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Retraites : « Chacun sortira du rapport du COR les conclusions qui lui conviendront »

Le rapport annuel du Conseil d’orientation des retraites révèle que les déficits perdureront jusqu’en 2030, malgré la réforme des retraites dont c’était justement l’un des objectifs. Rien de surprenant, selon les sénateurs membres du COR, qui soulignent que les différentes concessions faites par le gouvernement ont limité le retour à l’équilibre.
François Vignal

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Les retraites, vous en reprendrez bien en COR un peu ? Le nouveau rapport annuel du Conseil d’orientation des retraites (COR) pour l’année 2023, qui a fuité lundi, au grand dam de certains de ses membres, a été rendu public ce jeudi. Il remet une pièce dans la machine à débat, que le gouvernement espérait à l’arrêt, depuis la validation de sa réforme par le Conseil constitutionnel.

Ce rapport vient contredire le récit du gouvernement. Malgré l’accélération du passage à 43 annuités de cotisations et le report de l’âge de départ de 62 à 64 ans, les régimes existants « resteraient durablement en déficit », dit le COR. Après des excédents l’an dernier et cette année, le déficit revient dès 2024 et jusqu’en 2030, fluctuant entre – 0,2 et – 0,3 point du PIB, soit entre 5 et 8 milliards d’euros par an. Les comptes demeureraient dans le rouge dans trois des quatre scénarios étudiés et ne repasseraient dans le vert qu’« après 2045 ». Au mieux. Le gouvernement avait pourtant assuré que sa réforme assurerait l’équilibre à l’horizon 2030… Point positif pour l’exécutif : la situation serait moins bonne sans la réforme, qui freine quand même un peu les dépenses.

Pour le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, le rapport montre justement que « la réforme des retraites était indispensable ». Le camp présidentiel est surtout tombé sur le COR. « Vous voyez bien que ses évaluations changent tous les six mois », a pointé mardi le ministre de l’Economie Bruno Le Maire. Son collègue Olivier Dussopt a reproché au président du COR, Pierre-Louis Bras, d’avoir selon lui expliqué en janvier « qu’il n’y avait pas le feu au lac, que le déficit serait de l’épaisseur du trait ».

Qu’en pensent les sénateurs membres du COR ? En plus des partenaires sociaux et spécialistes, le conseil compte en effet quatre députés et quatre sénateurs. « Je ne suis pas surpris. C’est dans la continuité de ce qu’on avait envisagé », réagit le sénateur LR René-Paul Savary, qui avait été rapporteur du texte au Sénat. « A terme, les déficits continuent, mais ça, on le savait », ajoute le sénateur de la Marne, qui était avec la majorité sénatoriale favorable à la réforme. Reste que l’équilibre n’est pas là. « Il faut savoir que la réforme, telle que proposée, qui amenait un retour éventuel à l’équilibre, a été atténuée par des mesures comme le minimum contributif, celles sur les carrières longues ou les droits renforcés pour les femmes. En conséquence, les répercussions à terme se font voir », soulève René-Paul Savary. Mais « c’était normal, notamment la prise en compte de la majoration pour les femmes », ajoute-t-il. Un point défendu par les sénateurs LR, quand la question des carrières longues était poussée par les députés LR, du moins une partie d’entre eux, autour d’Aurélien Pradié. René-Paul Savary ajoute : « Le fait que ça reste déficitaire, c’est aussi pour garantir un niveau de retraite plus important que ce qui était proposé sans la réforme. Donc ça se traduit par des dépenses plus importantes, c’est logique ».

« Tout ça pour ça »

Monique Lubin, seule sénatrice de gauche parmi les quatre sénateurs du COR, n’a pas la même lecture du rapport. « Tout ça pour ça. On était sur un scénario où on avait – 0,4 point de PIB de déficit en 2030, et finalement c’est – 0,2 %. Bien sûr, les tenants de la réforme disent que les choses vont mieux. J’ai envie de dire, encore heureux ! C’est évident, qu’avec moins de personnes partant à la retraite en 2030, ça engendre moins de dépenses et une baisse du déficit », réagit la sénatrice PS des Landes. « Cette réforme a quelques effets, c’est mécanique, mais ce ne sont certainement pas les effets voulus par le gouvernement, on n’est pas à l’équilibre… » pointe du doigt la socialiste.

