Revalorisation salariale des enseignants : nécessaire, mais pas suffisante pour les sénateurs
Alors qu’elle lançait sa campagne présidentielle, la proposition d’Anne Hidalgo de doubler les salaires des enseignants fait polémique. Au Sénat, au-delà de la formule, la nécessité d’une revalorisation salariale pour une profession « maltraitée », semble faire l’unanimité. Mais les sénateurs veulent aller plus loin et appellent à une refondation en profondeur du système scolaire.

Revalorisation salariale des enseignants : nécessaire, mais pas suffisante pour les sénateurs

Alors qu’elle lançait sa campagne présidentielle, la proposition d’Anne Hidalgo de doubler les salaires des enseignants fait polémique. Au Sénat, au-delà de la formule, la nécessité d’une revalorisation salariale pour une profession « maltraitée », semble faire l’unanimité. Mais les sénateurs veulent aller plus loin et appellent à une refondation en profondeur du système scolaire.
Louis Mollier-Sabet

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« There is no such thing as bad publicity » (« il n’y a pas de mauvaise publicité ») disent les Anglo-Saxons. On l’espère en tout cas pour Anne Hidalgo qui a largement fait réagir, mais n’a pas convaincu – c’est le moins que l’on puisse dire – en lançant ce week-end une de ses premières propositions de campagne : doubler le salaire des enseignants. Au sein même de son propre parti, Stéphane Le Foll, seul concurrent déclaré à la candidature socialiste de la maire de Paris, est assez dur sur ce lancement de campagne : « Il n’y a rien de pire que de commencer par une mesure catégorielle. » La mesure semble faire l’unanimité contre elle : Jean-Michel Blanquer y voit « le sommet de la démagogie », à droite on critique une irresponsabilité budgétaire et même à gauche, Jean-Luc Mélenchon préfère « mettre le paquet sur les créations de poste » parce que « promettre le doublement des salaires, c’est mentir. »

« C’est inadmissible que nos enseignants, mais aussi nos soignants ou nos policiers, soient aussi peu payés »

Pourtant, ce matin, Anne Hidalgo et ses soutiens ont tenté de faire le service après-vente en défendant une mesure de « revalorisation » à la fois salariale et symbolique. David Assouline, sénateur PS de Paris et proche d’Anne Hidalgo s’interroge par exemple : « À partir du moment où l’on considère qu’un métier est exemplaire pour notre jeunesse et pour la société », comment le payer « aussi mal – à peu près 2000 euros brut par mois pour commencer alors qu’en Allemagne c’est deux fois plus ? ». Petite précision par rapport à ce week-end quand même, ce doublement des salaires se ferait « progressivement sur 5 ans. »

Sur France Inter, la maire de Paris persiste et signe en élargissant même ces revalorisations salariales à d’autres fonctionnaires, mais aussi au secteur privé : « C’est inadmissible que nos enseignants, mais aussi nos soignants ou nos policiers, soient aussi peu payés. […] J’ai aussi des propositions pour les travailleurs du secteur privé. »

Jean-Michel Blanquer, avance un « coût cumulé de 150 milliards » sur le quinquennat, mais pour David Assouline, ce n’est pas un problème à l’heure du « quoi qu’il en coûte » : « Il y a les milliards que l’on trouve d’un coup alors qu’on nous avait dit ‘attention le déficit, les 3 % …’ parce qu’à un moment donné on est face à une crise, une pandémie. Tout ne s’est pas écroulé. »

« C’est la campagne électorale, cela fait partie du jeu »

Au Sénat, on s’amuse plutôt de cette formule « à l’emporte-pièce », même à droite, comme l’explique le sénateur LR Max Brisson : « Prendre le problème par le petit bout de la lorgnette, à travers une formule choc, est une illustration parfaite des effets pervers de ce que sont devenues les campagnes présidentielles où pour lancer ou installer une candidature on recherche une formule qui va faire le buzz. C’est la campagne électorale, cela fait partie du jeu, elle ne sera pas la seule. » Il est rejoint par sa collègue de la majorité sénatoriale, la sénatrice centriste Catherine Morin-Desailly qui voit une certaine « démagogie » dans cette « annonce tonitruante. »

Une revalorisation substantielle des enseignants est une absolue nécessité

Au-delà de la formule, Max Brisson reconnaît qu’une revalorisation « substantielle » des enseignants est « une absolue nécessité ». Mais le sénateur des Alpes-Maritimes préférerait concentrer cette augmentation des traitements sur les professeurs les plus jeunes : « C’est là que nous sommes en dessous des autres pays comparables à la France, cela va mieux sur les fins de carrière. » Pierre Ouzoulias, sénateur communiste va même plus loin : « On ne peut pas être contre une revalorisation des traitements, c’est une évidence. Les enseignants en France font partie des plus mal payés d’Europe. » Une revalorisation unanimement nécessaire donc, mais bien loin d’être suffisante pour revaloriser une profession en crise.

