Avant la commission mixte paritaire sur le budget, les oppositions formulent leurs réserves sur le texte issu du Sénat. Sur le plateau de Parlement Hebdo, l'écologiste Guillaume Gontard dénonce un budget « totalement austéritaire », le député RN, Gaëtan Dussausaye, évoque un « budget de punition sociale ». Néanmoins, le fond des critiques et la position à adopter en cas de recours au 49-3 divergent.
Retraites : quelle stratégie se prépare au Sénat ?
Par Public Sénat
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La bataille des retraites a commencé à l’Assemblée nationale. Avec 22.000 amendements déposés pour le seul examen en commission, dont 19.000 rien que pour La France Insoumise, c’est une véritable obstruction parlementaire qui se met en place. Une stratégie assumée par le parti de Jean-Luc Mélenchon. Au-delà de la confrontation politique, on comprend la stratégie qui se dessine : pousser le gouvernement à la faute en recourant au 49.3, qui permet de passer en force sur un texte. Patrick Mignola, à la tête du groupe Modem, encourage déjà l’exécutif à brandir la menace d’un « 49.3 de dissuasion ». Les opposants y trouveraient eux matière à relancer la fronde contre la réforme.
Au Sénat, le texte est censé arriver en séance fin avril. Doit-on s’attendre à pareille obstruction ? A priori non. L’obstruction s’est déjà vue dans le passé au Palais du Luxembourg, mais pas un passé récent. Ce n’est pas l’esprit des sénateurs. « Au Sénat, nous ne sommes jamais dans une procédure d’obstruction. Mais nous voulons un débat clair, transparent, compréhensible pour les Français » explique dans le JDD Gérard Larcher, président LR de la Chambre haute. « La volonté du Sénat sera de travailler le texte, donc pas d’obstruction » confirme le sénateur René-Paul Savary, le Monsieur retraites du groupe LR. « La stratégie d’obstruction, c’est absurde. Les parlementaires se plaignent de ne pas avoir assez de temps pour examiner ce texte » ajoute Philippe Dallier, vice-président LR du Sénat, invité de Public Sénat ce matin. Regardez :
Plutôt des propositions que de l’obstruction
Même sentiment du côté socialiste : pas d’obstruction. « Ce n’est pas le cas au groupe PS de l’Assemblée, ce ne sera pas le cas non plus au groupe du Sénat » assure Patrick Kanner, à la tête des sénateurs socialistes, qui résume : « On est dans l’opposition mais aussi la proposition ». Il « continue à regretter le choix de la procédure accélérée sur un texte aussi important ». Avec Gérard Larcher, il a plaidé – en vain – pour un examen normal, avec deux lectures par chambre. Il note aujourd’hui qu’au regard de l’ensemble des groupes de l’Assemblée et du Sénat, « les deux tiers des parlementaires voulaient une procédure normale ». Mais l’exécutif à la main sur la procédure.
Du côté du groupe CRCE (communiste), on reste prudent sur la stratégie. « On regardera comment les choses se passent à l’Assemblée. Pour l’heure, on n’a rien décidé, si ce n’est de nous opposer bien évidemment à ce texte, en étant constructif », explique Eliane Assassi, présidente du groupe. La sénatrice PCF de Seine-Saint-Denis compte bien défendre les « propositions pour réformer, avec des amendements plutôt constructifs », insiste-t-elle. S’il y aura certainement beaucoup d’amendements, on comprend que l’obstruction systématique ne semble pas être la voie favorite. C’est d’ailleurs le choix à l’Assemblée pour les communistes.
« Il y a ceux qui font de l'obstruction. Nous, on va aller vers le débat de fond, et les deux s'additionnent » défend Fabien Roussel, député du Nord et secrétaire national du Parti communiste français, invité de la matinale de Public Sénat ce lundi matin. Si « La France insoumise pilonne par le nombre d’amendements », le PCF veut « continuer à éclairer les gens sur tout ce qui est nocif dans ce texte ». Les communistes, qui vont suivre la motion de censure de gauche qui devrait être déposée « en milieu ou en fin de débat », compte aussi défendre une motion référendaire. Regardez :
« La recevabilité du texte se pose »
A droite, on pense à plusieurs pistes, avec bien sûr l’ambition de défendre une sorte de contre-projet. « Absolument, rien n’est exclu » assure René-Paul Savary, qui rappelle que pour les LR, « les mesures d’âge sont incontournables, il faut dire la vérité aux gens. Mais on peut le faire différemment que ce qui est proposé ».
Le sénateur de la Marne pense encore à une « autre option » : « Compte tenu des lacunes de l’étude d’impact et du nombre d’ordonnances, qui font qu’il y a un flou, nous aurons besoin des éclaircissements du gouvernement. S’il n’en donne pas suffisamment, c’est un autre problème. A ce moment-là, il y a la recevabilité du texte qui se pose » prévient René-Paul Savary, spécialiste des retraites. De là à déposer et adopter une motion préalable, ce qui revient à rejeter le texte d’emblée ? « On verra. Mais rien n’est exclu car c’est un texte complexe dont on n’a pas tous les tenants. Aucune porte n’est fermée aujourd’hui » prévient le sénateur LR. La majorité sénatoriale a déjà pratiqué ce genre de coup politique, que permet la mécanique parlementaire. En 2016, le dernier budget de François Hollande avait été rejeté avant même d’en examiner en détail les articles. Plus récemment, c’est le budget 2020 qui a été directement rejeté en nouvelle lecture, par l’adoption d’une question préalable.
« Une motion d’irrecevabilité peut se poser effectivement. On utilise tous les leviers à notre disposition » confirme aussi la communiste Eliane Assassi, dont le groupe dépose assez souvent des motions sur les textes majeurs. Mais encore une fois, elle attend de voir quelle sera la situation au printemps : « On a cet avantage, par rapport à l’Assemblée, d’avoir plus de recul ».
« Le 49.3, c’est de la nitroglycérine dans cette situation »
Reste que mettre fin aux débats avant même qu’ils n’aient commencé n’est pas sans risque pour le Sénat. « Il peut y avoir une motion de renvoi, d’irrecevabilité, voire même d’inconstitutionnalité, au regard de l’avis du Conseil d’Etat, mais ça repartira directement à l’Assemblée » met en garde Patrick Kanner. La Haute assemblée rendrait ainsi copie blanche, laissant aux seuls députés la possibilité de façonner le texte. « On pourra avoir un coup de menton au Sénat avec des procédures, mais une fois qu’on aura fait ça, l’Assemblée s’en lavera les mains » résume l’ancien ministre socialiste.
Quant au 49.3, Patrick Kanner ne le souhaite pas. « Je déconseille l’utilisation du 49.3 à l’Assemblée, ou du vote bloqué au Sénat. Ce serait vraiment rallumer le feu. Ça laisserait des traces indélébiles contre le texte et renforcerait la verticalité. Ça montrerait aussi le corner dans lequel s’est mis le gouvernement. Mais le 49.3, c’est de la nitroglycérine dans cette situation. S’ils jouent le coup de force, je dis "attention danger" ».