Face à l’envolée des cas de covid-19 sur le territoire, le gouvernement veut intensifier les contrôles, pour s’assurer du respect des restrictions en cours. Ce mardi, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a envoyé une instruction à l’ensemble des préfets de France exigeant une application « stricte » des mesures sanitaires. Il a notamment rappelé aux représentants de l’Etat l’interdiction de se rassembler à plus de six personnes en extérieur. « Les forces de l’ordre verbaliseront les faits caractérisés d’abus de la règle », a expliqué le ministère, tout en faisant preuve de « discernement et de bon sens ».
L’interdiction s’applique à l’ensemble du territoire, et pas seulement dans les 16 départements qui font l’objet de « mesures de freinage renforcé » depuis le 20 mars, et qui pourraient être rejoints dans les jours à venir par de nouveaux territoires. Les contrevenants à cette règle s’exposent à une amende de 135 euros.
Interdiction « sur la voie publique ou dans un lieu ouvert au public », mais seulement une recommandation pour les domiciles
Sur quelle base légale repose l’interdiction ? Elle est loin d’être nouvelle. Elle a été introduite à l’échelle nationale par le décret du 29 octobre 2020. Certains départements étaient concernés dès le 16 octobre. Selon son article 3, « les rassemblements, réunions ou activités sur la voie publique ou dans un lieu ouvert au public autres que ceux mentionnés au II mettant en présence de manière simultanée plus de six personnes sont interdits ». Le décret en question a été pris dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, qui permet au gouvernement de prendre ce type de mesure de police. L’état d’urgence sanitaire a été prolongé le 15 février jusqu’au 1er juin, rappelons-le.
L’interdiction de ces réunions à plus de six personnes sur la voie publique et dans l’espace public ne s’applique cependant pas dans un certain nombre d’exceptions. Selon le décret, les manifestations déclarées, les réunions ou activités professionnelles, les cérémonies funéraires dans les cimetières (dans la limite de 30 personnes), les cérémonies publiques ou les transports ne sont pas concernés. C’est aussi le cas des « établissements recevant du public dans lesquels l’accueil du public n’est pas interdit » ou encore le cas des familles nombreuses. Le ministère chargé des Sports indique par ailleurs que la pratique sportive en plein air fait fi de la jauge de six dès lors que l’activité est encadrée.
A l’intérieur, la « règle des six » n’est pas illégale (relire notre article) : les forces n’ayant aucun pouvoir d’intervenir, sauf en cas de tapage nocturne par exemple. Et le Conseil constitutionnel, dans une décision rendue le 11 mai 2020, avait indiqué que les dispositions de l’urgence sur les établissements recevant du public « ne s’étendent pas aux locaux à usage d’habitation ».
La présence supérieure à six est cependant déconseillée par le gouvernement. Comme les gestes barrières et la distance physique, elle fait partie des recommandations sanitaires régulièrement répétées. Dans les 16 départements confinés, l’exécutif préconise même désormais de plus inviter de personnes dans son domicile. « Aujourd’hui, la logique, c’est chacun chez soi ou alors dehors », expliquait dimanche sur BFMTV Gabriel Attal, le porte-parole du gouvernement. Cette règle, le gouvernement en a d’ailleurs fait un slogan : « dedans avec les miens, dehors en citoyen ».
« C’est un peu de l’affichage », considère un médecin, spécialiste en santé publique
L’offensive du ministère de l’Intérieur pour empêcher les rassemblements à l’extérieur intervient après les images d’un carnaval non autorisé dans les rues de Marseille, la semaine dernière. Environ 6 000 personnes s’étaient jointes à l’évènement. De quoi empêcher les rassemblements jusqu’à sept personnes en extérieur ? « C’est un peu de l’affichage. C’est plus inspiré par une crainte de sécurité publique, pour éviter des réunions comme le carnaval ou une trop grande concentration de personnes », estime Jean-Pierre Thierry, médecin en santé publique. Il nous indique que dans cette troisième vague ascendante, la mesure est loin d’être la plus déterminante.
« La plupart des contaminations se font à l’intérieur, notamment avec le variant, dans les lieux professionnels, en interfamilial, et dans les lieux d’enseignement. Si on veut taper sur 95 % des contaminations – hors cas du carnaval – le freinage du pic épidémique se fera avec le télétravail, des restrictions de circulation, et certainement des fermetures de collèges et lycées. »
Selon une récente étude publiée par l’Institut Pasteur, rendue publique le 1er mars, les contaminations en extérieur arrivent loin derrière comme situation à risque. « L’analyse de plus de 10 000 contacts uniques extra-domiciliaires à l’origine d’une infection montre que ce contact a eu lieu à l’intérieur fenêtres fermées dans 80 % des cas, à l’intérieur fenêtres ouvertes dans 15 % des cas, et à l’extérieur dans 5 % des cas », peut-on y lire.
Pour Jean-Pierre Thierry, après la communication enjoignant les Français à privilégier les activités à l’extérieur, le risque est grand qu’on « n’y comprenne plus rien ». « Ma préoccupation, c’est que ça peut être vu comme une injonction contradictoire », s’inquiète-t-il. L’interdiction des rassemblements de plus de six personnes en extérieur est aussi une solution curieuse pour le docteur Jérôme Marty, président de l’Union française pour une médecine libre. « Les rassemblements de plus de 6 personnes à l’EXTERIEUR interdits. Envie de hurler, l’impression de vivre tous les jours les mêmes erreurs. Rien ou presque n’est fait pour l’intérieur, le #coronavirus y trône et on regarde ailleurs ! » s’étrangle-t-il sur Twitter.
« Le système de la contravention à 135 euros, beaucoup s’en moquent un peu », considère un représentant de la police
La règle des six en extérieur agace aussi chez les forces de l’ordre. « Je suis très sceptique sur les mesures annoncées, l’impact sur le travail des collègues et les relations avec la population », réagit Denis Jacob, secrétaire général d’Alternative Police CFDT. Le représentant syndical estime que cette chasse aux groupes en extérieur – le gouvernement a annoncé un renforcement des contrôles – se fera au détriment d’autres missions et interventions de police. En clair : beaucoup d’efforts, pour peu de résultats sur la courbe épidémique. « Le système de la contravention à 135 euros, beaucoup s’en moquent un peu. Dans d’autres pays européens, le montant est suffisamment dissuasif pour que les gens respectent les règles », observe le policier.
A l’approche d’un week-end printanier, Denis Jacob redoute également l’agressivité d’une part de la population. « On passe à une vitesse qui est la fermeture, rien que la fermeture. Je crains que ça bloque et que la police serve de punching-ball. » « L’idée aurait été plus simple d'avoir un confinement total pendant un mois », lâche-t-il.