Retraites : comment vont se passer les débats au Sénat
Après deux semaines de débats électriques à l’Assemblée, les sénateurs vont s’emparer de la réforme des retraites à partir du 28 février. Avec deux week-ends ouverts, ils auront finalement plus de temps que les députés. Si elle modifiera le texte, la droite sénatoriale soutient le cœur de la réforme, inspirée de sa position défendue chaque année. La gauche entend mener la bataille parlementaire pour empêcher le texte d’aller au bout.
Et maintenant, la suite. Après deux semaines de débats intenses, les députés ne sont pas parvenus au bout de l’examen de la réforme des retraites. Farouchement opposés au texte, les députés LFI ont assumé jusqu’au bout une stratégie d’obstruction visant à empêcher la bonne avancée des débats. Cette absence de vote ne met pas un terme à l’examen. L’article 47-1 de la Constitution prévoit de limiter les débats à 20 jours à l’Assemblée et 15 jours à la Haute assemblée. Il permet aussi au gouvernement, même sans vote, de transmettre au Sénat son projet de loi de financement rectificative de la Sécurité sociale, le véhicule législatif utilisé. Et les débats y prendront une tout autre tournure.
11 jours de débats prévus au Sénat contre 9 à l’Assemblée
C’est le texte du gouvernement qui sera envoyé sur le bureau du Sénat. Selon l’article LO111-7 du Code de la Sécurité sociale, « le gouvernement saisit le Sénat du texte qu’il a initialement présenté, modifié le cas échéant par les amendements votés par l’Assemblée nationale et acceptés par lui ». Le gouvernement pourra donc réintroduire l’article 2 sur l’index des séniors, supprimé à l’Assemblée, sans l’aide des sénateurs, contrairement à ce qu’ont pu dire les ministres.
Côté calendrier, le texte sera examiné en commission – passage préalable à la séance publique – le mardi 28 février. La séance débutera l’après-midi du jeudi 2 mars. Elle est ouverte jusqu’au dimanche 12 mars. Le Sénat a prévu de siéger deux week-ends de suite, contrairement à l’Assemblée, où la majorité n’a pas voulu ouvrir les week-ends. Résultats : les sénateurs auront plus de jours que les députés pour débattre. 11 jours au Palais du Luxembourg, contre 9 au Palais Bourbon (où une niche parlementaire PS a enlevé un jour de débat).
« C’est la victoire de notre projet de réforme des retraites » selon Bruno Retailleau
Sur le fond, le gouvernement viendra au Sénat en terrain en partie conquis. La majorité sénatoriale, composée du groupe LR et du groupe centriste, a déjà annoncé qu’elle était prête à voter la réforme. Et pour cause. Le cœur de la réforme, avec le report à 64 ans de l’âge légal de départ et l’accélération de la réforme Touraine qui porte à 43 annuités le nombre d’années de cotisations nécessaires, reprend l’amendement sénatorial voté tous les ans.
« Il nous faudra échapper aux postures et aux blocages » demande Gérard Larcher
Les sénateurs LR entendent aller au bout des débats et jouer la différence, comparé au chaudron de l’Assemblée. « Nous, on aura un vote sur les retraites », nous expliquait Marc-Philippe Daubresse, sénateur LR du Nord. « Il nous faudra échapper aux postures et aux blocages » demandait le président de la Haute assemblée, Gérard Larcher, lors de ses vœux aux parlementaires. « Le jour où le Sénat copiera l’Assemblée, je ne donne pas cher de notre avenir », lance Bruno Retailleau, qui aux côtés d’Eric Ciotti et d’Olivier Marleix, a négocié en amont avec Elisabeth Borne.
Les sénateurs et les députés LR ont cherché à accorder leurs violons pour ne parler que d’une seule voix. Mais Aurélien Pradié a fait entendre sa petite musique, créant de grandes tensions chez les LR. « Jamais la droite n’a été autant fragilisée et jamais la droite n’a été autant courtisée », note Bruno Retailleau, alors que le gouvernement a besoin de LR, que ce soit à l’Assemblée pour trouver une majorité, ou au Sénat, en vue de la commission mixte paritaire, où la réforme se jouera après l’examen au Palais de Marie de Médicis.
Les sénateurs LR veulent affiner le texte sur la politique familiale et la question des femmes
S’ils soutiennent, par cohérence, les grandes lignes de la réforme, les sénateurs LR comptent néanmoins modifier le projet de loi en plusieurs points. Ils y apporteront leur signature, que ce soit sur les carrières longues, la pénibilité, la politique familiale, la question des femmes ou sur l’index séniors.
Ce dernier n’a pas la cote chez les sénateurs LR, qui critiquent les « limites » de l’index. Bruno Retailleau ne cache pas ses « doutes sur sa constitutionnalité » et ses « réticences pour l’élargir aux PME ». Son groupe fera d’autres propositions. La piste d’un « CDI seniors » est évoquée.
Dissension entre LR et centristes sur l’index seniors
Mais une dissension au sein de la majorité sénatoriale pourrait apparaître sur l’index. Le groupe Union centriste, allié des LR, entend à l’inverse aller plus loin. « Nous sommes favorables à l’index des séniors, mais à un index renforcé », explique Hervé Marseille, à la tête du groupe UC, prêt à abaisser son seuil. Les centristes proposeront même un « bonus/malus », auquel les LR sont hostiles.
