Retour sur les enquêtes du Sénat (2e partie) : l’envers du porno français, la gestion des Ehpad, et le fiasco du Stade de France

Retour sur les enquêtes du Sénat (2e partie) : l’envers du porno français, la gestion des Ehpad, et le fiasco du Stade de France

Public Sénat vous propose une rétrospective en deux parties autour d’un versant moins connu du travail parlementaire : ses activités de contrôle de l’action publique. Enquêtes, missions d’information… La Haute Assemblée dispose de différents outils pour interroger, remettre en cause et parfois bousculer l’action du gouvernement. L’année 2022 n’a pas dérogé à la règle. Au menu de ce second volet : le scandale des Ehpad, les dessous de l’industrie pornographique et le fiasco de la finale de la Ligue des champions au Stade de France.
Romain David

Temps de lecture :

9 min

Publié le

Mis à jour le

Les sénateurs ont pour mission de voter la loi, mais aussi de contrôler l’action gouvernementale. Dans ce dernier volet de notre série consacrée aux différentes investigations menées par la Haute Assemblée en 2022, nous nous intéressons plus particulièrement aux missions d’information. « Les commissions permanentes, outre leur rôle dans l’examen des projets et propositions de loi, ont la charge, sur les questions relevant de leur compétence, d’assurer l’information des sénateurs et de les assister dans leur mission de contrôle du gouvernement. À cette fin, elles peuvent notamment, sous certaines conditions, constituer des missions d’information : une délégation de la commission est alors chargée d’étudier le problème concerné, soit en France, soit à l’étranger, et de publier un rapport », lit-on sur le site du Sénat.

Le fonctionnement d’une mission d’information est similaire à celui d’une commission d’enquête : elles sont limitées dans le temps, pluralistes et copilotées par un président et un rapporteur. En revanche, elles ne disposent pas des mêmes pouvoirs de convocation ou de perquisition, ce qui ne les empêche pas, dans certains cas, de bénéficier d’un fort retentissement médiatique.

» Avant d’aller plus loin : si vous n’avez pas lu notre premier volet consacré aux commissions d’enquêtes sénatoriales de l’année 2022, on vous invite à cliquer ici.

Ehpad : la quête de profits des groupes privés

Publié en février 2022, l’ouvrage du journaliste Victor Castanet, Les Fossoyeurs, sur les Ehpad du groupe Orpea, a fait l’effet d’une bombe dans l’opinion. L’auteur y décrit de l’intérieur la mise en place d’un vaste système d’optimisation de la dépense, au détriment du bien-être et de la santé des pensionnaires. Différents responsables du groupe sont rapidement auditionnés par l’Assemblée nationale, et le gouvernement diligente une enquête administrative. S’appuyant sur les conclusions de cette dernière, l’exécutif saisit le procureur de la République pour réclamer à Orpea le remboursement d’une partie des fonds publics indûment employés. À la demande du groupe, une partie du rapport d’inspection n’est pas rendue publique au nom du « secret des affaires ».

Plus prudent, le Sénat ne veut pas rouvrir un délicat débat sur le modèle des Ehpad publics en France, et choisit plutôt de se pencher sur l’action de contrôle du gouvernement – comment l’administration a-t-elle pu rester aveugle aux situations décrites par Victor Castanet ? - et le pilotage du secteur. Devant l’émotion suscitée par cette affaire, la mission d’information mise en place par la commission des affaires sociales est finalement dotée des pouvoirs d’investigation d’une commission d’enquête après un vote des sénateurs en séance publique.

« Il y a eu des erreurs, mais je préférerais les qualifier d’exceptions », minimise Philippe Charrier, le président-directeur général d’Orpea, lors de son audition, pointant les difficultés du secteur liées à une crise des vocations. De leur côté, les contrôleurs-inspecteurs des Agences régionales de Santé dénoncent devant les sénateurs un manque de moyens pour pouvoir contrôler efficacement les 11 000 structures d’hébergements pour personnes âgées.

