Surtout, pas d’empressement sur la réforme des retraites. Dans ce dossier hautement inflammable, probablement le plus sensible du quinquennat, le gouvernement temporise pour ne pas brusquer ses interlocuteurs. Le calendrier général de la réforme sera connu dans les prochains jours, mais une chose est quasiment acquise : l’idée initiale de présenter le projet de loi en Conseil des ministres d’ici la fin de l’année semble abandonnée. La discussion parlementaire du texte ne devrait pas non plus avoir lieu avant les élections municipales de mars.
Les préconisations au gouvernement du haut-commissaire à la réforme, Jean-Paul Delevoye, avaient été précédées d’un an et demi d’échanges. Ils se prolongeront encore plusieurs mois. Une nouvelle phase de concertation avec les partenaires sociaux s’est ouverte ce jeudi. Pendant deux jours, Matignon reçoit syndicats et organisations patronales.
Sans être rentrée en profondeur dans le vif du sujet dans cette première prise de contact avec le Premier ministre, la CFDT, première centrale de France, est ressortie à première vue avec le sentiment de pouvoir faire bouger certaines lignes. « On est persuadé que la précipitation n’est pas de mise », s’est exprimé à la sortie son secrétaire général, Laurent Berger, manifestement satisfait de l’état d’esprit du Premier ministre. « Il a dit : il y a un certain de points sur lesquels on est tout à fait ouvert à la discussion […] Il a été plutôt assez ouvert, y compris sur la question du calendrier, de la méthode de travail », a souligné le responsable syndical.
« On a l’impression qu’on est face à une nécessité budgétaire »
Pour autant, il s’attend à de futures réunions « longues », voire difficiles. « Je pense que la discussion s’annonce compliquée, très compliquée », lâche-t-il. La centrale a bon espoir d’avancer sur les questions de prise en compte de la pénibilité ou encore de la gouvernance de l’assurance vieillesse, mais se montre sceptique sur la raison d’être de la réforme. « On a l’impression qu’on est face à une nécessité budgétaire. Mais il n’y a pas de nécessité budgétaire urgente », regrette Laurent Berger, qui plaide pour une réforme « qualitative », « lisible » et « redistributive ». Comme dans d’autres syndicats, il plaide pour des modifications dans les politiques d’emploi.
Le soutien de la CFDT sera déterminant pour la suite. L’exécutif a commencé à lui tendre la main cet été. Fin août, à la surprise générale, Emmanuel Macron a fait part de sa préférence pour « un accord sur la durée de cotisation plutôt que sur l’âge », lui qui défendait l’âge légal de départ à 62 ans dans sa campagne. Une solution « plus juste » selon le chef de l’État, qui s’en est expliqué : « si vous commencez plus tard, vous finissez plus tard, et quand vous commencez plus tôt, vous partez plus tôt ». Dans le système de retraite universel qu’il imagine pour 2025, Jean-Paul Delevoye préconise, lui, un « âge pivot » à 64 ans, avec un système de décote et de surcote, suivant que l’on parte avant ou après cet âge. De cette option, la CFDT ne voulait pas en entendre parler, car celle-ci pénalisait les personnes ayant commencé tôt leur carrière professionnelle.
FO et la CGT maintiennent leurs journées d’action
Dans l’optique d’un système de retraite fonctionnant par points, et non plus par annuités, tel que l’imagine le gouvernement, le choix du président de la République pour une durée de cotisation ne va pas de soi. « Parler de durée n’a pas de sens, quand on parle de points », considère Laurent Berger.
La valeur du point sera l’un des enjeux majeurs des conditions à fixer dans les prochains mois, surtout dans un système qui devrait s’adapter aux conditions démographiques et économiques, selon les recommandations du rapport Delevoye. Reçu en premier ce matin, le secrétaire général de Force Ouvrière (FO) s’en est ému à la sortie. Après une heure d’entretien avec le chef du gouvernement, il a répété qu’il était « déterminé à faire en sorte d'empêcher le régime unique par points ». Sa crainte ? Demain, « les gouvernements piloteront complètement la retraite ». Très remonté contre la réforme, son syndicat organise une journée d’action le 21 septembre, comme la CGT, qui appelle à des manifestations trois jours plus tard.
« Ce projet de loi, nous n’allons pas le préparer seuls »
Plusieurs secteurs de la fonction publique sont aussi en ébullition avec les craintes autour de « l’âge pivot », et la disparition programmée des régimes spéciaux. Le patronat, attendu également dans les prochaines heures à Matignon, a d’autres raisons de grincer des dents, avec les menaces sur les régimes de retraite complémentaires, si le futur système universel s’applique à tout salaire jusqu’à 120.000 euros. La perspective de la mise dans le pot commun des réserves accumulées par le régime complémentaire du privé Agirc-Arrco, n’enchante pas non plus. Du côté du front des professions libérales – avocats en tête – la hausse annoncée des cotisations retraite est également explosive.
À ces échanges bilatéraux avec les partenaires sociaux, l’exécutif compte également consulter la population française, dans des modalités qui restent encore à préciser. « Ce projet de loi, nous n’allons pas le préparer seuls mais nous allons le faire en écoutant les partenaires sociaux, en écoutant les Français », avait annoncé la veille le Premier ministre, à l’issue du séminaire gouvernemental de rentrée. Ce n’est que la semaine prochaine qu’il devrait faire connaître sa méthode et son calendrier, après avoir reçu chaque organisation syndicale et patronale.
Après un début de quinquennat marqué par des consultations sociales expéditives (ordonnances sur le Code du travail ou encore réforme de l’assurance chômage), le « changement de méthode » annoncé par Emmanuel Macron le 26 août dernier est-il palpable ? Laurent Berger jugera sur les actes. « Pendant de nombreux mois – deux années – on a souvent senti que c’était plutôt fermé. Est-ce que c’est ouvert aujourd’hui ? Cela se mesurera au résultat obtenu ».