chaînes du groupe Canal, est devenu ces dernières années l’actionnaire majoritaire des titres du groupe Lagardère. Les sénateurs entendent passer au crible les différents mécanismes pouvant aboutir à une telle concentration dans les médias, évaluer l’impact de ce phénomène sur le travail des journalistes et la démocratie.
Xavier Niel, Patrick Drahi, Martin Bouygues… au fil des auditions, quelques-unes des plus grosses fortunes de France défilent au Palais du Luxembourg. L’occasion d’échanges plus ou moins tendus, notamment lorsque le rapporteur David Assouline interroge Vincent Bolloré, ou encore Bernard Arnault, sur d’éventuelles ingérences dans les rédactions qu’ils financent. À chaque fois la même réponse : ces capitaines d’industrie font valoir l’intérêt économique et réfutent tout calcul politique. Un désintéressement à géométrie variable néanmoins : « Il faut que l’actionnaire puisse réagir au changement de ligne. Je n’ai pas envie de financer un journal qui devienne le support de l’extrême droite ou de l’extrême gauche », assume le patron de LVMH.
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Dans ces préconisations, le rapport d’enquête évoque la mise en place, sur avis consultatif de l’Arcom, d’un « administrateur indépendant » au sein du Conseil d’administration des groupes de médias, chargé de veiller à l’indépendance des rédactions en prévenant les conflits d’intérêts. Il invite également le gouvernement à lancer « un grand débat au Parlement » sur les évolutions de la loi de 1986 relative à la liberté de communication, désormais menacée par la numérisation des pratiques.
Notons que cette commission d’enquête a mis à rude épreuve la logique transpartisane qui prédomine traditionnellement sur ce type de travaux. Dès les premières auditions, de vives tensions sont apparues entre la majorité sénatoriale de droite et du centre, et la gauche, sur l’objet même des investigations. Alors que la droite a voulu envisager la concentration des médias comme un levier potentiel de résistance face à la suprématie des GAFA, le rapporteur David Assouline souhaitait davantage se concentrer sur l’amoindrissement du pluralisme. Il aura fallu 6 heures de réunion, et quelques échanges mouvementés, pour que la commission s’accorde sur l’adoption du rapport d’enquête.
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L’hôpital public : le système de soins grevé par l’immense détresse des soignants
Les polémiques sur les fermetures de lits, en dépit du covid-19 et des investissements liés au Ségur de la Santé, ont poussé la Haute Assemblée à créer sur demande des Républicains une commission d’enquête sur « la santé et la situation de l’hôpital public en France ». Rapidement, les sénateurs acquièrent la certitude que les fonds débloqués pour relancer l’hôpital n’apporteront qu’une réponse partielle pour soulager un système qui a commencé à se déliter bien avant la crise sanitaire. Le mal-être des soignants, pris en tenaille entre la dégradation de leurs conditions de travail et « une morale du dévouement », devient le fil rouge de nombreuses auditions. « Quand on n’a pas de temps, on est maltraitant. Si on ne règle pas le problème de souffrance des soignants, on ne peut pas traiter les souffrances des patients », alerte notamment Agathe Lechevalier, présidente du syndicat Jeunes médecins.
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Rendu public le 31 mars, le rapport d’enquête prône une revalorisation des indemnités de permanence des soins hospitaliers, surtout pour le travail de nuit et les week-ends. Il appelle à développer des outils informatiques plus performants et à recruter davantage de secrétaires médicales pour libérer les soignants d’une partie de leurs tâches administratives. Il propose également de mettre en place un outil d’alerte lorsque le ratio de soignants par patients passe en dessous d’un certain seuil dans les services. Les sénateurs estiment également que le corps médical devrait occuper une place plus importante dans les organes de direction des hôpitaux.
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