La mobilisation contre la réforme des retraites ne faiblit pas, l’intersyndicale agite le spectre d’un blocage du pays pour le 7 mars, comment analysez-vous la mise en retrait d’Emmanuel Macron sur ce dossier ?
C’est la grande théorie de la dichotomie au sein de l’exécutif sous la Ve République selon laquelle le Premier ministre prend les coups et le Président prend de la hauteur, concentré sur les sujets internationaux. Elle remonte à la grande grève de mineurs de 1963 qui avait fait perdre 10 points dans les sondages au Général de Gaulle, le poussant à laisser ce type de dossiers à son Premier ministre, Georges Pompidou, au moins en apparence.
Ce n’est pas forcément un jeu gagnant, et les présidents souffrent dans les sondages sans que leur premier Ministre ne fasse de façon évidente paratonnerre. François Mitterrand a connu les mobilisations de 1983 contre la réforme Savary, et Jacques Chirac, celles de 1995 sur la réforme des retraites et de la Sécurité sociale. Et ils ont, tous deux, connu des périodes de cohabitation par la suite. Je ne suis pas sûr que ce soit le souhait d’Emmanuel Macron alors qu’il entame son dernier mandat.
Certes, il laisse la main au gouvernement, mais certains ministres se sont empêtrés sur des points cruciaux de la réforme. N’est-ce pas le moment pour Emmanuel Macron de se replacer au centre du jeu ?
C’est risqué pour lui de se mettre en avant. Une grande partie des Français considère que la réforme n’est pas utile. Selon le dernier sondage Odoxa, 66 % des Français considèrent que le gouvernement serait le principal responsable si le pays devait connaître des blocages importants. Si le Président se met en avant publiquement, par une allocution par exemple, la responsabilité pourrait se déporter sur lui et ce ne serait pas forcément très bon politiquement.
La solution passerait-elle par un vote de la réforme au Sénat avec l’appui de la majorité de droite, puis un accord en commission mixte paritaire qui rassemble 7 députés et 7 sénateurs et où la droite et la majorité présidentielle sont majoritaires ?
C’est un cas de figure qu’il faudra quand même faire avaler à certains députés de sa majorité qui sont également critiques sur cette réforme. Globalement ce qui est frappant, c’est qu’il y a beaucoup d’amateurisme procédural et communicationnel de la part de l’exécutif. D’abord, sur son choix de passer par un projet de loi de financement de la sécurité sociale. Ce choix va conditionner certaines mesures. Je ne vois pas comment, par exemple, l’index des séniors pourrait être validé par le Conseil Constitutionnel.
Mais ce n’est pas la première fois que gouvernement d’Emmanuel Macron fait preuve d’amateurisme lorsqu’il aborde une réforme des retraites. Le Conseil d’Etat avait émis un avis extrêmement sévère sur le contenu de la réforme 2019. Et pour couronner le tout, l’exécutif avait eu recours à l’article 49 alinéa 3, quelques semaines avant les élections municipales… alors qu’il cherchait justement à éviter que les deux séquences ne se parasitent.
Qu’on soit pour ou contre la réforme, la communication a aussi été calamiteuse. On peut évoquer la déclaration de Franck Riester sur la pénalisation des femmes et l’imbroglio sur les 1 200 euros. Le gouvernement a également cédé très rapidement en ramenant de 65 à 64 ans, le recul de l’âge légal simplement pour gagner quelques voix à LR. Si le gouvernement l’avait fait plus tardivement, ça aurait permis de laisser entendre que la mobilisation avait servi à quelque chose et donc de se ménager une position de repli pour tenter de faire baisser la tension.
Quelle autre option se posait à l’exécutif ?
C’est toujours facile à dire après mais le gouvernement aurait pu inscrire la réforme des retraites dans un projet de loi ordinaire dans un temps législatif programmé, ce qui impliquait un délai de 6 semaines avec la discussion… ce qui n’aurait pas changé grand-chose. Il se laissait la possibilité d’avoir recours à l’article 49 alinéa 3. Seulement, le projet de loi immigration qui suit à l’agenda va également beaucoup cliver les députés. En reportant son examen à l’été lors de la session extraordinaire du Parlement, l’exécutif avait là encore la possibilité de faire passer la réforme par un nouveau recours à l’article alinéa 3.