On y est. La grande journée de manifestation contre la réforme des retraites mobilise dans tout le pays des milliers de personnes. Cause de ce mouvement du jeudi 5 décembre : la volonté de l’exécutif d’instaurer un système universel de retraites par points, visant à remplacer les 42 régimes existants (fonctionnaires, privés, régimes spéciaux, complémentaires). Les salariés de la SNCF et de la RATP sont donc extrêmement mobilisés. Mais pas seulement. De nombreuses écoles sont fermées, avec 70% des enseignants et professeurs en grève. Policiers, éboueurs, avocats, retraités ou transporteurs routiers appellent aussi à l'action.
Le niveau de mobilisation sera regardé de près. « C’est un rapport de force » résume un député LREM, visiblement va-t-en-guerre : « La bataille commence. On est prêt pour le combat »… Un combat où le gouvernement joue gros. C’est sa capacité à réformer, et son image, qui se joue, alors que plusieurs syndicats rêvent de faire reculer l’exécutif, un an après la crise des gilets jaunes.
« Si on ne fait pas les retraites, on ne fait plus rien. C’est un grand test »
Face à ce front social, la majorité serre pour le moment les rangs. « Ne reculons pas. Et si on recule, c’est quoi la grande réforme du quinquennat ? Le dédoublement des classes CP/CE1 en zone d’éducation prioritaire ? C’est une réforme attendue des Français » soutient une députée LREM. Reste que la réforme est loin d’être claire. « Sur les retraites, c’est un bordel généralisé », reconnaît un député Modem, qui souhaite aussi que l’exécutif aille au bout : « Si on ne fait pas les retraites, on ne fait plus rien. C’est un grand test ». Le même garde son sens de l’humour : « On va vivre un joli moment… »
Même volonté de maintenir le cap au gouvernement. « Etre en mouvement est un élément constitutif de La République en marche » dit Julien Denormandie, ministre de la Cohésion des territoires. Emmanuel Macron lui-même avait assuré fin octobre sa volonté « d’aller au bout » de la réforme. Mais comment ?
C’est toute la question. Le détail de la réforme est attendu. Car jusqu’ici, on avance dans le brouillard. Comme le temps sur une partie du territoire, en ce jour de manifestation. Allégorie d’une réforme aux contours peu lisibles.
Réforme examinée au Parlement au premier semestre 2020
On devrait en savoir plus très vite. Jean-Paul Delevoye, haut-commissaire à la réforme des retraites, a revu tous les syndicats ces derniers jours. Prochaine étape, pour celui qui est chargé de consulter : il présentera le 9 ou 10 décembre ses conclusions au premier ministre. Il avait pourtant présenté son rapport sur les retraites, en juillet dernier, après des mois de consultation…
Très vite, Edouard Philippe va préciser davantage les choses. Le premier ministre annoncera « en milieu de semaine prochaine l'architecture générale de la réforme », selon l’Elysée. Le projet de loi sera ensuite attendu au Parlement au premier semestre 2020. Le calendrier reste à préciser. Le texte pourrait être définitivement adopté après les municipales.
« Cette stratégie du flou a pas mal d’avantages » (un député LREM)
Dans sa stratégie de communication, l’exécutif a réparti les rôles, censés être complémentaires. A Jean-Paul Delevoye « la négociation au jour le jour », à Edouard Philippe « les moments plus intenses de clarification » et à Emmanuel Macron, qui « au bout, tranchera », résume un macroniste. « Le Président va suivre ça comme le lait sur le feu. Et il interviendra quand il estimera que ce sera nécessaire ».
Le flou qui a prévalu jusqu’ici inquiète les salariés. Mais pour l’exécutif, cela permet de conserver des marges de manœuvre pour négocier, comme l’explique un député LREM :
« C’est évident. Cette stratégie du flou a pas mal d’avantages. Elle a des inconvénients aujourd’hui, mais elle peut avoir quelques atouts ensuite. Si on était arrivé avec un projet où pas une virgule ne pouvait changer, on faisait exploser le pays »
Réforme appliquée à partir de la génération 1973 ?
Reste à voir si le curseur des syndicats pourra suffisamment se rapprocher de celui de l’exécutif, à défaut de se confondre. Pour le gouvernement, la question est de savoir jusqu’où lâcher. La clause dite « du grand-père », qui permettrait d’appliquer la réforme aux seuls nouveaux entrants, semble bien abandonnée. Pour faire passer la pilule, l’exécutif mise plutôt sur les périodes de transition, qui pourraient être différentes selon les régimes. Ce qui n’aiderait pas à rendre la réforme lisible pour les Français…
Selon Les Echos, la génération 1963, concernée par le projet initial, ne serait plus celle de la bascule vers le nouveau régime. « La génération 1973 pourrait être un bon compromis, quelque part entre celle du Premier ministre (né en 1970) et celle du président de la République (1977) » écrit le quotidien. Concrètement, si la génération 1973 était retenue, ce sont ceux qui partiront à la retraite vers 2035.
Quant aux mesures d’économies visant à équilibrer le système, elles pourraient être repoussées.
Augmentation des professeurs pour compenser
Le gouvernement compte aussi se pencher sur les professeurs, un sujet à part entière dans la réforme, qui compte quasiment autant de problèmes à régler que de secteurs concernés. En tant que fonctionnaire, leurs pensions sont calculées sur les six derniers mois de rémunération. Avec la réforme par points, c’est l’ensemble de la carrière qui est pris en compte. Pour ne pas être lésés, les professeurs devraient donc être augmentés. Ce que ces derniers ne pourraient qu’apprécier. C’est l’une de leurs revendications depuis longtemps.
Le ministre de l’Education, Jean-Michel Blanquer, a déjà évoqué sur RTL « une montée progressive » « à partir de 2021 ». « C'est du côté des plus jeunes qu'on doit travailler la rémunération et faire en sorte qu'ils n'y perdent pas sur leur retraite future » explique le ministre. Mais jusqu’où le gouvernement sera-t-il prêt à aller ? Alors que l’exécutif vise à faire des économies, le coût d’une hausse des salaires des enseignants et professeurs se compte en milliards d’euros, même étalée sur plusieurs années.