Pourrait-il s’agir de la clé qui mettra un terme à la crise politique et à la difficile formation d’un gouvernement ? L’ancienne Première ministre Élisabeth Borne, et ministre de l’Éducation nationale démissionnaire, a brisé un tabou hier soir, dans une interview au Parisien, en ouvrant la porte à la « suspension » de la réforme des retraites qu’elle avait portée en 2023. « Il faut savoir écouter et bouger », a-t-elle fait valoir. « Je pense qu’on ne doit pas faire de cette réforme des retraites un totem […] Et si c’est la condition de la stabilité du pays, on doit examiner les modalités et les conséquences concrètes d’une suspension jusqu’au débat qui devra se tenir lors de la prochaine élection présidentielle », a-t-elle expliqué.
Reçus ce mercredi matin à Matignon, dans la dernière ligne droite des négociations, les socialistes ont toutefois indiqué qu’ils n’avaient « aucune assurance sur la réalité » de cette suspension. Patrick Kanner, le président des sénateurs socialistes, est cependant convaincu qu’Élisabeth Borne n’a « pas pu s’exprimer sans feu vert » du Premier ministre démissionnaire. Hier soir, Raphaël Glucksmann (Place publique) semblait indiquer qu’il en avait eu confirmation au cours de son échange du Premier ministre. Il s’était félicité que cette revendication qui « était impossible il y a quelques jours, aujourd’hui devienne possible ».
« Des centaines de millions en 2026 » selon Bercy
Une indication corroborerait l’hypothèse que le sujet a été exploré par Matignon. Selon Le Parisien, Sébastien Lecornu a sollicité il y a une quinzaine de jours le ministère des Finances pour qu’il étudie l’impact économique d’une suspension de la réforme des retraites.
Cette concession, si elle se confirme et se concrétise dans les textes budgétaires de l’automne, aura nécessairement un prix. Elle devra aussi être mise au regard du coût qu’occasionnerait l’absence de budget ou encore de celui la prolongation de l’incertitude politique, qui mine la confiance des acteurs économiques.
Le prix sera aussi politique et pourrait fracturer le parti présidentiel. « Modifier la réforme des retraites, ça va coûter des centaines de millions en 2026, des milliards en 2027 », a averti ce matin sur France Inter, le ministre démissionnaire de l’Économie et des Finances, Roland Lescure.
Un « coût complet de 13 milliards d’euros sur les finances publiques pour l’année 2035 »
Dans son rapport sur la situation financière et perspectives du système de retraites, remis en février 2025 dans le cadre d’une mission flash demandée par le Premier ministre François Bayrou comme prélude au conclave des partenaires sociaux, la Cour des comptes avait mené ses estimations. Un arrêt de la progression de l’âge d’ouverture des droits à 63 ans aurait un « coût complet de 13 milliards d’euros sur les finances publiques pour l’exercice 2035 », avaient calculé la vigie financière du pays.
Rappelons que la montée en charge de la réforme est progressive. L’âge légal est relevé depuis le 1er septembre 2023, à raison de 3 mois par année de naissance. Il atteindra la cible de 64 ans en 2030. Un arrêt de la réforme à l’âge de 63 ans pourrait occasionner une double dégradation, selon la Cour des comptes : sur le régime des retraites à hauteur de 5,8 milliards d’euros, et d’une perte additionnelle sur les recettes publiques, de 7,2 milliards d’euros, en raison de carrières plus courtes. Ce second manque à gagner se matérialiserait par des recettes fiscales plus faibles.
À plus court terme, un arrêt de la réforme coûterait « entre 500 et 600 millions d’euros dès la première année », détaille le président de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) du Sénat, le sénateur LR Alain Milon. En année pleine, le manque à gagner est estimé entre 3 et 5 milliards d’euros sur les comptes sociaux précise-t-il. Autrement dit, entre 0,1 à 0,2 points de PIB.
« Deux ans de suspension qui vont couter très cher »
À la recherche d’une voie de passage pour le budget, Sébastien Lecornu a proposé d’assouplir l’effort de réduction du déficit. Il vise désormais un retour entre 4,7 % et 5 %. « Actuellement, 330 milliards d’euros sont versés par les caisses de retraite chaque année. Ça représenterait 10 %. C’est énorme », s’inquiète Alain Milon. « Ce sont deux ans de suspension qui vont couter très cher en matière de retraite mais aussi en matière de rentrée de recettes pour les cotisation », note Pascale Gruny, sénatrice LR, rapporteure de la branche vieillesse dans les projets de loi de financement de la Sécurité sociale.
Ce matin, les socialistes ont par ailleurs rappelé qu’une ouverture sur la réforme des retraites ne devait pas seulement concerner l’âge légal « mais aussi de l’accélération sur la durée de cotisation », a rappelé Olivier Faure, le premier secrétaire du PS. La réforme Borne a en effet accéléré l’application de la réforme Touraine de 2014, qui a prévu de passer de 42 à 43 années de cotisations nécessaires pour pouvoir partir à la retraite à taux plein.
Avant de démissionner, Sébastien Lecornu avait en outre proposé de reprendre à son compte certaines mesures du « conclave » sur les retraites, notamment celle relative à l’amélioration de la retraite des femmes.