Pour les LR, c’est non et trois fois non sur les retraites. Ou pas. Chaque jour réserve sa surprise, dans cette période de crise politique intense que traverse le pays. Dernière en date : la ministre Elisabeth Borne a proposé mardi soir, dans Le Parisien, une « suspension » de la réforme des retraites, qu’elle a elle-même conduit comme premier ministre. « Si c’est la condition de la stabilité du pays, on doit examiner les modalités et les conséquences concrètes d’une suspension jusqu’au débat qui devra se tenir lors de la prochaine élection présidentielle », a-t-elle déclaré, appelant à « écouter et bouger ». Soit exactement l’une des demandes du Parti socialiste, qui recherche des mesures fortes et symboliques – il est cependant resté sur sa faim après avoir été reçu à nouveau par Sébastien Lecornu.
Dans l’(ex ?) socle commun, la sortie d’Elisabeth Borne passe mal. Elle divise chez Renaissance et Horizons la rejette. « Une suspension de la réforme Borne, c’est non », tranche l’entourage d’Edouard Philippe auprès de l’AFP. A droite, c’est pire. « On est dans la saison 4 de la série, « Le chaos, c’est pour demain » », préfère encore rire (jaune) Marc-Philippe Daubresse, sénateur LR du Nord. Le sujet ne fait en réalité pas du tout rire les LR. Une telle suspension de la réforme des retraites constitue « une ligne rouge pour la droite », a prévenu auprès de l’AFP l’entourage du président des Républicains, Bruno Retailleau. « La droite ne pourra que s’opposer de toutes ses forces » à cette proposition. « C’est une ligne rouge écarlate », nous lance et insiste la sénatrice Agnès Evren, porte-parole des LR.
« Démagogie et stupidité »
« Du côté du Sénat, c’est sûr que c’est inacceptable pour nous de suspendre la réforme des retraites », prévient Marc-Philippe Daubresse. Et pour cause : la majorité sénatoriale LR-centriste avait inspiré en partie les contours de la réforme Borne de 2023. Depuis, elle la défend bec et ongles. Comme Pascale Gruny, sénatrice LR de l’Aisne, qui n’en revient pas. « Je suis rapporteur permanente de la commission des affaires sociales sur la branche vieillesse. Elle finance comment ? Quel message envoie-t-elle ? Quand on a voté cette loi retraites, c’était très compliqué. On ne s’est pas fait que des amis. Mais c’était une demande au niveau de l’Union européenne de baisser notre déficit et de faire des réformes structurelles. C’est la seule réforme structurelle faite par le Président Macron », souligne Pascale Gruny, qui rappelle que « nous, chez les LR, on a une ligne. C’était 65 ans. Et on a déposé un amendement en ce sens tous les ans lors du budget de la Sécu. Evidemment, on n’est absolument pas d’accord avec ça ».
Pour Olivier Paccaud, sénateur LR de l’Oise, cette piste de sortie de crise lui inspire deux mots : « Démagogie et stupidité. La réforme des retraites n’est certainement pas idéale, elle pourrait être améliorée, sur la pénibilité, la situation des femmes. La réforme des retraites, c’est la plus difficile, car elle demande des efforts, et la plus facile, car les mathématiques et la démographie sont têtues ». C’est pourquoi suspendre la réforme « est une folie », dénonce le sénateur LR. « Il faut avoir le courage de travailler plus longtemps, comme le font tous les pays du monde. Sinon, le système s’effondrera. Là, c’est le courage politique qui s’effondre avec Borne. Peut-être pour sortir momentanément de la crise. Mais il faut avoir un minimum de colonne vertébrale », ajoute Olivier Paccaud.
« C’est du n’importe quoi »
« S’il faut trouver une solution, ce n’est pas la bonne », soutient aussi Alain Milon, sénateur LR du Vaucluse. L’ancien président de la commission des affaires sociales pointe le coût d’une telle suspension (lire notre article sur le sujet). « Il s’élève entre 500 et 600 millions d’euros par an, dès la première année. En année pleine, c’est entre 3 et 5 milliards d’euros par an ». Il continue : « Actuellement, 330 milliards d’euros sont versés par les caisses de retraite chaque année. Ça représenterait 10 %. C’est énorme ». « Ce sont deux ans de suspension qui vont coûter très cher en matière de retraite mais aussi en matière de rentrée de recettes pour les cotisations », complète Pascale Gruny, qui ajoute : « A mon avis, on est plutôt sur un coût de 13 milliards d’euros par an au total ».
C’est bien la dimension financière qui freine les LR. « On a dit et répété qu’il fallait aller beaucoup plus loin pour se serrer la ceinture, sur la dette et les agences. Et on va de la main droite faire ça, et de la main gauche aggraver le déficit de la Sécurité, qui est considérable », pointe Marc-Philippe Daubresse, qui résume son sentiment : « C’est du n’importe quoi ». « Et que Borne, qui a porté cette réforme, soit celle par qui le scandale arrive, c’est irresponsable », termine le sénateur LR.
« Dans une dissolution, bien souvent, l’intérêt du pays passe derrière la réélection du député »
Si on voit que les sénateurs sont vent debout contre une suspension de la réforme des retraites, les députés pourraient être plus ouverts… pour des raisons plus électorales. « Pour avoir déjà vécu une dissolution, c’est que dans une dissolution, bien souvent, l’intérêt du pays passe derrière l’intérêt, non pas du parti, mais de la réélection du député. Bien sûr, ils n’en sont pas tous à se précipiter pour avoir une dissolution », souligne Marc-Philippe Daubresse.
« Peut-être que certains députés LR auront une attitude un peu moins catégorique. Je me souviens qu’au moment de la réforme des retraites, quelques LR étaient contre. C’était peut-être par intérêt électoral », corrobore Olivier Paccaud. Pour rappel, en 2023, 19 des 61 députés LR avaient alors voté pour la motion de censure, déposée après l’adoption de la réforme des retraites par 49.3.
« Il faut que tout le monde reste à sa place et respecte une méthode » prévient Vincent Jeanbrun
En effet, il n’a pas fallu attendre longtemps pour voir quelques députés LR prendre leur distance avec la position du patron du parti, Bruno Retailleau, relançant au passage l’image d’un parti divisé en deux entre députés et sénateurs. Deux groupes, deux ambiances. Le tout sur fond de guéguerre Retailleau-Wauquiez, qui est aujourd’hui relancée au milieu de cette crise politique.
« Ce n’est pas la direction de LR qui a pouvoir de censure ou non, ce sont les députés ! Ce sont donc les députés Droite républicaine qui s’exprimeront et personne d’autre », s’est énervé sur X le député LR de l’Aisne, Julien Dive, réagissant à la « ligne rouge » fixée par Bruno Retailleau. « Dans un monde normal, les décisions qui engagent un groupe parlementaire sont prises par les députés dudit groupe parlementaire et non par le seul parti. Il faut toujours préférer son pays à son parti surtout dans la période actuelle. Prenons de la hauteur », lance pour sa part sur le réseau Vincent Jeanbrun, porte-parole du groupe des députés LR, ajoutant qu’« il faut que tout le monde reste à sa place et respecte une méthode »…
Les députés LR « assez largement » favorables à la suspension ?
« Chez LR, ça commence à bouger sur les retraites, moi-même, je ne suis pas péremptoire et cassant », confie à l’heure du déjeuner une figure du groupe à l’Assemblée. La suspension, les députés LR pourraient y être favorables « assez largement même », soutient un autre député du groupe de Laurent Wauquiez… Les LR n’en ont peut-être pas fini de se diviser sur les retraites.