Retraites : avant l’examen du texte, les sénateurs négocient avec le gouvernement

Retraites : avant l’examen du texte, les sénateurs négocient avec le gouvernement

En « amont » de l’examen du texte au Sénat, les LR et les centristes « prennent langue » avec le gouvernement pour tenter de trouver des points de compromis. Limitée par la Constitution, qui empêche les sénateurs de créer de nouvelles dépenses, la majorité sénatoriale se retrouve à devoir compter sur l’exécutif pour déposer certains amendements, notamment sur la question sensible des carrières longues.
François Vignal

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Cette semaine de suspension des travaux parlementaires, avant l’arrivée de la réforme des retraites au Sénat la semaine prochaine, n’est pas synonyme de vacances pour tout le monde. La période est mise à profit pour de discrets échanges entre les sénateurs et le gouvernement, avant d’entrer dans le dur de l’examen à la Haute assemblée.

Les parlementaires ne peuvent pas créer de nouvelle dépense par amendement

Comme on le sait, avant même la présentation de sa réforme le 10 janvier dernier, l’exécutif a consulté en amont les LR, pour ne pas dire négocier avec eux. Eric Ciotti, le président du parti, et les deux présidents des groupes parlementaires, Olivier Marleix et Bruno Retailleau, côté Sénat, se sont retrouvés dans le bureau de la première ministre, Elisabeth Borne. Le résultat, on le connaît : le gouvernement s’est inspiré fortement de la position défendue depuis quelques années par les sénateurs, avec un report de l’âge de départ à 64 ans et l’accélération de la réforme Touraine. Un alignement censé faciliter aussi l’accord des députés LR, sans qui les macronistes n’ont pas de majorité à l’Assemblée sur les retraites. Peine perdue, l’examen n’est pas allé à son terme, de quoi peut-être arranger tout le monde au final.

Au Sénat, ce sera une autre histoire. La majorité sénatoriale LR-Union centriste entend examiner le texte dans son ensemble – même si la gauche aimerait elle empêcher d’aller au bout. Et s’ils sont d’accord avec le cœur de la réforme, les sénateurs de droite veulent modifier le texte. Problème : ils ne pourront pas amender le projet de loi à leur guise. Comme sur tout projet de loi, le droit d’amendement des parlementaires est limité par la Constitution. Selon l’article 40, ils ne peuvent pas créer de dépenses nouvelles qui auraient pour conséquence « l’aggravation d’une charge publique » ou la « diminution des ressources ». Et selon l’article 45, tout amendement est admis à condition qu’il « présente un lien, même indirect, avec le texte ».

« On a intérêt à discuter avec le gouvernement au préalable, pour trouver des points d’accord », soutient Hervé Marseille

C’est pourquoi les sénateurs de la majorité sénatoriale ont intérêt « à discuter en amont avec le gouvernement », lâche Hervé Marseille, président du groupe Union centriste du Sénat. Dans un premier temps, les centristes et les sénateurs LR vont « déjà essayer de voir en interne » ce qui fait consensus ou pas. Par exemple, « sur l’index des seniors, il faut rapprocher les points de vue », illustre le sénateur UDI des Hauts-de-Seine, dont le groupe compte quelques soutiens au chef de l’Etat.

Mais même s’ils accordent leurs violons, tout ne sera pas possible pour les sénateurs. « Nos amendements risquent de tomber sous le coup de l’article 40. Donc on a intérêt à discuter avec le gouvernement au préalable, pour trouver des points d’accord », soutient Hervé Marseille. Car « on risque d’avoir des choses qu’on ne peut pas faire. Et s’ils ne le font pas de leur côté… » ajoute le président de l’UDI.

Autrement dit, les sénateurs espèrent pouvoir compter sur le gouvernement afin d’amender le texte sur les sujets où un compromis peut être trouvé. C’est un peu la CMP (commission mixte paritaire) avant l’heure.

« Temps de négociation avec la première ministre et le ministre du Travail »

« Il faut négocier des amendements miroirs avec le gouvernement. On y travaille cette semaine », confirme la sénatrice centriste de Mayenne, Elisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Les jours qui restent d’ici l’examen du texte – prévu le 28 février en commission et le 2 mars dans l’hémicycle – « laissent du temps de négociation avec la première ministre et le ministre du Travail. Nos présidents de groupe travaillent sur des propositions », ajoute la rapporteure du Budget de la Sécu.

