Un mouvement et beaucoup de remous. Avant l’ouverture des débats à l’Assemblée nationale sur la réforme des retraites, ce lundi, l’exécutif a voulu adresser un dernier geste à la droite, sans laquelle le vote du report de l’âge légal de départ de 62 à 64 ans semble sérieusement compromis. Pourtant, les dernières déclarations d’Élisabeth Borne n’ont fait que raviver les dissensions qui agitent les 61 députés Les Républicains depuis plusieurs mois. Dans les colonnes du Journal du Dimanche, la Première ministre a indiqué être prête à élargir le dispositif carrières longues à ceux qui ont commencé à travailler entre 20 et 21 ans, tandis que l’index senior pourrait s’appliquer à toutes les entreprises de plus de 50 salariés, contre 300 dans la mouture initiale. Ces annonces correspondent à ce que réclamaient Éric Ciotti, le nouveau patron du parti de la rue de Vaugirard, et Olivier Marleix, le président du groupe LR à l’Assemblée nationale. « Si nous obtenons des avancées, une majorité des LR votera ce texte », assure l’élu d’Eure-et-Loir dans un entretien accordé au Figaro. Il mise désormais sur la discussion parlementaire pour obtenir d’autres améliorations, en particulier pour ceux qui ont commencé à travailler à 16 ou 17 ans.
Aurélien Pradié et la « tromperie » d’Élisabeth Borne
Mais voilà, Aurélien Pradié, le député du Lot, qui se revendique d’une ligne sociale, continue de jouer le bras-de-fer. Après s’être opposé à l’idée d’un report de l’âge légal de départ, à contre-courant de son parti, l’élu de 36 ans, numéro 3 dans le nouvel organigramme des LR, accuse la cheffe du gouvernement de « tromperie » : « Élisabeth Borne ne devrait pas se moquer de nous. Comment un travailleur qui débute à 20 ans pourrait valider cinq trimestres avant ses 21 ans comme l’impose le dispositif carrières longues ? », s’est-il agacé sur Twitter. Le député demande que ceux qui ont cotisé un trimestre avant 21 ans puissent partir avant 64 ans dès lors qu’ils ont effectué leurs 43 annuités. Autour de lui gravitent une quinzaine de députés LR, prêts à rejeter le texte, a assuré l’un de ses proches, le député Pierre-Henri Dumont, sur franceinfo et BFMTV. Le gouvernement, de son côté, a besoin d’une quarantaine de voix en dehors des rangs de sa majorité relative pour faire adopter la réforme. Avec les atermoiements qui agitent aussi le camp macroniste, dont une dizaine d’élus pourraient s’abstenir, la fronde qui pointe chez LR capte toute l’attention. Ce lundi à 20 heures, les députés LR ont d'ailleurs rendez-vous pour une réunion de groupe « exceptionnelle », indique Politico. L’occasion, peut-être, pour Olivier Marleix de rappeler ses troupes à l’ordre.
« Attention pour nous, les LR, à ce que comprendront nos électeurs. J’observe qu’une partie importante du groupe a déposé des amendements qui menacent l’article 7 de la réforme [qui porte le recul de l’âge légal de départ, ndlr] », avertit auprès de Public Sénat Bruno Retailleau, le président du groupe LR au Sénat. « Une réforme est toujours améliorable, mais aujourd’hui, je ne sais pas si certains visent l’amélioration ou la démolition. Soit on est pour, soit on est contre ! », martèle l’élu vendéen. Il estime que les annonces d’Élisabeth Borne « vont dans le bon sens, car elles montrent que le gouvernement est prêt à faire des concessions ».
Equilibre comptable et équilibre social
« Aurélien Pradié a raison de maintenir la pression sur le gouvernement. On peut travailler plus longtemps, mais il faut que l’Assemblée fasse ses propres propositions si on veut que le gouvernement aille plus loin sur certains aspects de la réforme », objecte le sénateur LR de l’Oise Jérôme Bascher. « Comme on dit en mauvais français, Élisabeth Borne a fait un bougé, c’était souhaitable, mais ça n’est pas satisfaisant. Elle se rapproche de ce que LR lui réclamaient, mais elle reste à côté de la plaque », considère l’élu qui dénonce un manque d’ambition sur la prise en compte de la pénibilité et un index senior « éculé et dépassé ». « Par ailleurs, je ne suis pas sûr que faire ces annonces dans Le Journal du Dimanche, à 24 heures de l’ouverture des débats dans l’hémicycle, eut été très pertinent. Elle aurait pu faire plaisir, lors de la discussion générale, à ceux dont elle cherche à obtenir le soutien en leur réservant la primeur de ses déclarations. Une fois de plus, on constate que ce gouvernement ne sait pas travailler avec la pluralité politique de l’Assemblée nationale. »
Les réticences d’une partie de la droite sur ce texte se font d’ailleurs sentir au-delà des seuls parlementaires. Xavier Bertrand le président du Conseil régional des Hauts-de-France reste particulièrement critique et a qualifié de « trompe-l’œil » les concessions faites par Élisabeth Borne. « C’est comme interpréter une partition de piano : chacun appuie plus ou moins fort sur la pédale, selon ce que joue la main gauche ou la main droite. L’élément clef de la réforme reste l’équilibre financier du système, et c’était la priorité défendue par Éric Ciotti. A côté de cela, Xavier Bertrand, comme un certain nombre de députés, pense que l’équilibre comptable ne peut pas se faire sans un certain équilibre social », résume encore Jérôme Bascher, qui est l’un des proches de l’ancien ministre du Travail.