» Lire aussi - « Il y a eu des erreurs, mais je préférerais les qualifier d’exceptions » : les dirigeants d’Orpea sur le gril des sénateurs

» Lire aussi - Contrôle des Ehpad : l’inspection n’est pas une mission « prioritaire » dans les ARS, selon les syndicats des corps d’inspection de santé publique

Publié en juillet, le rapport des sénateurs Bernard Bonne (LR) et Michelle Meunier (PS) dénonce l’obsession du profit des groupes privés, qui se traduit en partie par une saturation des taux d’occupation dans certains établissements. Les élus insistent sur la nécessité de renforcer les contrôles, pas seulement dans les établissements, mais également au sein des groupes pour prévenir certaines pratiques. Ils préconisent ainsi d’élargir les compétences de la Cour des comptes et des chambres régionales des comptes. Autre recommandation : la mise en place d’un numéro d’urgence pour signaler les cas de maltraitances et la création d’un conseil national consultatif des personnes âgées.

» Retrouvez les conclusions de la mission d’information sur les Ehpad : après le scandale Orpea, le Sénat préconise des contrôles renforcés

Pornographie : l’envers du décor

Jamais encore un travail parlementaire en France ne s’était intéressé à ce milieu. Aux origines de la mission d’information sur la pornographie diligentée par la délégation aux droits des femmes, une série d’enquêtes publiées par le journal Le Monde sur les violences sexuelles dans le porno français. En parallèle, le Sénat entretenait déjà des griefs contre la filière, sur la difficile application d’une proposition de loi adoptée en 2020, obligeant les sites pornographiques à vérifier l’âge de leurs utilisateurs. Au cours de dizaines d’heures d’auditions, les élus ont notamment entendu des victimes de l’affaire dite « French Bukkake », des actrices X, mais aussi certains producteurs comme Jacquie & Michel et Dorcel. Durant cette dernière audition, la sénatrice Laurence Rossignol (PS) a notamment dénoncé les préjugés racistes dans les catégories de recherche des sites porno. « Je suis allée voir sur votre site. Vous avez une rubrique interraciale et dans cette rubrique, j’ai trouvé le synopsis d’un film : Gina, Chloé et Cheryl vont vous montrer comment on s’occupe d’une grosse bite black. Avez-vous aussi des films dans lesquels on dit comment s’occuper de grosse bite blanche ? », a-t-elle lancé.

» Lire aussi - Pornographie : ce qu’ont révélé les auditions de la mission d’information du Sénat

Le rapport remis le 27 septembre par les quatre co-rapporteures, Annick Billon (centriste), Laurence Rossignol (PS), Alexandra Borchio Fontimp (LR) et Laurence Cohen (PCF), formule une série de préconisations qui concernent à la fois l’accès des mineurs aux contenus explicites et la lutte contre « les violences pornographiques ». Il dénonce « un système de domination et de marchandisation du corps des femmes » et propose de « faire des violences sexuelles commises dans un contexte de pornographie un délit d’incitation à une infraction pénale ». Les élues recommandent aussi la mise en place par les plateformes d’une procédure permettant aux personnes filmées d’obtenir le retrait de leurs vidéos. Début décembre, les membres de la délégation aux droits des femmes ont été reçues place Vendôme, où elles ont pu remettre leur rapport au garde des Sceaux.

» Lire aussi - Violences, proxénétisme : le rapport choc du Sénat sur l’industrie du porno

La finale de la Ligue des Champions au Stade de France, un « fiasco évitable »

Le soir du 28 mai 2022, l’ambiance n’est pas vraiment à la fête pour des milliers de spectateurs venus assister à la finale Liverpool FC-Real Madrid de la Ligue des Champions au Stade de France. Le dispositif d’encadrement mis en place par la préfecture de police et la Fédération française de football (FFF) se retrouvent rapidement saturés face à l’affluence des supporters. Dans le même temps, des vols et des agressions ajoutent à la tension sur la dalle du stade, où la situation dégénère en fin de journée. Résultat : un coup d’envoi retardé de 36 minutes et des vidéos de mouvements de foule, de heurts et de supporters aspergés de gaz lacrymogène qui font le tour du web. L’image est désastreuse pour la France, à un an des Jeux olympiques de Paris.

La polémique rebondit lorsque Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur, renvoie la responsabilité de ces incidents aux supporters britanniques sans billet ou munis de faux billets, « 30 000 à 40 000 », selon les données du locataire de la place Beauvau, soit 110 000 personnes qui se seraient trouvées aux abords du stade à l’approche du coup d’envoi. Un chiffre qui laisse dubitatif de nombreux commentateurs. La grève qui touchait le RER B le soir du match, principale voie d’accès au stade, est également pointée du doigt.

