Senat- Questions au gouvernement
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Retraites : l’abandon du gel des pensions accueilli froidement par la majorité sénatoriale

Alors que le premier ministre fait un nouveau pas vers le PS, renonçant au gel des pensions de retraite et des minima sociaux, l’annonce est mal accueillie par les sénateurs de droite et du centre. « C’est un vrai renoncement », pointe la rapporteure de la Sécu au Sénat, Elisabeth Doineau, qui rappelle que l’idée de l’année blanche était justement proposée par la majorité sénatoriale…
François Vignal

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C’est une nouvelle concession du premier ministre. Vendredi 31 octobre, Sébastien Lecornu a mis sur la table le renoncement au gel des pensions de retraite et des minima sociaux, mesures prévues dans le cadre du budget de la Sécurité sociale. Le gouvernement est « prêt » à regarder les amendements « qui viendront à dégeler » les pensions et minima. Mesures déjà supprimées en commission des affaires sociales par les députés.

« Le gel faisait partie des mesures que nous étions disposés à défendre au Sénat », souligne Elisabeth Doineau

S’il faut attendre le 19 novembre pour voir le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) arriver au Sénat, l’annonce n’est pas passée inaperçue chez les sénateurs. Mais pas sûr qu’elle passe bien au sein de la majorité sénatoriale LR-Union centriste, déjà échaudée par la suspension de la réforme des retraites concédée aux socialistes, sur laquelle elle compte revenir. Et pour cause : elle défend, aux côtés de Gérard Larcher, l’année blanche. « Nous avions présenté ce gel des prestations à François Bayrou en juillet dernier. Ça faisait partie des mesures que nous étions disposés à défendre au Sénat », rappelle la sénatrice centriste Elisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. « C’est un vrai renoncement », pointe la sénatrice de la Mayenne, qui défend « des mesures qui demandent des efforts ». « Le gel des prestations était entendable. C’est pour tout le monde pareil, il y a derrière ça une équité », insiste la sénatrice.

Il faudra attendre un peu pour avoir une position officielle de la majorité sénatoriale. « Nous avons une réunion demain midi avec Gérard Larcher, et les présidents de groupe LR, Mathieu Darnaud, et Union centriste, Hervé Marseille, pour en reparler », glisse la rapporteure. Mais « à titre personnel », Elisabeth Doineau estime cependant qu’« on peut regarder à la marge, pour certains publics, comment moduler ce gel des prestations ».

« Si on fait cette hausse de la CSG, on voit bien que ce sont surtout les retraités qui seront mis à contribution »

Autre mesure qui pourrait se retrouver dans la copie de l’Assemblée : une hausse de la CSG sur le patrimoine. Le principe a déjà été adopté aussi en commission par les députés, à l’initiative de la gauche. En réponse, Sébastien Lecornu a assuré ne pas vouloir se « défiler » sur la question des recettes sociales, laissant la porte ouverte sur le sujet.

Là aussi, la rapporteure du budget de la Sécu au Sénat est dubitative. « Si on fait cette hausse de la CSG, on voit bien que ce sont surtout les retraités qui seront mis à contribution. Maintenant, est-ce qu’ils seront mis à contribution dans la même mesure que tous les autres ? C’est ça qu’on va examiner », affirme la sénatrice de la Mayenne, qui ajoute : « On va examiner toutes ces mesures. Mais à l’aune d’une certaine justice sociale. Que tout le monde participe aux efforts, que ce soient les assurés, les retraités, les actifs, les entreprises. Nous, on va regarder cet équilibre-là ».

« Le gel des prestations, ça peut s’expliquer, on est capable de le porter », soutient la sénatrice LR Pascale Gruny

Même son de cloque du côté LR. « Entre la copie du gouvernement et celle qu’on va recevoir après l’Assemblée, il y a des renoncements sans arrêt. Je ne sais pas à combien on sera après au niveau du déficit », pointe la sénatrice LR, Pascale Gruny, vice-présidente de la commission des affaires sociales.

« Le gel des prestations, ça peut s’expliquer je pense, on est capable de le porter », ajoute la sénatrice de l’Aisne, « pour en discuter avec les retraités, certains ne sont pas d’accord, mais la plupart sont d’accord car la revalorisation votée l’an dernier est très forte ». L’avantage du gel est aussi de rapporter beaucoup, tout de suite. « Au total, le gel des prestations va rapporter 3,6 milliards d’euros, dont 2,2 milliards pour les retraites », précise Pascale Gruny. L’année blanche restera-t-elle la position défendue par la majorité sénatoriale ? « Je pense que oui », avance la sénatrice LR.

