Comme tous les ans, le Conseil d’orientation des retraites (COR) rend son rapport annuel sur les « évolutions et perspectives des retraites en France. » Comme tous les ans aussi, le rapport a fuité dans la presse avant sa validation en plénière par cette structure indépendante rattachée aux services de Matignon, prévue le 12 juin. « D’habitude, ça fuite la veille, maintenant c’est même le week-end précédent, ça dépasse les limites », proteste Monique Lubin, sénatrice socialiste et l’une des huit parlementaires membre du COR.
En tout état de cause, le contenu du rapport est devenu depuis ce week-end un secret de polichinelle. Le Conseil d’orientation des retraites (COR) a divisé par deux son estimation du déficit du système des retraites pour 2030, à 0,2 % du PIB, (soit 6,6 milliards d’euros) mais relevé celle pour 2070 à 1,4 % du PIB, détaille notamment l’AFP qui a pu consulter le rapport. À titre de comparaison, les prévisions de déficit qui figuraient dans le rapport précédent étaient de 0,4 % pour 2030 et de 0,8 % du PIB en 2070.
« La réforme de 2023 a fait le boulot pour cinq ou six ans, mais si on revient en arrière, on en reprend pour 15 milliards », analyse le sénateur centriste Olivier Henno, lui aussi membre du COR. À plus long terme, « la question des retraites va se poser à nouveau et en ce sens le travail du COR est indispensable », poursuit-il. Le problème, note Monique Lubin, c’est qu’à plus long terme, les projections sont plus difficiles à interpréter. « Il faut arrêter les projections à 40 – 50 ans quand on voit la versatilité de l’économie en ce moment. Contentons-nous des projections à cinq, dix ou quinze ans maximum », plaide la sénatrice socialiste. À long terme, nous serons tous morts, aurait dit Keynes.
« C’est faux de dire que la situation est alarmante »
« À 6 milliards de déficit, on n’est pas dans la catastrophe annoncée. C’est faux de dire que la situation est alarmante. Je note aussi que la part des dépenses de retraite dans le PIB va même légèrement baisser et que ce sont les recettes qui ne sont pas suffisantes, pas les dépenses qui dérapent », développe-t-elle. D’après la sénatrice, c’est la baisse de la productivité qui expliquerait cette dégradation des recettes, notamment à cause de l’essor de l’apprentissage sur les dernières années. Les contrats d’apprentissage étant moins rémunérés et exonérés de certaines cotisations, leur développement a pour effet de faire chuter mécaniquement la productivité.
Pour Olivier Henno, le rapport du COR ne fait qu’objectiver un état de fait démographique. « Ce travail est très pertinent, il permet de dépassionner le débat. Avec notre natalité et l’allongement de l’espérance de vie, si l’on veut sauvegarder le niveau de vie des retraités, qui peut sérieusement penser qu’on peut faire autre chose que relever l’âge légal ? » En proposant quatre pistes pour réduire le déficit, dont trois « récessionnistes » et une seule qui permettrait un « enrichissement du pays », le COR semble en effet préconiser un nouveau relèvement de l’âge légal. Ainsi, la « modération de la progression des pensions » ou un prélèvement sur les retraités les plus aisés pénaliserait d’après le COR la consommation populaire et donc in fine les rentrées sociales et fiscales, de même qu’une hausse des cotisations augmenterait le coût du travail.
Reste donc l’augmentation de l’âge légal, assimilé à un choc d’offre sur le marché du travail, soit une augmentation de la quantité d’heures totales travaillées qui s’accompagne de retombées économiques positives (voir notre article). Dans cette hypothèse » pour équilibrer structurellement le système de retraite chaque année jusqu’en 2070 via le seul levier de l’âge de départ à la retraite, il serait nécessaire de porter cet âge à 64,3 ans en 2030, 65,9 ans en 2045 et 66,5 ans en 2070 », détaille le COR.
« Gilbert Cette n’a pas peur d’étaler les vérités qui bousculent »
Une prise de position du Conseil d’orientation des retraites qui n’a pas manqué de faire réagir, notamment les partenaires sociaux, qui composent le COR aux côtés des économistes, des directeurs d’administrations et de parlementaires. « Le COR privilégie une orientation plutôt qu’une autre, ce n’est pas son rôle », a réagi Sophie Binet sur France Info ce dimanche. « La CGT entend bien le modifier parce que sa synthèse […] n’est pas acceptable », a-t-elle poursuivi. « Le COR n’existe qu’à travers les avis de son conseil, il se réunit jeudi. Donc il n’y a aucune orientation sur les retraites qui existe pour l’heure au niveau du COR… sauf à vouloir électriser ou biaiser les travaux du conclave en cours. Ce qui est inadmissible », a pour sa part grincé auprès de l’AFP Yvan Ricordeau, secrétaire général adjoint de la CFDT.
En cause pour les syndicats, le remplacement à la présidence du COR de Pierre-Louis Bras par Gilbert Cette (voir notre article), « en mission commandée par Emmanuel Macron », a fustigé auprès de l’AFP Denis Gravouil, secrétaire confédéral de la CGT. Monique Lubin attend la plénière de jeudi pour adopter une position définitive. « Le COR émet des hypothèses, c’est son travail, mais il ne dit pas ‘il vaut mieux faire ça ou ça’. Si le COR voulait changer de stratégie et que l’on sorte de la réunion jeudi en disant qu’il faut impérativement allonger la durée de travail, je m’y opposerai fortement et je ne serai pas la seule », explique la sénatrice.
Pour Olivier Henno, Gilbert Cette « essaie de créer du consensus, mais n’a pas peur d’étaler des vérités qui bousculent. » Et le sénateur centriste, qui siège au COR depuis de nombreuses années, d’ajouter : « Le COR n’est pas fait pour dire que tout va très bien, comme c’était un peu le cas avant [voir notre article], quand on annonçait des taux de productivité ou de croissance qui n’arriveraient jamais pour équilibrer le système dans les projections. » Les 41 membres du Conseil d’orientation des retraites devront valider ce rapport jeudi 12 juin par un vote en plénière.