L’exécutif prépare le terrain de sa réforme des retraites. Fraîchement investi, Olivier Dussopt, le nouveau ministre du Travail, a entamé mardi 24 mai une série de rencontres avec les représentants des principales organisations syndicales et patronales. Après avoir passé une heure avec Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT, il recevait ce mercredi Philippe Martinez, le leader de la CGT, Yves Veyrier, le secrétaire général de Force ouvrière et Geoffroy Roux de Bézieux, le président du Medef. L’occasion d’une prise de contact avec le nouveau locataire de l’hôtel du Châtelet, et d’évoquer certaines des priorités que le gouvernement veut définir en matière de politique économique. Au programme : un paquet de nouvelles mesures pour soutenir le pouvoir d’achat des Français face à l’inflation, mais aussi la sempiternelle réforme des retraites, qu’Emmanuel Macron souhaiterait voir entrer en vigueur d’ici janvier 2023.
C’est à Olivier Dussopt qu’il incombera de piloter cet épineux dossier, comme lui a d’ailleurs rappelé la Première ministre, Élisabeth Borne, lors de la passation de pouvoir en début de semaine. « Des principes ont été posés, et nous devons maintenant consulter, concerter et coconstruire », a-t-elle déclaré. Le cap, c’est celui d’un recul de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ou 65 ans, afin de « faire en sorte que les jeunes générations puissent bénéficier d’une retraite et que chacun ait une pension digne », a encore expliqué la cheffe du gouvernement. Son successeur au ministère du Travail s’est engagé à entamer le dialogue dès son entrée en fonction, misant sur une « capacité collective à dépasser les désaccords, à trouver des consensus ».
L’âge de départ, sempiternelle pomme de discorde
Un désaccord de taille pourtant, puisque l’ensemble des syndicats s’opposent déjà à un recul de l’âge de départ. « Négocier le report de l’âge légal, c’est non ! », a averti Philippe Martinez mercredi matin sur Franceinfo, juste avant sa rencontre avec Olivier Dussopt. « Pourquoi, au moment du départ de l’âge légal à la retraite, plus de 50 % des salariés ne sont pas au boulot. Comment on règle ça ? Si on les maintient jusqu’à 60 ans, ça fait baisser le chômage et rentrer des cotisations sociales », argue notamment le leader cégétiste, qui devait aussi s’entretenir dans l’après-midi avec Élisabeth Borne. Même opposition du côté de Force ouvrière : « Il n’y a pas de compromis possible sur un nouveau recul de l’âge », a martelé Yves Veyrier de FO jeudi, au micro de la matinale de Public Sénat. En revanche, ces deux syndicalistes se disent prêts à entamer des discussions sur les conditions de financement.
« Faire une réforme qui améliore le système mais ne l’équilibre pas, ce n’est pas responsable. Faire une réforme qui se contente d’équilibrer le système financièrement, sans l’améliorer, ce n’est pas juste. Nous, nous cherchons les deux objectifs », a expliqué Olivier Dussopt sur RTL. Pour autant, l’exécutif pourrait bien lâcher du lest sur l’âge de départ. « Nous ferons cette réforme dans la concertation. On ne peut pas dire : je concerte, mais j’ai déjà décidé », a déclaré le ministre du Travail dans la même interview. On songe à la « méthode nouvelle de gouvernement » promise par Emmanuel Macron au soir de sa réélection. La retraite à 65 ans « n’est pas un totem », a également indiqué Élisabeth Borne dans un entretien au Journal du Dimanche.
L’exécutif prêt à explorer d’autres pistes ?
« Ce type de déclarations nous montre que le gouvernement ne va pas s’accrocher à l’âge de départ », prédit le sénateur centriste Jean-Marie Vanlerenberghe, qui fait partie du Conseil d’orientation des retraites (COR), un organisme dont les prévisions sur la trajectoire du système servent de support à la politique du gouvernement. Cet élu s’est fendu d’une note envoyée à Olivier Dussopt, Élisabeth Borne et Emmanuel Macron, intitulée « retraites : le recul de l’âge de départ n’est pas la seule solution ». Dans ce texte de deux pages, consulté par Public Sénat, Jean-Marie Vanlerenberghe invite l’exécutif à plancher sur un réajustement de la réforme Touraine de 2014, qui allonge d’un trimestre, tous les trois ans, la durée de cotisation requise pour prétendre à une retraite à taux plein.
Accélérer le calendrier fixé, en passant par exemple à un trimestre par an, permettrait d’arriver à 43 annuités de cotisations pour une retraite à taux plein à l’horizon 2028. En tenant compte d’une entrée dans la vie active à 21 ans en moyenne, l’âge de départ serait ainsi factuellement porté à 64 ans. « Cette mesure paraît suffisante, elle permettrait d’économiser 6 milliards de prestations et d’augmenter les recettes de 2 milliards. Ces 8 milliards devraient financer les déficits prévisibles et les mesures nouvelles, qui peuvent se chiffrer à 3 ou 4 milliards d’euros », fait valoir Jean-Marie Vanlerenberghe.