« Un bizutage institutionnel et une maltraitance » des enseignants

Le constat est partagé, le salaire ne suffit pas. La réponse à apporter en revanche, reste politique. Dans la majorité sénatoriale, Catherine Morin-Desailly plaide pour une « réflexion profonde sur le statut » des enseignants, qui « va de pair avec le salaire et la considération. » La sénatrice centriste, ancienne enseignante, poursuit : « On a toujours voulu réformer l’Education nationale sans les professeurs. » Max Brisson en appelle lui aussi à une « refondation » de la « gestion des ressources humaines » dans l’Education nationale, trop tributaire de l’ancienneté.

Dans l’Education nationale, il n’y a pas de ressources humaines

En fait, ce qui est en jeu pour le sénateur LR, c’est l’attractivité générale du métier et des carrières : « La rémunération n’est pas le seul facteur d’attractivité : on doit repenser tout le système des affectations qui conduit les plus jeunes à être nommés aux postes les plus difficiles. » Max Brisson dénonce un « bizutage institutionnel » et une véritable « maltraitance » des professeurs dans la gestion des affectations de début de carrière. Après les premières affectations, c’est l’absence de perspectives de formation ou de mobilité professionnelle qui plombe l’attractivité de la carrière d’enseignant pour Catherine Morin-Desailly : « Il faut aussi travailler aux évolutions et aux perspectives de carrière, dans l’Education nationale où tout le monde est nivelé. Ayant été enseignante pendant 20 ans, j’ai vécu l’absence de perspectives d’évolution et de ressources humaines. »

Alors, au-delà de la revalorisation salariale, comment faire pour rendre le métier d’enseignant plus attractif ? Pour le sénateur LR Max Brisson, il faut aller vers une gestion plus « déconcentrée » de l’Education nationale, c’est-à-dire toujours gérée par l’Etat mais à des échelles territoriales plus fines, afin de « réfléchir sur des effectifs à dimension humaine ». « Les meilleures intentions s’épuisent avant d’arriver dans les collèges de mes vallées pyrénéennes », regrette ainsi le sénateur des Alpes Maritimes, qui préconise diverses mesures pour ne pas se fonder uniquement sur l’ancienneté dans l’affectation des enseignants et rendre les carrières plus attractives : profilage des postes, contractualisation des affectations, annualisation des services ou encore académisation des concours. Tout cela « sans remettre en cause les statuts et la dimension nationale des programmes » bien entendu.

« Pour agir sur l’Ecole, il faut agir sur la politique de la ville »

Une garantie qui ne rassure pas Pierre Ouzoulias, sénateur communiste, loin s’en faut : « La droite veut un directeur chef d’entreprise qui va chercher ses ressources humaines comme il veut. Pour eux, la seule solution c’est de tout transformer selon le modèle de l’entreprise. C’est une déconstruction de la notion même de l’Ecole républicaine. » Le sénateur des Hauts-de-Seine soutient lui aussi une « réponse structurelle » qui ne s’arrête pas à la revalorisation salariale, mais défend des investissements dans la politique de la ville : « Pour agir sur l’Ecole, il faut agir sur la politique de la ville. » Pour Pierre Ouzoulias, c’est là que le bât blesse du côté des propositions d’Anne Hidalgo : « Dans un projet présidentiel la question principale n’est pas celle du salaire, c’est ce que nous voulons pour l’Ecole de la République. Répondre par la feuille de paye bien sûr, mais sur le reste Mme Hidalgo est un peu sèche. »

Il faut réfléchir à la carte scolaire et créer des logements sociaux

Le sénateur communiste « renverserait » le problème : « Pourquoi alors que les enseignants français sont les plus mal payés d’Europe, il y en a encore pour faire ce métier ? C’est parce que l’Ecole de la République était un projet républicain collectif d’émancipation et de promotion sociale. » Le vrai problème de l’attractivité du métier d’enseignant serait ainsi les conditions qui permettent aux professeurs de mener à bien cette mission, et pas seulement le salaire. La réponse passe donc par « plus de mixité sociale » : « Il faut réfléchir à la carte scolaire et créer des logements sociaux là où il n’y en a pas assez. Je suis élu des Hauts-de-Seine, il y a des communes où ils n’ont pas de problème à l’école : ils ont mis à la porte tous les pauvres et ceux qui restent sont d’un milieu social qui fait qu’ils sont très bons à l’école. »

Or sur cette question, Pierre Ouzoulias semble mettre en doute la volonté politique de la maire de Paris : « C’est un dossier énorme, et ça ne m’étonne pas que Mme Hidalgo sèche un peu, parce que sur la mixité sociale, elle n’est pas la mieux placée. » Des pistes aussi différentes que la « refondation » de l’Ecole républicaine semble unanimement nécessaire. « La campagne présidentielle aura peut-être le mérite de faire émerger ces débats au-delà des formules » espère timidement Pierre Ouzoulias.

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