Réforme des retraites : au cours d’une audition tendue au Sénat, les syndicats veulent peser sur la suite des débats

Réforme des retraites : au cours d’une audition tendue au Sénat, les syndicats veulent peser sur la suite des débats

Les organisations syndicales ont affiché un front uni au Sénat, lors d’une audition sur la réforme des retraites. La séance a été marquée par un moment de tension, qui a opposé un responsable de la CGT à la présidente de commission Catherine Deroche.
Guillaume Jacquot

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Audition agitée ce 15 février en commission des affaires sociales du Sénat. Les parlementaires ont entendu quatre représentants syndicaux sur la réforme des retraites. Lesquels ont protesté contre les orientations choisies par le gouvernement, et critiquant à la veille d’une cinquième journée de mobilisation. « L’heure est au retrait du projet », a appelé Thomas Vacheron, membre de la direction confédérale de la CGT.

Au bout d’à peine une demi-heure d’échanges, il aura suffi d’une seule déclaration pour que le climat se tende. « Les citoyens regarderont attentivement le vote de chaque parlementaire. Répondez positivement à leurs attentes », a demandé le responsable de la Confédération générale du travail. Ses propos ont fait immédiatement réagir dans la salle. « On est là pour échanger et alerter », a précisé le responsable syndical. « Vous nous alertez sur un chantage », a objecté la rapporteure générale Élisabeth Doineau (Union centriste), en gardant le sourire. La présidente de la commission, Catherine Deroche (LR), a d’abord tenté dans un premier temps de rappeler à l’ordre l’ensemble de ses collègues, en jouant sur l’image. « On n’est pas dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, donc on se calme ! »

« Une forme de menace »

Alors que l’exposé des syndicats se préparait à reprendre, le débat a repris de plus belle, entre membres de la commission. Comparant la sortie syndicale à une « forme de menace », Catherine Deroche a replacé cette remarque « déplacée » dans le contexte plus large des intimidations qui visent les parlementaires. « Je trouve que jeter à la vindicte populaire les parlementaires, quel que soit le choix de leur vote de fait pas partie du débat démocratique », a-t-elle ajouté. De son côté, Élisabeth Doineau a souligné qu’elle n’avait pas été élue pour « qu’on lui dise quoi faire ». « Je ne me sens pas dans une seringue, je ne veux l’être ni par les uns, ni par les autres. »

Les recommandations syndicales n’en sont pas restées là. Dans un courrier adressé aux députés, l’intersyndicale a demandé « solennellement » aux députés de « voter le rejet de ce projet de loi et plus particulièrement son article 7 », l’article qui propose le recul de l’âge légal de départ à 64 ans. Au terme de l’audition, Michel Beaugas, secrétaire confédéral à Force ouvrière, a précisé que ce même courrier serait transmis individuellement à chaque sénateur. Toute l’intersyndicale pousse le Parlement à s’opposer à la réforme. Dans un communiqué le 7 février, ses membres écrivaient : « Une démocratie qui fonctionne se doit d’être à l’écoute de la position largement majoritaire de la population qui s’oppose à cette réforme […] les parlementaires doivent prendre leurs responsabilités en rejetant ce projet de loi. »

« Évidemment, les menaces n’ont pas lieu d’être, c’est une évidence », a réagi par la suite Thomas Vacheron de la CGT. « Par contre, les alertes sont insistantes. » Durant deux heures, les membres de l’intersyndicale se sont appuyés sur les conclusions du Conseil d’orientation des retraites (COR), pour affirmer qu’il n’y avait pas péril en la demeure des retraites. « On est dans une situation dramatique et c’est ce qui doit guider la nature des échanges et des ajustements à faire », a conseillé Yvan Ricordeau, responsable de la politique sur les retraites à la CFDT. « Il y a un déséquilibre à corriger qui n’a rien à voir avec les déséquilibres qui ont été corrigés aux réformes précédentes. » Son collègue de la CGT affirme qu’il ne « balaye pas » le déficit, mais qu’il faut « trouver des solutions ».

« Le gouvernement prend les choses à l’envers »

Et à ce titre, les syndicats ont exposé d’autres pistes aux sénateurs. « Il est hors de question de faire répartir les efforts uniquement sur les travailleurs », s’écrie le secrétaire national CFDT. Gérard Mardiné, secrétaire général de la CFE-CGC, a pointé le problème de la baisse de ressources des régimes de retraite des fonctions publiques. « Ce n’est pas à tous les salariés de travailler deux ans pour fournir des recettes à l’État. » Thomas Vacheron (CGT) a surtout préconisé de conditionner les aides aux entreprises en fonction du respect de plusieurs indicateurs, comme la place réservée aux seniors.

Pour Michel Beaugas (FO), le nœud du problème est bien là. « Le gouvernement prend les choses à l’envers. On aurait dû d’abord traiter les problématiques d’emploi des seniors. Travaillons d’abord sur une loi qui protège les salariés de ce pays, pour que les entreprises arrêtent de licencier à partir de 50 ans les seniors. »

À ce sujet, les conditions du rejet surprise par les députés, la veille, de l’article qui prévoyait d’instaurer un index senior dans les entreprises, ont passablement irrité le représentant de la CFDT. Le débat soulève quelques inquiétudes, selon lui. « Dans les éléments fondamentaux sur lesquels le consensus politique, partiel, va se faire, c’est sur le fait de ne rien faire sur l’emploi des seniors. » Yvan Ricordeau n’est pas tant agacé par la disparition de l’index en tant que tel. « Ce n’est pas lui qui va faire la politique d’emploi des seniors dans notre pays. » En revanche, il a noté que des députés LR s’étaient positionnés contre l’abaissement du seuil de mise en place de l’index aux entreprises de 50 salariés (le projet initial prévoit 300 salariés) et « contre le fait de renforcer les négociations dans les entreprises », quand les objectifs d’emploi de seniors ne sont pas atteints. « Nous, on regarde ça dans la perspective du débat au Sénat, tout le monde a compris le film qui pouvait se passer », a-t-il conclu.

« Des démarches à entreprendre » sur l’étude d’impact

Les syndicats se sont également montrés très sceptiques sur l’annonce d’Élisabeth Borne d’assouplir le dispositif des carrières longues, afin de réduire la durée de cotisation pour davantage de personnes. « On ne sait pas si c’est une annonce ou un énième effet de communication pour faire diversion », s’est prononcé Thomas Vacheron (CGT). Pour son voisin de la CFDT, cet élément nécessite une « clarification », « pour savoir exactement ce qui bouge, dans quel sens et à quelle hauteur ».

En matière de flou, Gérard Mardiné (CFE-CGC) s’est attaqué à l’étude d’impact de la réforme. « La représentation nationale devrait s’émouvoir d’aussi peu de justifications, ou de leur degré de validité », a-t-il instillé. À ses yeux, les justifications sont « vraiment fallacieuses vis-à-vis des parlementaires et de la population. » Et de guider un peu plus son auditoire : « J’ai pris contact avec des juristes constitutionnels qui m’ont soufflé qu’il y avait des démarches à entreprendre sur ce sujet. »

Comme pour rappeler le niveau de la pression populaire, Yvan Ricordeau (CFDT) a conclu la séance avec un chiffre. « L’histoire retiendra peut-être que pendant l’audition des organisations syndicales au Sénat que la pétition intersyndicale a franchi la barre du million de signatures ce matin. C’est un peu symbolique. »

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