Si aucun rendez-vous n’est encore calé, Hervé Marseille évoque éventuellement « la semaine prochaine ». Du côté du groupe LR, on reste pour l’heure moins affirmatif sur une éventuelle rencontre. « On verra », dit-on dans l’entourage de Bruno Retailleau.

« Nos administrations prennent langue, et nous aussi »

Une chose est certaine : il y a bien des échanges, des discussions avec le gouvernement. « Bien sûr, c’est évident », confirme le sénateur René-Paul Savary, rapporteur LR du projet de loi. « Nos administrations prennent langue, et nous aussi. Car il faut avancer, il faut bien clarifier les choses », explique l’auteur de l’amendement sénatorial qui a inspiré le gouvernement.

Certaines « dispositions que nous pourrions proposer », « nous ne pourrions les prendre que s’il y a un accord du gouvernement pour faire en sorte de ne pas être soumis à la radicalité de l’article 40 », explique René-Paul Savary, qui ajoute :

C’est l’intérêt du gouvernement de préparer correctement les choses pour prendre en compte les exigences légitimes du Sénat.

Une forme de coconstruction ?

Y aura-t-il une rencontre avec Elisabeth Borne et Olivier Dussopt ? « Sûrement, mais ce sera au niveau de nos présidents de groupe que ça se jouera. Mon rôle de rapporteur, c’est de faire des propositions qui soient légalement faisables, et politiquement acceptables », répond le sénateur LR de la Marne.

On serait tenté d’y voir une forme de co-construction législative. « Non, ce n’est pas du tout une co-construction », assure le monsieur retraites du groupe LR. « Comme dans toutes les lois, il y a toujours des échanges entre rapporteur et membres du gouvernement pour affiner les dispositions », minimise René-Paul Savary, qui explique que « les relations qu’on peut avoir, c’est l’analyse de nos propositions, savoir combien de personnes ça touche, quel est le coût ». Reste que c’est un peu plus qu’un simple appui technique, dont ne disposent pas les parlementaires. Les discussions portent notamment sur « les mères de famille » ou « les carrières longues », explique d’ailleurs le sénateur de la Marne. Soit la question sensible, sur laquelle le gouvernement a tendu la main aux députés LR, et qui a entraîné, par ses prises de position, l’éviction d’Aurélien Pradié du parti d’Eric Ciotti.

Sur les carrières longues, « on va essayer de simplifier un peu, c’est d’une confusion inouï »

Sur ce sujet, René-Paul Savary ne cache pas ses critiques envers l’exécutif. Sur les carrières longues, « les tergiversations posent problème », pointe l’élu de la Haute assemblée. « Si vous faites un dispositif carrières longues, ça veut dire que vous travaillez au-delà de la durée de 43 ans. Or on nous dit maintenant qu’on prendrait en compte les 43 ans d’annuités. Donc c’est une carrière normale, ce n’est plus une carrière longue », relève René-Paul Savary, « après, dans ce que semble proposer le gouvernement, la prise en compte de cette durée n’est pas la même, avec une prise en compte particulière des trimestres, qui n’est pas identique ». Mais « si c’est 43 ans pour tout le monde, on peut le marquer clairement. Cela veut dire que la durée prime sur l’âge. Après, ça a un coût et ça n’entre plus dans l’épure budgétaire… Si c’est pour arriver à avoir plus d’exceptions, par rapport aux 64 ans, et avoir plus de personnes qui partent avant l’âge légal, ça ne servait à rien d’afficher ce chiffon rouge, s’il y a plus de personnes dans un système dérogatoire », s’étonne René-Paul Savary. Face à une forme de complexité, « on va essayer de simplifier un peu, c’est d’une confusion inouï », pointe le rapporteur.

Autre cas : « Les pensions de réversion ne sont pas abordées dans le texte par exemple. Or il y a 13 systèmes différents. Nous aurions souhaité proposer une harmonisation pour avoir un élément de justice, mais nous ne pouvons pas déposer ce type d’amendement, c’est hors de l’épure budgétaire. Mais le gouvernement le peut », note René-Paul Savary. A moins que dans ce cas, ce soit le gouvernement qui se retrouve contraint. Car pour un texte budgétaire, comme c’est le cas ici, les mesures nouvelles doivent être présentées par le gouvernement d’abord à l’Assemblée nationale (lire notre article sur le sujet). Quant aux carrières longues, le sujet était déjà présent à l’article 8. On peut considérer que les députés ont donc été saisis en premier, même s’ils n’ont pas pu examiner l’article. Ce qui permettra au gouvernement de déposer un amendement au Sénat. Et d’aller au bout du « deal » avec les LR.

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