La porte-parole du gouvernement Maud Bregeon a assuré ce mercredi à la sortie du Conseil des ministres qu’Emmanuel Macron a acté qu’il n’y avait pour le moment pas « de socle plus large que celui qui est en place aujourd’hui » pour gouverner. Mais, après les consultations des responsables de partis mardi, « le président continue à écouter et à tendre la main ».
Retraites : le Sénat vote un amendement pour lancer la réflexion sur la capitalisation
Par Romain David
Publié le
Ce dimanche matin, la teneur des débats au Sénat sur la réforme des retraites n’avait plus rien à voir avec l’ambiance de la veille. Alors que le quasi-silence des élus de droite sur la fermeture de 5 régimes spéciaux – premier point de la réforme examiné et voté samedi – avait contraint la gauche à monologuer pendant de longues heures, les échanges se sont enfin engagés dans l’hémicycle du Palais Luxembourg. Un changement de ton salué par plusieurs élus. « Aujourd’hui, la noblesse du débat arrive ! », a notamment réagi le communiste Pascal Savoldelli.
La cause de ce sursaut ? Deux amendements portés par Les Républicains, respectivement déposés par le sénateur des Bouches-du-Rhône Stéphane Le Rudulier et le sénateur de la Meurthe-et-Moselle Jean-François Husson, rapporteur général du budget au Sénat. Deux « amendements d’appel » en quelque sorte, réclamant au gouvernement la remise d’un rapport avant le 1er octobre 2023 sur « les modalités d’instauration d’un nouveau régime social applicable à des cotisations versées à un régime obligatoire d’assurance vieillesse par capitalisation ». En clair : les LR demandent à l’exécutif de plancher sur l’intégration éventuelle d’une part de capitalisation au système des retraites. Suivant ce système, le montant des pensions serait en partie fixé par les performances financières des investissements passés. Une idée régulièrement évoquée par la droite, mais fermement rejetée par la gauche.
« C’est comme la prose de Monsieur Jourdain, nous en faisons tous de la capitalisation »
Les LR ont donc eu à cœur de démystifier le sujet, assurant qu’il n’était pas question de renoncer au modèle par répartition, mais de trouver des modes de financement capable de s’extirper de la contrainte que représente la baisse du nombre d’actifs par rapport au nombre de pensionnés. « Nous croyions à la retraite par répartition au nom du lien générationnel, et c’est parce que nous croyions à cette retraite par répartition que nous voulons voter, après l’avoir modifié, cette réforme », a voulu rassurer Bruno Retailleau, le président du groupe LR. « Mais l’on sait très bien qu’un régime par répartition est un régime dont la clef c’est la démographie », a-t-il ajouté, évoquant l’hypothèse d’une « fusée à trois étages », c’est-à-dire : « La répartition, les complémentaires gérées par les partenaires sociaux, et enfin un dernier étage par capitalisation ».
« On a tendance à prêter à la capitalisation une portée qu’elle n’a pas nécessairement », a également voulu déminer son collègue Philippe Bas. Et le sénateur de la Manche de rappeler que de nombreux Français convertissent déjà leurs revenus en capital : « Ils ne nous ont pas attendus, 1 876 milliards de placements en assurance vie, 57 % des Français propriétaires de leurs logements… Croyez-vous que cette épargne ne soit pas destinée à consolider leurs moyens quand ils prendront de l’âge ? » Olivier Henno, sénateur centriste du Nord abonde : « C’est comme la prose de Monsieur Jourdain, nous en faisons tous de la capitalisation. Combien, ici, ont des assurances-vie ? »
« Il ne faut pas être exclusif, les systèmes qui fonctionnent aujourd’hui sont mixtes en Europe. Une part par répartition, qui garantit une retraite de base, et une part de capitalisation qui permet à tous de profiter de la croissance et de la richesse économique », a résumé Etienne Blanc, sénateur du Rhône.
