Retraites : le Sénat adopte les conclusions de la CMP, avant un retour périlleux du texte devant les députés

Retraites : le Sénat adopte les conclusions de la CMP, avant un retour périlleux du texte devant les députés

La majorité sénatoriale a adopté par 193 voix contre 114 et 38 abstentions les conclusions de la commission mixte paritaire, où députés et sénateurs sont parvenus à un accord sur un texte commun pour la réforme des retraites.
François Vignal

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C’était une formalité. Le Sénat a adopté largement les conclusions de la commission mixte paritaire (CMP) sur la réforme des retraites. Après plus de 8 heures de réunion mercredi, les sept députés et sept sénateurs, réunis à huis clos, ont trouvé un accord sur un texte commun. Il restait aux deux chambres à adopter ces conclusions, pour que la réforme soit définitivement adoptée par le Parlement. C’est fait pour le Sénat.

La Haute assemblée a adopté la version définitive du texte par 193 voix contre 114 et 38 abstentions (voir ici le détail par groupe), soit 2 voix de moins que samedi dernier, lors du vote sur l’ensemble du texte, à la fin de l’examen au Sénat, où 195 sénateurs avaient voté pour et 112 avaient voté contre.

Dans le détail, si le groupe LR a largement voté pour (119 voix), on compte 6 votes contre et 19 abstentions au sein du groupe de Bruno Retailleau. Au groupe Union centriste, l’autre composante de la majorité sénatoriale, il y a 37 voix pour, 7 contre et 13 abstentions. Au groupe RDPI (Renaissance), on compte 22 votes pour et 1 abstention (voir ici le détail pour tous les groupes).

Le cœur de la réforme n’a pas bougé : report de l’âge légal de 62 à 64 ans, couplé à l’accélération de la réforme Touraine, et suppression de plusieurs régimes spéciaux. Le projet de loi conserve au final la création du « CDI senior », un apport du Sénat, mais sous une forme expérimentale de 2023 à 2026, si les partenaires sociaux ne trouvent pas d’accord sur le sujet. La surcote jusqu’à 5 % pour les mères de famille, voulue par le Sénat, est aussi conservée. Les carrières longues ont fait également l’objet d’un compromis, à la demande des députés LR.

Amendement de dernière minute du gouvernement qui transfère 700 millions d’euros pour assurer l’équilibre du système

Malgré de nouvelles dépenses, la réforme a toujours pour objectif d’atteindre l’équilibre du système en 2030. « Tout en imprimant ses marqueurs dans le texte, le Sénat a veillé à garder cette épure budgétaire », assure la centriste Elisabeth Doineau, rapporteur générale de la commission des affaires sociales. L’équilibre a été assuré après l’adoption d’un amendement de dernière minute du gouvernement, qui transfère pas moins de 700 millions d’euros de la branche ATMP (accident du travail/maladie professionnelle) à la branche vieillesse. Il s’agit de prendre en compte les dernières modifications issues de la CMP (voir la vidéo ci-dessous). Mais les sénateurs, communistes notamment, ont peu apprécié de devoir se prononcer sur cette mesure sans avoir eu le temps de l’étudier réellement.

« Si les droits des parlementaires ne sont pas bafoués là… » s’est indignée la sénatrice PCF Laurence Cohen. Après une suspension pour permettre à la commission de se réunir une dizaine de minutes, le Sénat a adopté l’amendement. Mais Elisabeth Doineau a dénoncé une « méthode très contestable ». Un dernier soubresaut, à l’image de l’ensemble de l’examen du projet de loi, qui fut parfois chaotique, à l’Assemblée nationale bien sûr, mais aussi, dans une moindre mesure, au Sénat.