Autre piste de modification : la droite sénatoriale entend réactiver le fonds de réserve créé sous Lionel Jospin. Le sénateur LR René-Paul Savary, auteur de l’amendement sénatorial voté chaque année, et rapporteur du projet de loi, veut en effet rendre à ce fonds son mécanisme initial, celui d’un abondement continu par l’État. L’idée est d’amortir les déséquilibres futurs du système, à travers des placements financiers.
La gauche entend examiner l’article 7 sur le report de l’âge, mais ne veut « pas aller au bout du texte »
De son côté, la gauche, unie contre la réforme, entend s’opposer fermement au texte. Mais ici, l’opposition prendra une autre tournure que lors des débats à l’Assemblée. Les amendements n’en seront pas moins nombreux, mais ils ne devraient pas atteindre les mêmes sommets qu’au Palais Bourbon. Le chiffre d’au moins 2.000 amendements, au total, est évoqué.
L’article 7 qui porte le report de l’âge à 64 ans sera examiné. C’est l’objectif. « Nous voulons qu’il y ait un débat autour de l’article 7 », assure Patrick Kanner, à la tête des sénateurs PS (voir la vidéo ci-dessous). Mais l’idée de la gauche est de faire en sorte que l’examen du texte n’aille pas au bout. L’enjeu pour le président du groupe socialiste, « c’est que le Sénat n’adopte pas la réforme au soir du 12 mars afin de mettre le gouvernement face à ses responsabilités », nous assurait Patrick Kanner. Ce que confirme aujourd’hui Eliane Assassi, présidente du groupe CRCE (communiste). « On n’en veut pas de ce texte. Il y a de quoi nourrir au Sénat un débat serein, sérieux, responsable, avec beaucoup de propositions concrètes. Mais l’objectif effectivement, c’est de ne pas aller au bout du texte, ou pour le moins, de voter contre », explique la sénatrice PCF de Seine-Saint-Denis.
La gauche sénatoriale est prête à mener la bataille parlementaire avec les armes que lui offre le règlement du Sénat. « Nous utiliserons tous les moyens de procédure qui sont possibles pour que le texte ne passe pas », assure Patrick Kanner. Entre les différentes motions de procédures, il y a le choix. Chaque groupe de gauche déposera une question préalable au début des débats. Elle équivaut, en cas d’adoption, à un rejet de l’ensemble du texte. Mais la droite étant majoritaire, elles n’ont aucune chance d’aboutir. Ils ont aussi à leur disposition l’exception d’irrecevabilité, ou le renvoi en commission.
« Armes puissantes » de procédure
Mais gouvernement et majorité sénatoriale pourraient « dégainer » les « armes puissantes » qu’ils ont à leur disposition, explique un observateur. La majorité sénatoriale pourrait par exemple recourir à la mesure de clôtures, définie à l’article 38 du règlement, qui limite à deux orateurs « d’avis contraire » les prises de parole « sur l’ensemble d’un article ou dans les explications de vote portant sur un amendement ». Le gouvernement peut lui aller chercher le vote bloqué, au troisième alinéa de l’article 44 de la Constitution. Il dit que « si le gouvernement le demande, l’assemblée saisie se prononce par un seul vote sur tout ou partie du texte en discussion en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par le gouvernement ». Une sérieuse limitation aux débats, mais qui passerait très mal dans les rangs de l’opposition.
« Le gouvernement a des prérogatives, le président du Sénat a des prérogatives et les parlementaires ont des prérogatives. Chacun va user des prérogatives que la Constitution et le règlement donnent », résume Eliane Assassi, qui prévient : « On est dans les starting-blocks. Et le gouvernement ne nous épuisera pas ».
Le président du groupe Les Républicains à l’Assemblée nationale a annoncé sa candidature pour la tête du parti, ce 13 février. L’officialisation intervient dès le lendemain de celle de son rival Bruno Retailleau.
Les responsables du parti de droite se sont réunis ce jeudi matin. Ils ont décidé que les adhérents LR éliront leur nouveau président d’ici trois mois, alors que Bruno Retailleau défendait un calendrier plus serré, sur fond de guerre de chefs avec Laurent Wauquiez.
Invitée de la matinale de Public Sénat, la porte-parole du gouvernement Sophie Primas se déclare en faveur de la candidature du ministre de l’Intérieur à la présidence du parti Les Républicains. Bruno Retailleau « veut porter une espérance pour la droite », et aujourd’hui au gouvernement, il en a « la légitimité », estime-t-elle.
Le ministre de l’Intérieur est officiellement candidat à la présidence des LR. Il peut compter sur « une très large adhésion majoritaire du groupe LR », selon le sénateur Marc-Philippe Daubresse. Mais les soutiens de Laurent Wauquiez, comme le sénateur Laurent Duplomb, l’accusent de relancer une « dramatique guerre des chefs ». L’enjeu pour Bruno Retailleau est maintenant d’obtenir un congrès au plus vite, car « les sondages, ça va, ça vient »…