La gauche dénonce un cheval de Troie
En face, la gauche reproche à la droite d’avancer à visage masqué : « Vous ne demandez pas un simple diagnostic, vous tenez la main du gouvernement puisque l’amendement précise comment mettre en œuvre ce système par capitalisation ! », s’agace Patrick Kanner, le chef de file des socialistes au Sénat. L’écologiste Mélanie Vogel reprend à son tour la métaphore de la fusée utilisée par Bruno Retailleau, et renverse l’argumentaire du Vendéen : « Pour que la fusée aille plus vite : chaque étage est doté de ses propres moteurs, et lorsque les réserves de carburant sont vides, l’étage est largué dans l’espace », rappelle l’élue. « Faire de la capitalisation le dernier étage de la fusée, c’est donc précisément faire de la répartition le premier étage à abandonner, ne soyons pas dupes ! »
Dans les rangs communistes, Cathy Apourceau-Poly, élue du Pas-de-Calais, laisse éclater son indignation, alors qu’elle reproche à la droite de ne s’intéresser qu’aux plus hauts revenus : « Est-ce que vous pensez véritablement que les caissières, les aides à domicile, les petits smicards sont dans la capitalisation ? Vous savez où ils sont ? Ils font la queue aux Restos du Cœur ! Ils sont au Secours populaire, ils n’arrivent plus à payer leur électricité et leur gaz, ils pensent tous les jours à se nourrir », lâche-t-elle. « C’est la réalité de la vie ! On ne côtoie peut-être pas les mêmes. Vous irez dire à ces gens qu’ils doivent capitaliser ! »
Il n’aura suffi que de quelques interventions pour que le clivage gauche-droite au sein de la Chambre haute, qui semblait s’être complètement effacé la veille en raison du mutisme de la droite et de l’omniprésence au micro de la gauche, retrouve toute sa place. À présent, il n’est plus question d’obstruction parlementaire. Le débat se durcit, et ce sont bientôt deux visions de la société qui s’affrontent, pied à pied. « Vous pensez que le placement financier sera plus rentable que la rémunération salariale. Vous faites le pari d’une société ou la financiarisation continue à nous vider de notre substance et à vider le monde du travail de sa rémunération », dénonce Marie-Noëlle Lienemann, sénatrice GRS (Gauche républicaine et socialiste) de Paris. « Votre volonté c’est de remettre la main sur les 346 milliards de cotisations sociales qui échappent chaque année au capital pour les remettre dans les mains du marché ! Vous l’avez compris, pour nous, c’est non ! », renchérit Fabien Gay.
L’amendement de Jean-François Husson adopté par 163 voix
Les deux rapporteurs, la centriste Élisabeth Doineau et le LR René-Paul Savary, ont estimé que l’amendement de Jean-François Husson – Stéphane Le Rudulier ayant fini par retirer le sien pour soutenir celui de son collègue – n’avait pas sa place dans ce texte, sans toutefois se dire opposés à l’idée d’une part de capitalisation. Le gouvernement a émis un avis défavorable. Olivier Dussopt, le ministre du Travail, a notamment invoqué « la complexité du système » par capitalisation, prenant l’exemple du modèle suédois, cité à plusieurs reprises au cours des débats. « Le système suédois est à trois ou quatre étages avec une cotisation versée par les salariés, répartie en deux quotes-parts. Le salarié doit lui-même choisir parmi une liste de 40 fonds de pensions celui sur lequel il souhaite investir l’une de ces deux quotes-parts. »
Mis au vote en fin de matinée, l’amendement de Jean-François Husson a finalement été adopté avec 163 voix pour et 126 contre, majoritairement grâce aux soutiens de la droite, auxquels se sont ajoutés une cinquantaine de votes venus des rangs du groupe Les Indépendants. « Si on doit arriver un jour à la capitalisation, il faudra qu’elle soit solidaire ! », a encore voulu répéter Bruno Retailleau dans l’après-midi au micro de Public Sénat.