Retraites : « Il y a beaucoup d’amateurisme de la part de l’exécutif »
Malgré une mobilisation contre la réforme des retraites qui ne faiblit pas, et des débats sous haute tension à l’Assemblée nationale, le président de la République reste en retrait du débat public et laisse la main à son gouvernement. « Pas forcément un jeu gagnant, comme l’explique Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à l’Université Paris II Panthéon-Assas et docteur Science politique ENS Paris-Saclay.

Retraites : « Il y a beaucoup d’amateurisme de la part de l’exécutif »

Malgré une mobilisation contre la réforme des retraites qui ne faiblit pas, et des débats sous haute tension à l’Assemblée nationale, le président de la République reste en retrait du débat public et laisse la main à son gouvernement. « Pas forcément un jeu gagnant, comme l’explique Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à l’Université Paris II Panthéon-Assas et docteur Science politique ENS Paris-Saclay.
Simon Barbarit

Temps de lecture :

4 min

Publié le

Mis à jour le

La mobilisation contre la réforme des retraites ne faiblit pas, l’intersyndicale agite le spectre d’un blocage du pays pour le 7 mars, comment analysez-vous la mise en retrait d’Emmanuel Macron sur ce dossier ?

C’est la grande théorie de la dichotomie au sein de l’exécutif sous la Ve République selon laquelle le Premier ministre prend les coups et le Président prend de la hauteur, concentré sur les sujets internationaux. Elle remonte à la grande grève de mineurs de 1963 qui avait fait perdre 10 points dans les sondages au Général de Gaulle, le poussant à laisser ce type de dossiers à son Premier ministre, Georges Pompidou, au moins en apparence.

Ce n’est pas forcément un jeu gagnant, et les présidents souffrent dans les sondages sans que leur premier Ministre ne fasse de façon évidente paratonnerre. François Mitterrand a connu les mobilisations de 1983 contre la réforme Savary, et Jacques Chirac, celles de 1995 sur la réforme des retraites et de la Sécurité sociale. Et ils ont, tous deux, connu des périodes de cohabitation par la suite. Je ne suis pas sûr que ce soit le souhait d’Emmanuel Macron alors qu’il entame son dernier mandat.

Certes, il laisse la main au gouvernement, mais certains ministres se sont empêtrés sur des points cruciaux de la réforme. N’est-ce pas le moment pour Emmanuel Macron de se replacer au centre du jeu ?

C’est risqué pour lui de se mettre en avant. Une grande partie des Français considère que la réforme n’est pas utile. Selon le dernier sondage Odoxa, 66 % des Français considèrent que le gouvernement serait le principal responsable si le pays devait connaître des blocages importants. Si le Président se met en avant publiquement, par une allocution par exemple, la responsabilité pourrait se déporter sur lui et ce ne serait pas forcément très bon politiquement.

La solution passerait-elle par un vote de la réforme au Sénat avec l’appui de la majorité de droite, puis un accord en commission mixte paritaire qui rassemble 7 députés et 7 sénateurs et où la droite et la majorité présidentielle sont majoritaires ?

C’est un cas de figure qu’il faudra quand même faire avaler à certains députés de sa majorité qui sont également critiques sur cette réforme. Globalement ce qui est frappant, c’est qu’il y a beaucoup d’amateurisme procédural et communicationnel de la part de l’exécutif. D’abord, sur son choix de passer par un projet de loi de financement de la sécurité sociale. Ce choix va conditionner certaines mesures. Je ne vois pas comment, par exemple, l’index des séniors pourrait être validé par le Conseil Constitutionnel.

Mais ce n’est pas la première fois que gouvernement d’Emmanuel Macron fait preuve d’amateurisme lorsqu’il aborde une réforme des retraites. Le Conseil d’Etat avait émis un avis extrêmement sévère sur le contenu de la réforme 2019. Et pour couronner le tout, l’exécutif avait eu recours à l’article 49 alinéa 3, quelques semaines avant les élections municipales… alors qu’il cherchait justement à éviter que les deux séquences ne se parasitent.

Qu’on soit pour ou contre la réforme, la communication a aussi été calamiteuse. On peut évoquer la déclaration de Franck Riester sur la pénalisation des femmes et l’imbroglio sur les 1 200 euros. Le gouvernement a également cédé très rapidement en ramenant de 65 à 64 ans, le recul de l’âge légal simplement pour gagner quelques voix à LR. Si le gouvernement l’avait fait plus tardivement, ça aurait permis de laisser entendre que la mobilisation avait servi à quelque chose et donc de se ménager une position de repli pour tenter de faire baisser la tension.

Quelle autre option se posait à l’exécutif ?

C’est toujours facile à dire après mais le gouvernement aurait pu inscrire la réforme des retraites dans un projet de loi ordinaire dans un temps législatif programmé, ce qui impliquait un délai de 6 semaines avec la discussion… ce qui n’aurait pas changé grand-chose. Il se laissait la possibilité d’avoir recours à l’article 49 alinéa 3. Seulement, le projet de loi immigration qui suit à l’agenda va également beaucoup cliver les députés. En reportant son examen à l’été lors de la session extraordinaire du Parlement, l’exécutif avait là encore la possibilité de faire passer la réforme par un nouveau recours à l’article alinéa 3.

 

Partager cet article

Dans la même thématique

Retraites : « Il y a beaucoup d’amateurisme de la part de l’exécutif »
3min

Politique

Airbnb permet « payer les études de mes enfants », se défend cette propriétaire de Cagnes-sur-Mer

La France fait la part belle à Airbnb. La plateforme d’hébergement est désormais présente dans 80% des communes de l’hexagone. Une inflation des locations de courte durée qui a un impact direct sur la crise du logement. Dans certaines villes, le marché est saturé et le prix des loyers n’a jamais été aussi élevé. Mais pour certains propriétaires qui mettent leur bien en location, c’est aussi un revenu d’appoint utile pour entretenir leur patrimoine comme en témoigne Elodie Fakhfakh, face à trois sénatrices dans l’émission Dialogue Citoyen, présentée par Quentin Calmet.

Le

Documentaire Churchill chef de guerre de Peter Bardelhe
3min

Politique

Et si Winston Churchill était le grand perdant de la victoire des alliés en 1945 ?

L’Histoire a retenu de Winston Churchill un héros triomphant au balcon de Buckingham Palace après la capitulation des nazis. Mais proclamer le signe de la victoire avec la main ne suffit pas, encore faut-il en récupérer les bénéfices. A l’issue de la Seconde Guerre mondiale, la Grande-Bretagne a vu son influence dégringoler. Malgré les efforts du Vieux lion, les deux superpuissances, américaine et soviétique, ont imposé un agenda politique au détriment des intérêts britanniques. Le réalisateur Peter Bardelhe a fait le pari d’expliquer cette partie de poker diplomatique entre les vainqueurs de 1945 dans un documentaire Churchill, chef de guerre diffusé sur Public Sénat.

Le

Paris: Gerard Larcher elu President du Senat
3min

Politique

Échec de la CMP sur le budget : Gérard Larcher dénonce le « manque de considération » de Sébastien Lecornu à l’égard du Sénat

Le gouvernement et la majorité sénatoriale se renvoient la responsabilité de l’échec de la commission mixte paritaire (CMP) sur le projet de loi de finances 2026. Gérard Larcher répond à Sébastien Lecornu en défendant la position du Sénat pendant l’examen du budget et en dénonçant « le manque de considération » et « les mots excessifs » du Premier ministre.

Le