Symboliquement, repousser l’âge de départ sans avoir à le fixer dans le marbre avec un projet de loi ordinaire, mais en passant par des modifications paramétriques inscrites dans un simple PLFSS (projet de loi de financement de la sécurité sociale), serait aussi une manière de désamorcer un dossier hautement inflammable. « Cela fait partie des pistes de réflexion », abonde le sénateur LR René-Paul Savary, président de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, également membre du COR. « Il faut qu’une nouvelle réforme puisse être acceptée, et pour cela elle devra aussi tenir compte de différents critères, notamment celui de la pénibilité pour ceux qui ont commencé à travailler plus tôt », insiste-t-il. Corapporteur du PLFSS 2022, cet élu avait pourtant déposé en novembre dernier un amendement – adopté par le Sénat mais rejeté par les députés – en faveur d’un report progressif de l’âge légal de départ de 62 à 64 ans. Une mesure qui reste à ses yeux la plus efficace, « car elle permet de jouer sur deux leviers à la fois : réduire les dépenses de la Sécurité sociale, tout en augmentant le nombre de cotisations ».
Un déficit de 16 milliards en 2032
Le COR chiffrait à 5 milliards le déficit du système des retraites en 2020, il devrait être compris entre 9 et 11 milliards en 2027 et atteindre les 16 milliards d’ici 2032. Pour autant, les fluctuations de l’inflation, la hausse ou la baisse du taux du chômage, peuvent modifier ces prévisions. D’ailleurs, la publication du rapport annuel du COR, traditionnellement attendu au mois de juin, pourrait être repoussée cette année à l’automne, « car l’Etat ne nous a pas encore transmis tous les éléments macroéconomiques réclamés », glisse Jean-Marie Vanlerenberghe.
Mais les syndicats n’ont pas nécessairement la même lecture de ces chiffres, et considèrent qu’une politique du plein-emploi - un objectif également affiché par Emmanuel Macron -, ou encore des mesures pour renforcer l’employabilité des seniors peuvent rendre le déficit supportable sans avoir à passer par une nouvelle réforme. « Il ne faut pas exagérer, il faudrait attendre 2070 pour revenir à l’équilibre ! », s’agace Jean-Marie Vanlerenberghe.
Vers un été social ?
Emmanuel Macron a donné un mois à Olivier Dussopt pour bâtir un calendrier de la réforme des retraites. La « grande conférence sociale » que le chef de l’Etat promettait d’ouvrir dès sa réélection pourrait toutefois attendre l’automne. De leur côté, les partenaires sociaux planchent aussi sur leur propre calendrier, si le dialogue avec l’exécutif était amené à se durcir. Selon une information du journal Le Monde, les principaux syndicats, CFDT, CFE-CGC, CFTC, CGT et FO, ont travaillé début mai sur un texte commun pour marquer leur opposition à la réforme. Une initiative intersyndicale restée lettre morte. Il faut dire que derrière l’opposition commune au recul de l’âge de la retraite se cachent aussi de profondes divergences sur le système actuel. Entre ceux, comme Laurent Berger, qui veulent maintenir la retraite à 62 ans, et ceux, tel Philippe Martinez, qui plaident pour un retour à 60 ans dans la foulée du programme défendu par la NUPES pour les législatives.
La CGT envisage d’ailleurs de multiplier les initiatives la semaine précédant le premier tour du scrutin (réunions syndicales, manifestations, interpellation des candidats aux législatives, organisation de débats publics, ect.). Elle appelle également à « une journée nationale interprofessionnelle de grève et de manifestation » en septembre. À l’occasion de son 25e congrès confédéral, du 30 mai au 3 juin, Force ouvrière planchera aussi sur de possibles moyens d’action, des manifestations aux appels à la grève, a indiqué Yves Veyrier à Public Sénat la semaine dernière.
Un coup de pouce cet été
Plus consensuel : l’indexation des pensions de retraite sur l’inflation dès le mois de juillet. Une mesure phare du paquet en faveur du pouvoir d’achat que l’exécutif espère faire voter par le Parlement dès le lendemain des législatives. Si la loi prévoit déjà cette indexation des pensions, celle-ci n’intervient généralement qu’à l’automne. L’avancer de plusieurs mois permettra de tenir compte de la forte hausse des dernières semaines (environ 4 %). « Pour une pension à 1 200 euros, [c’est] un gain de 45 euros par mois », a souligné Olivier Dussopt. « Il s’agit d’un petit coup de pouce en période électorale, et qui rattrape certains efforts passés », nuance René-Paul Savary. « Pour maintenir le pouvoir d’achat des seniors, il faudrait une indexation des retraites sur les salaires. Mais ce serait ouvrir un autre dossier, avec d’autres problèmes… »