La scène a de quoi surprendre au Sénat. Des huées, des sénateurs de tous partis confondus qui frappent sur leur pupitre et une ministre de la Santé et des Solidarités qui a du mal à terminer ses phrases. « S’il vous plaît. Je vous demande de vous calmer » tente le président de la séance, le sénateur centriste, Vincent Delahaye.(voir la vidéo de tête)
La journée de mercredi a été mouvementée au palais du Luxembourg. Tout a commencé à 9H23, lorsque les sénateurs ont appris le choix de recourir à l’article 44-3 de la Constitution au sujet d’une proposition de loi communiste destinée à revaloriser les retraites agricoles. Par cet article, le gouvernement oblige l’assemblée saisie à se prononcer sur le texte en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par le gouvernement.
« 7 minutes avant le début de l’examen » en commission
Le texte prévoyait de faire passer le minimum garanti pour les anciens chefs d’exploitation de 75% à 85% du Smic net agricole, soit de 871 à 987 euros par mois. 30.000 retraités supplémentaires bénéficieraient du dispositif pour un coût estimé 400 millions d’euros selon le gouvernement (voir notre article). La proposition de loi issue « de la niche parlementaire » du groupe communiste a été votée par les députés le 2 février 2017, et adoptée à l’unanimité en commission du Sénat. Quelle ne fut pas la stupeur des sénateurs, lorsqu’ils apprirent « 7 minutes avant le début de l’examen en commission » que le gouvernement allait recourir au vote bloqué comme l’a expliqué Gérard Larcher, le président de la Haute assemblée. (voir notre article).
En l’espèce, le Sénat se voyait donc dans l’obligation de voter cette proposition de loi sur la hausse des retraites agricoles avec l’amendement du gouvernement qui reporte son application à 2020, afin de vérifier sa compatibilité avec la future réforme des retraites.
« Légiférer aujourd’hui serait prématuré » persiste Agnès Buzyn
Après la tenue exceptionnelle de la Conférence des présidents du Sénat en fin d’après-midi, la séance a repris dans la soirée dans une ambiance plus qu’hostile à l’égard des membres de l’exécutif présents, Agnès Buzyn et Christophe Castaner. C’est la ministre de la Santé qui prend la parole en premier. « Il ne s’agit pas d’un refus de prendre en compte la situation particulière des agriculteurs. Mais le gouvernement considère aujourd’hui que les conditions qui le permettraient ne sont pas réunies et que légiférer aujourd’hui serait prématuré » justifie-t-elle avant que ne descendent des travées de virulentes protestations .
« C’est indigne. Votre nouveau monde est dangereux »
Retraites agricoles: Cécile Cukierman dénonce la position "indigne" du gouvernement
Une heure plus tard, c’est le ministre en charges des relations avec le Parlement, Christophe Castaner qui tente de défendre la position du gouvernement. Entre-temps, à la tribune, la sénatrice communiste, Cécile Cukierman n’avait pas mâché ses mots à son encontre : « Les parlementaires, les retraités agricoles ne sont les paillassons ni du gouvernement, ni du président de la République » (…) « C’est indigne. Votre nouveau monde est dangereux ».
« Ce n’est pas par une soirée de mois de mars qu’on trouve 400 millions d’euros »
Retraites agricoles: Christophe Castaner défend le recours au vote bloqué
« J’ai entendu des mots d’une violence, dont je pense qu’ils n’ont pas lieu dans cet hémicycle » lui a répondu Christophe Castaner avant de rappeler une nouvelle fois la position du gouvernement. « Le vote bloqué vous fait une proposition ce soir. Non pas d’abandonner le texte, non pas de se contenter de crier mais de faire en sorte que le texte soit applicable au 1er janvier 2020 (…) Tout simplement, parce que ce n’est pas par une soirée de mois de mars qu’on trouve 400 millions d’euros ». Une argumentation qui lui vaudra une nouvelle bronca.
Sur le recours au fameux vote bloqué, dont le ministre a rappelé qu’il avait déjà été utilisé « 226 fois au Sénat et 286 fois à l’Assemblée nationale » depuis le début de la Vème République, le président LR de la commission des affaires sociales, Alain Milon lui a rappelé que l’article 44-3 n’avait, en réalité, été utilisé que 9 fois pour une proposition de loi ». Un tonnerre d’applaudissement s’en est suivi (voir la vidéo). Un moment capté également par le portable du sénateur socialiste de Guadeloupe, Victorin Lurel.
Le groupe communiste a finalement décidé de reporter l’examen de leur proposition de loi au mercredi au 16 mai afin d’ouvrir « une période utile pour convaincre le gouvernement d’Emmanuel Macron de renoncer au coup bas porté au droit du Parlement et à la démocratie ».