Le Sénat exige des réponses et convoque le 1er juin le ministre ainsi que sa collègue des Sports, Amélie Oudéa-Castéra, avant même la mise en place d’une mission d’information. Gérald Darmanin campe sur ses positions, les échanges sont parfois houleux, notamment lorsque la sénatrice LR Jacqueline Eustache-Brinio lui reproche de passer sous silence les phénomènes de délinquance qui gangrènent la Seine-Saint-Denis. Une semaine plus tard, c’est l’audition du préfet de police Didier Lallement qui tourne au bras de fer quand la sénatrice socialise Marie-Pierre de la Gontrie l’interroge sur « les conséquences qu’il tir [e] de cet échec à titre personnel », manière implicite d’évoquer une éventuelle démission. « Je suis un haut fonctionnaire. Je suis révocable ad nutum tous les mercredis. C’est quoi votre problème quoi ? », lui rétorque le préfet. Autre moment marquant : l’audition des responsables de la FFF, au cours de laquelle les sénateurs apprennent avec stupéfaction que les images de vidéosurveillance du stade, susceptibles d’étayer certains récits, ont été automatiquement effacées.

» Lire aussi - Stade de France : polémique sur les chiffres, dysfonctionnements... Revivez l’audition de Gérald Darmanin devant le Sénat

» Lire aussi - « C’est quoi votre problème ? » Didier Lallement sur la défensive devant les sénateurs

» Lire aussi - Vidéosurveillance, RER B, délinquance… ce que nous apprend l’audition de la FFF devant le Sénat

Dans leur rapport, les élus accablent les organisateurs et dénoncent « un fiasco évitable ». S’ils reconnaissent que le dispositif de sécurité a été éprouvé par de nombreux incidents, ils considèrent que ces derniers pouvaient être anticipés. Surtout, ils reprochent à Gérald Darmanin d’avoir déchargé les autorités publiques de leur responsabilité en visant l’attitude des supporters britanniques.

Dans la même thématique

Retour sur les enquêtes du Sénat (2e partie) : l’envers du porno français, la gestion des Ehpad, et le fiasco du Stade de France
3min

Politique

Revalorisation du barème de l’impôt : « On peut imaginer plusieurs scenarii », selon Claude Raynal

Après avoir été présenté en conseil des ministres ce mercredi 11 décembre, le projet de loi spéciale sera examiné à l’Assemblée nationale à partir du 16 décembre et au Sénat en milieu de semaine prochaine. Cet après-midi, les ministres démissionnaires de l’Economie et du budget ont été entendus à ce sujet par les sénateurs. « La Constitution prévoit des formules pour enjamber la fin d’année », s’est réjoui le président de la commission des Finances du Palais du Luxembourg à la sortie de l’audition.

Le

Paris: Emmanuel Macron Receives President Of Guinea-Bissau Umaro Sissoco Embalo
4min

Politique

« Réguler les égos » : comment Emmanuel Macron conçoit son rôle dans son camp

Au moment où le chef de l’Etat s’apprête à nommer un nouveau premier ministre, Emmanuel Macron a reçu ce mercredi à déjeuner les sénateurs Renaissance, à l’Elysée. Une rencontre prévue de longue date. L’occasion d’évoquer les collectivités, mais aussi les « 30 mois à venir » et les appétits pour 2027…

Le

Retour sur les enquêtes du Sénat (2e partie) : l’envers du porno français, la gestion des Ehpad, et le fiasco du Stade de France
4min

Politique

Gouvernement : « On ne peut pas simplement trépigner et attendre que le Président veuille démissionner », tacle Olivier Faure

Olivier Faure, le Premier secrétaire du PS, réclame un Premier ministre de gauche, alors que LFI refuse de se mettre autour de la table pour travailler sur la mise en place d’un gouvernement, préférant pousser pour une démission du chef de l’Etat. Ce mercredi, députés et sénateurs PS se sont réunis alors que le nom du nouveau chef de gouvernement pourrait tomber d’un instant à l’autre.

Le