Mais pour Pascale Gruny, il faut des réformes de fond pour sérieusement combler les déficits. « Tout ça, ce n’est pas grand-chose, car c’est la baisse des dépenses de l’Etat qu’il faut faire. Là, on essaie de boucher les trous », regrette la sénatrice LR. « Comme on ne va pas faire de mesure structurelle, le gouvernement est obligé de trouver des mesures avec un rendement rapide », ajoute Elisabeth Doineau.

« Il faut respecter les deux chambres, c’est peut-être ce qu’a oublié Sébastien Lecornu »

Ces différences de points de vue se retrouvent d’autant plus exacerbées que la relation s’est détériorée entre l’exécutif et le Sénat, depuis le gouvernement Lecornu et le départ des LR du gouvernement, voulu par Bruno Retailleau. « C’est un peu plus conflictuel. En tout cas, il y a une incompréhension sur la méthode de Lecornu. J’entends qu’il travaille au jour le jour, mais il ne faut pas oublier que le Parlement est composé de deux chambres. Il faut tenir compte aussi de la majorité sénatoriale. Et il faut respecter les deux chambres. C’est peut-être ce qu’a oublié Sébastien Lecornu entre temps », soutient Elisabeth Doineau.

« A titre personnel », elle espère qu’« en compensation de la suspension de la réforme des retraites, que le Sénat marquera des points sur d’autres mesures, comme sur la pénibilité ou le contrat sénior », en plus des mesures sur « les femmes ».

« Ce gel était absolument intolérable », pointe la socialiste Annie Le Houerou

A gauche, on ne peut pas rejeter la concession du premier ministre, mais elle est jugée bien trop faible. « Ça va dans le bon sens pour nous. En tout cas, ce sont des pas vis-à-vis des classes moyennes et des plus vulnérables, car ce gel était absolument intolérable », pointe la sénatrice PS Annie Le Houerou, cheffe de file du groupe PS sur le PLFSS. « Evidemment que ça nous rapproche, mais ce n’est, à ce stade, pas suffisant par rapport aux efforts demandés à certains et pas à d’autres », ajoute la sénatrice des Côtes-d’Armor.

Pour Annie Le Houerou, « il faut absolument trouver des recettes supplémentaires qui donnent un signe que les plus aisés contribuent aux dépenses sociales, et en particulier dans le respect du pacte républicain de la Sécu, où chacun bénéficie en fonction de ses besoins et paie en fonction de ses moyens. Or dans ce PLFSS, on note que ceux qui vont contribuer le plus grandement sont ceux qui sont malades ».

« Un minium syndical » pour l’écologiste Anne Souyris

La sénatrice des Ecologistes, Anne Souyris, estime pour sa part que les annonces de Sébastien Lecornu, « c’est un minium syndical. Ce n’était pas du tout possible de commencer à discuter avec ça. Il faut se souvenir que l’an dernier, le gouvernement est tombé sur le PLFSS, où il y avait déjà des gels proposés, mais bien moindres que cela… » La sénatrice de Paris ajoute : « On a l’impression que Lecornu fait parfois des propositions maximalistes pour pouvoir discuter. C’est du marchandage de tapis. Ce n’est pas bien, on n’est pas dans un jeu ».

Mais pour l’heure, « il reste beaucoup de problèmes, c’est juste un début pour discuter. Ça ne peut pas suffire », prévient la sénatrice écologiste de la commission des affaires sociales. A l’instar du doublement des franchises médicales. « C’est par voie réglementaire, ce n’est pas dans le PLFSS, mais il faudra un engagement pour ne pas faire ça. Encore une fois, on fait des économies sur les malades. C’est en rupture avec l’idée même de la Sécu », dénonce Anne Souyris, qui relève un autre gros morceau : le budget de l’hôpital. « On a un Ondam (objectif national de dépenses d’assurance maladie, ndlr) avec une augmentation de seulement 1,6 %, alors que c’est 3,3 % cette année, ce qui était déjà insuffisant. Là, on diminue par deux. En fait, c’est un mensonge, on sait qu’on ne pourra pas le faire », soutient la sénatrice de Paris. Et encore faut-il que le gouvernement tienne jusque-là.

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