Le Sénat, chambre de la deuxième chance ? Les députés socialistes se sont vu refuser mardi la création d’une commission d’enquête parlementaire portant sur la qualité de l’étude d’impact de la réforme des retraites. La demande a été jugée irrecevable en commission des Affaires sociales ce mardi : la majorité présidentielle a considéré que les conditions n’étaient pas réunies et a déploré un « détournement de procédure ». C’est un nouveau coup de semonce pour les opposants à la réforme des retraites, après l’adoption du texte, précipité par le 49-3. Le président du groupe socialiste au Sénat, où la réforme sera débattue en avril, s’est dit hier « furieux ».
Les regards sont désormais tournés vers le Sénat, où une demande similaire doit être examinée. Dès le 25 février, le socialiste Patrick Kanner et la communiste Éliane Assassi ont partagé en Conférence des présidents – l’instance où se décide l’organisation des travaux parlementaires – leur souhait d’une commission d’enquête sur le sujet. En mettant en cause « la sincérité, l’exhaustivité et l’exactitude » de l’étude d’impact de la réforme des retraites, les deux présidents de groupe emboîtent le pas au Conseil d’État, qui avait aussi souligné dans un avis très critique les faiblesses de ce pavé de 1000 pages.
Socialistes et communistes ont épuisé leur droit de tirage pour cette session parlementaire
La plus haute juridiction administrative française n’est pas la seule à faire preuve de réserve. Le 4 mars au Sénat, l’économiste Antoine Bozio, considéré comme l’un des « inspirateurs » du système universel de retraite à points, a lui aussi souligné le côté « lacunaire » de l’étude d’impact.
Après avoir fait connaître leurs intentions, Patrick Kanner et Éliane Assassi ont adressé un courrier le 28 février au président du Sénat Gérard Larcher, en y joignant une proposition de résolution. Précédée d’un examen en commission pour étudier la validité juridique, l’adoption d’une résolution en hémicycle est nécessaire pour valider la demande de commission d’enquête.
Cette étape est un passage obligatoire pour les socialistes et les communistes, car les uns et les autres ont épuisé leur « droit de tirage ». Une seule fois par session, chaque groupe politique peut réclamer une mission d’enquête, sans qu’un passage par la séance plénière ne soit obligatoire. Or, en février, les socialistes l’ont utilisé pour mettre en place une commission d’enquête sur la pollution industrielle des sols. Quant aux communistes, leur droit de tirage a servi à la création d’une mission d’information sur le rôle des départements dans les nouvelles grandes régions.
La plupart du temps, l’avis de la commission des Lois est favorable. Depuis 2009, ce sont 20 commissions d’enquête créées sur le fondement du droit du tirage qui ont vu le jour. Seulement deux ont été jugées irrecevables.
« On ne va pas donner suite », pronostique un pilier de la majorité sénatoriale
Si à l’Assemblée nationale, le groupe LR a soutenu l’idée d’une commission d’enquête dans le but de lever le « soupçon » entourant la réforme des retraites, l’accueil par la droite et le centre, majoritaires au Sénat, sera déterminant. Les groupes PS et communiste sont encore dans « l’expectative ».
Par exemple, le rapporteur du projet de loi de réforme des retraites René-Paul Savary (LR) pourrait se montrer disposé, sur le fond, à soutenir la demande de la gauche. « Je n’ai jamais vu ça, une étude d’impact aussi lacunaire […] On aimerait, pour prendre les décisions, avoir les conséquences de ce type de réforme, en ce qui concerne le financement et les répercussions économiques. » Ce sénateur clé de la commission des Affaires sociales ne va pas pour autant jusqu’à parler spécifiquement de commission d’enquête sur les impacts de la réforme. « Je suis favorable à avoir plus d’informations », s’est-il contenté de souligner.
Retraites : « Je n’ai jamais vu ça, une étude d’impact aussi lacunaire » (René-Paul Savary)
L’idée de la commission d'enquête est loin de faire consensus. Un membre de la Conférence des présidents, siégeant dans la majorité sénatoriale, s’est montré très réservé sur l’objet de cette commission d’enquête, qui pourrait constituer un précédent. « On ne va pas donner suite. Ce n’est pas possible, sinon on pourrait remettre en cause toutes les études d’impact. On passerait nos journées dessus, sur chaque texte de loi », nous a-t-il confié dans la journée.
La droite s’interroge sur sa stratégie, Gérard Larcher fait état d’un « apaisement » avec Emmanuel Macron
Les fondements de la décision ne seront pas seulement juridiques ou même techniques, la politique entre aussi en jeu. Plusieurs sources parlementaires nous indiquent que la majorité sénatoriale s’interroge encore sur sa stratégie à adopter vis-à-vis de la réforme des retraites. « S’ils sont dans une logique d’affrontement, ils peuvent avoir intérêt à valider la commission d’enquête. S’ils sont plutôt dans l’optique d’un contre-projet des retraites, c’est plus compliqué et cela nous laisse moins d’espace », admet un proche de la présidente communiste Éliane Assassi. « Pour le moment, c’est un peu flou. »
Une commission d’enquête, sur l’étude d’impact de la réforme la plus importante et la plus sensible du quinquennat, pourrait être perçue de la part de Matignon comme une ouverture des hostilités. La commission d’enquête sur « l’affaire Benalla » en 2018 est d’ailleurs venue brouiller les relations entre le Sénat et l’exécutif. En 2019, les relations entre Emmanuel Macron et Gérard Larcher s’étaient réduites au plus strict minimum, les deux personnages ne se croisant que lors de cérémonies officielles. Voilà près d’un an que les deux hommes ont arrêté leurs entretiens. Faut-il vraiment aller à l’affrontement, à l’heure où Gérard Larcher reconnaît, dans Le Figaro, qu’il entre avec le chef de l’État « dans une phase d’apaisement » ?
La majorité sénatoriale devrait arrêter sa décision sur cette commission d’enquête dans les deux prochaines semaines. La prochaine Conférence des présidents est fixée au 24 mars.