Sur les carrières longues, René-Paul Savary (LR) salue « une avancée significative, avec les 43 annuités minimums pour les bornes d’âge »

René-Paul Savary, rapporteur LR du texte au Sénat, salue le « compromis trouvé entre les exigences du Sénat » et celles du gouvernement. Il remercie les ministres d’avoir « accordé de créer un accord interprofessionnel sur l’emploi des seniors, demandeur d’emploi de longue durée ». Quant aux carrières longues, le sénateur de la Marne y voit « une avancée significative, avec les 43 annuités minimums pour les bornes d’âge, qui permettront à certains d’être véritablement pris en compte dans la durée de cotisation ». Regardez :

Alors que certains, à droite et dans la majorité présidentielle, ont présenté un peu vite la mesure comme permettant à tous ceux dans le dispositif carrières longues de partir après 43 ans, c’est résumer un peu vite les choses. En raison des critères à remplir, certains vont en réalité faire plus de 43 annuités, jusqu’à 44 ans, comme publicsenat.fr l’expliquait hier. Politiquement, la mesure vise à permettre à certains députés LR récalcitrant de voter le texte, alors que la menace du 49.3 plane sur l’Assemblée, face à une majorité incertaine.

« Nous avons été à la hauteur de l’enjeu, sourd à la démagogie, dont le triomphe est passager et les ruines éternelles, disait Péguy. J’irais plus loin : le Sénat, la majorité sénatoriale, a donné le « la », tel un diapason, sur le texte », s’est enorgueilli de son côté Olivier Henno, sénateur UDI du Nord.

« Le cœur de la réforme est inchangé, quant à son injustice et sa brutalité » dénonce l’écologiste Raymonde Poncet Monge

Après un combat pied à pied pendant dix jours en séance, la gauche a jeté ses dernières forces dans cette ultime bataille parlementaire, bien que perdue d’avance. Face aux dénonciations d’Olivier Dussopt, la socialiste Monique Lubin a justifié l’action des sénateurs de gauche. « Alors oui, nous avons utilisé ce que nous pouvons utiliser, c’est-à-dire notre droit d’amendement », a rappelé la sénatrice PS des Landes.

« Ce sont les politiques d’austérité qui ont fait perdre l’équilibre au système de retraite », dénonce la communiste Cathy Apourceau-Poly, qui ajoute que « ce sont les choix faits par la droite, sous Nicolas Sarkozy, qui permettent aujourd’hui aux parlementaires d’exiger la généralisation de la capitalisation dans notre système par répartition ». La sénatrice PCF du Pas-de-Calais ajoute :

Le refus de mettre à contribution les plus riches, les dividendes, d’élargir l’assiette de cotisations démontre les intérêts de ceux que vous protégez.

Malgré quelques « aménagements à la marge », « le cœur de la réforme est inchangé, quant à son injustice et sa brutalité, tout comme sa dimension productiviste, dont l’impact annoncé est évalué au gain d’un point de PIB, […] au prix de l’explosion des arrêts maladie de longue durée, du chômage, du basculement dans les minima. Soit un coût social inédit », dénonce la sénatrice écologiste, Raymonde Poncet Monge (voir vidéo ci-dessous). Pour la sénatrice EELV, particulièrement présente durant les débats, la réforme vise au fond « à réaliser des économies de dépenses sociales, qui financent in fine les nouvelles baisses d’impôt des plus fortunés ».

« Le texte qui vous est soumis, c’est aussi le vôtre. Cette réforme des retraites, c’est aussi celle du Sénat et des sénateurs », soutient Gabriel Attal

Le ministre du Travail, Olivier Dussopt, a salué pour sa part « un accord qui permet de mettre aux voix un texte profondément enrichi ». Mettre aux voix du moins au Sénat, car à l’Assemblée donc, le recours au 49.3 n’est pas à exclure. Pour le ministre, le texte « conjugue le cœur de la réforme du président de la République, avec les nombreuses améliorations portées par les parlementaires ». « Avec 74 heures de discussion à l’Assemblée nationale et 102 heures au Sénat, nous pouvons dire que le débat a eu lieu », souligne Olivier Dussopt, qui ajoute que débat a eu lieu aussi « avec les partenaires sociaux ». Regardez :

« Le texte qui vous est soumis, c’est aussi le vôtre. Cette réforme des retraites, c’est aussi celle du Sénat et des sénateurs. Il prend ses racines dans des valeurs communes », a brossé dans le sens du poil le ministre des Comptes publics, Gabriel Attal. Cet après-midi, à l’Assemblée nationale, il faudra plus au gouvernement pour espérer adopter le texte sans 49.3.

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