« Un job d’été ne peut pas justifier de certaines dérogations par rapport à d’autres »
De son côté, le sénateur LR René-Paul Savary affiche une certaine vigilance par rapport aux annonces de la Première ministre, même s’il estime qu’elles vont dans le bon sens : « Sur les carrières longues, le dispositif n’est pas parfait, il mérite d’être affiné. C’est un point sur lequel on réfléchit au Sénat », explique-t-il. « Il est bien certain qu’il faudra prendre en compte les conséquences de cet allongement de la durée de travail sur les plus fragiles. Il faut des mesures d’accompagnement des carrières longues, mais un job d’été, par exemple, ne peut pas justifier de certaines dérogations par rapport à d’autres », tacle le « Monsieur retraite » de la droite sénatoriale, à l’origine de l’amendement adopté chaque année au Palais du Luxembourg pour un report de l’âge légal de départ à la retraite. « J’ai lu les amendements qui ont été déposés par la droite à l’Assemblée, il y a des choses sur lesquelles il faut savoir rester raisonnable, sinon on va se retrouver avec une série de dispositifs dont le coût annulera le rééquilibrage visé », s’inquiète l’élu. « Je rappelle que l’objectif premier de la réforme est de renforcer la soutenabilité du système par répartition », abonde Bruno Retailleau.
René-Paul Savary refuse de commenter plus avant les amendements déposés par certains députés de droite, et préfère attendre de voir à quoi ressemblera le texte qui sortira de « la lessiveuse de l’Assemblée nationale » avant d’émettre un jugement. « Ce qu’il se passe du côté des députés ne m’inquiète pas particulièrement. Je comprends ces difficultés : tant que certains points n’auront pas été précisés par le gouvernement, il y a des postures politiques qui s’expriment, et donc des divergences. L’important, c’est d’avoir à l’arrivée une réforme qui soit comprise et applicable », balaye-t-il.
Une direction mise à mal ?
Il faut rappeler que les rapports entre les deux groupes parlementaires ne sont pas toujours simples. La campagne pour la présidence du parti ayant attisé les tensions entre les différentes écuries. Les sénateurs, pour leur part, s’étaient très majoritairement ralliés à leur président de groupe, Bruno Retailleau, arrivé en deuxième position. Désormais, les dissensions côté Assemblée nationale interrogent indirectement l’autorité d’Éric Ciotti et le travail de rassemblement opéré depuis qu’il a pris les rênes du parti en décembre. Pour certains, Aurélien Pradié s’octroie un pouvoir de nuisance qui ne correspond pas à son poids politique. « Au fur et à mesure qu’Olivier Marleix et Éric Ciotti satisfont les demandes d’Aurélien Pradié, il en trouve toujours de nouvelles à poser sur la table. Il serait temps de se souvenir que 80 % des électeurs du congrès pour la présidence de LR n’ont pas voté pour lui », fustige un parlementaire de premier plan.
« Il faut arrêter avec ces questions d’autorité. Nous ne sommes pas chez LFI, LR n’est pas le parti d’un petit caporal, cette époque est révolue. D’autant que la ligne politique n’a toujours pas été tranchée », s’agace Jérôme Bascher. Et d’ajouter : « Bien sûr, il y aura certainement une petite fracture des députés sur ce texte. Sur une réforme de cette ampleur, où chacun place le curseur où il l’entend, il est particulièrement difficile de trouver une position commune », pointe-t-il.
« S’attacher une certaine popularité ne peut pas se faire en monnayant nos positions »
L’ampleur de la mobilisation sociale pousserait également une partie des LR à faire monter les enchères sur le vote de la réforme. « Leur soutien s’effrite un peu plus chaque jour pour une raison simple, la droite, très présente dans les villes moyennes, a vu les manifestations et craint un retour de bâton sur un texte qu’elle n’a même pas écrit », avançait la semaine dernière, sur l’antenne de Public Sénat, la socialiste Laurence Rossignol. D’autant que certaines personnalités autour d’Aurélien Pradié, comme les députés Pierre-Henri Dumont ou Fabien Di Filippo, sont issues de territoires ouvriers. « Malgré la position défendue par LR sur les retraites pendant des années, c’est un vote qui reste compliqué pour beaucoup d’élus », admet Jérôme Bascher. « Après la débâcle de l’élection présidentielle, ce sont des gens qui ont sauvé eux-mêmes leur peau aux législatives, ce n’est pas le soutien du parti qui leur a permis d’être élus députés. À présent, en circonscription, ils constatent que beaucoup de leurs concitoyens sont inquiets face à cette réforme », développe encore le sénateur Bascher. « Je peux comprendre la complaisance des uns et des autres à vouloir incarner une droite populaire, mais pour moi, s’attacher une certaine popularité ne peut pas se faire en monnayant nos positions », réfute, droit dans ses bottes, Bruno Retailleau.
Les députés auront dix jours pour examiner la réforme, inscrite dans un projet de loi rectificative du budget de la Sécurité sociale. Il est peu probable toutefois, en un laps de temps si court, qu’ils arrivent au bout des 20 000 amendements déposés, « à moins que certains groupes n’acceptent de renoncer aux modifications qu’ils réclament », relève Bruno Retailleau. Passé ce délai, le projet de loi sera envoyé au Sénat, le gouvernement étant libre de conserver ou nom les modifications que l’Assemblée nationale aura eu le temps de voter. Au sein de la Chambre Haute, les 145 élus du groupe LR devraient afficher des positions plus uniformes sur un texte fortement inspiré par la réforme qu’ils défendent depuis plusieurs années. « Certains sénateurs auront à cœur d’insister sur des éléments particuliers plutôt que d’autres. Mais je peux vous dire que l’on attend ce texte de pied ferme, ça fait cinq ans que nous sommes prêts ! », lâche Jérôme Bascher.