Pour Monique Lubin, il ne faut « pas continuer à se focaliser pour vouloir arriver un jour à l’équilibre, voire à l’excédent. C’est bien mais c’est quasiment impossible. Il y a 360 milliards de dépenses et 360 milliards de recettes, et on est à – 0,2 ou – 0,4 de déficit. Je n’ai jamais nié les déficits qui s’annoncent, mais on est toujours dans l’épaisseur du trait », souligne la sénatrice PS. Pour celle qui était la chef de file du PS sur le projet de loi, il faut continuer à « piloter tranquillement, année après année ». « Tant qu’on est dans l’épaisseur du trait, on surveille, on ne s’affole pas », insiste Monique Lubin. Elle ajoute :

 Le rapport redit que le système n’est pas en danger. 

Monique Lubin, sénatrice PS des Landes

Alors que la réforme n’aboutit pas à l’objectif affiché, Monique Lubin craint-elle une nouvelle réforme future ? « Bien sûr que oui, certains seront tentés de dire que ce n’est pas suffisant. Qu’il faut continuer. Mais jusqu’où et jusqu’à quand ? » demande la sénatrice. Pour elle, une nouvelle réforme paramétrique « serait catastrophique ». Une chose est sûre, « chacun sortira du rapport du COR les conclusions qu’il voudra bien en faire et qui lui conviendront ».

« Alimenter le fond de réserve des retraites, créé en 2001 pour pallier aux éventuels déficits »

Ce n’est pas faux. Ainsi, pour Sylvie Vermeillet, sénatrice centriste membre du COR, qui avait soutenu le texte, « la réforme était nécessaire. Si on ne l’avait pas faite, ça aurait été beaucoup plus grave ». Au passage, elle « confirme qu’il n’y a pas plus de différence absolument substantielle entre ce que le COR avait pu prévoir et ce qu’il y a aujourd’hui dans le rapport ». Elle pointe aussi l’effet des différentes concessions faites par le gouvernement pendant les débats. « On ne peut pas lâcher sur tel ou tel mesure et s’étonner après qu’il y ait un déficit… notamment avec le coût des trimestres des carrières longues. Mais j’ai voté ces mesures. Je conçois qu’on devait assouplir ».

« Après, ce qui est intéressant, ce serait d’avoir les projections des excédents de l’Agirc-Arrco, les retraites complémentaires du privé, qui sont pour moi les grands gagnants de la réforme », note Sylvie Vermeillet. « Aujourd’hui, l’excédent est de 90 milliards d’euros. Si les gens travaillent deux ans de plus, c’est tout bénéfice pour l’Agirc-Arrco ». Elle aimerait savoir « s’ils vont continuer d’engranger des excédents ou s’ils vont en faire bénéficier les retraités ».

Faudra-t-il une nouvelle réforme pour absorber les déficits qui vont perdurer ? « Non, pas si on alimente le fond de réserve des retraites, créé en 2001 pour pallier aux éventuels déficits », répond la centriste, qui imagine qu’on pourrait « réserver les cotisations de CSG supplémentaires, générées par le passage à 64 ans, au fond de réserve » et ainsi compenser les déficits.

« Si on avait mis à contribution un peu les employeurs, et surtout les plus-values du capital… »

De son côté, Jean-Marie Vanlerenberghe, sénateur Modem, lui aussi membre du COR, regarde les conclusions du rapport « par groupe de régime ». Ainsi, « on constate que dans le privé, on est pratiquement à l’équilibre en 2030 pour le régime de base et les complémentaires largement excédentaires, de 0,2 %. Mais pour les fonctionnaires et assimilés, là, on a un déficit de 0,3 % en 2030, c’est-à-dire environ 8 milliards d’euros. Donc on voit bien que le problème vient de l’Etat et des collectivités ». Ce qui n’étonne pas ce soutien de François Bayrou, car « avec moins de fonctionnaires, un déficit démographique, une absence globalement de revalorisation du point d’indice, cela a des effets. Et par contre on maintien les pensions ».

Aux yeux de Jean-Marie Vanlerenberghe, les conclusions du COR lui donnent raison « a posteriori. Si on avait mis à contribution un peu les employeurs, et surtout les plus-values du capital (comme le Modem le proposait, ndlr), on n’aurait peut-être aujourd’hui 5-6 milliards d’euros supplémentaires qui seraient les bienvenues en 2030, pour compenser les faiblesses constatées dans l’ensemble des régimes ».

« Il serait intéressant de voir comment, dans les années qui viennent, on pourra agir pour rétablir l’équilibre durablement. La balle est dans le camp dans de l’Etat », pour le sénateur Modem du Pas-de-Calais. Mais dans l’immédiat, il ne faut pas refaire de réforme, soutient son collègue LR. « Franchement, il faut laisser un peu de stabilité dans le système et voir ce que ça donne dans quelques années », soutient René-Paul Savary, qui rappelle que « de toute façon, une clause de revoyure est prévue en 2027. On fera le point à ce moment-là ». Et accessoirement, ce sera l’élection présidentielle.

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