Paris : QAG Government question session

Revenu minimum pour les agriculteurs : la proposition choc d’Éric Ciotti fait flop dans son propre camp

Le patron des Républicains, Éric Ciotti a émis la proposition de verser un revenu minimum de 1 500 euros pour les agriculteurs, financé notamment par des sanctions contre les distributeurs qui ne respectent pas la loi Egalim. Au Sénat, les élus LR rejettent une mesure « sans aucune pérennité » et « à contrepied » de ce que le parti préconise depuis plusieurs années.
Simon Barbarit

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Éric Ciotti a-t-il mis la charrue avant les bœufs en proposant la mise en place d’un revenu minimum pour les agriculteurs ? A écouter les réactions des sénateurs LR, on pourrait le croire. Alors que les agriculteurs n’ont pas été pleinement satisfaits par les premières annonces de Gabriel Attal et entament un blocage de Paris, le patron des Républicains a appelé à la mise en place « d’un dispositif d’accompagnement financier des agriculteurs qui vivent sous le seuil de pauvreté ». « Aucun agriculteur ne doit gagner moins de 1 500 euros net par mois », a-t-il déclaré dans le JDD. Éric Ciotti préconise de financer la mesure en « sanctionnant fortement les distributeurs qui ne respectent pas la loi qui garantit un prix minimum aux productions agricoles » et en supprimant « certaines aides dépensées à perte, notamment pour la politique de la ville ».

« C’est opposer les urbains aux ruraux »

De quoi interloquer la vice-présidente LR du Sénat, Sophie Primas. « C’est une idée qui est à contrepied de ce que nous défendons et c’est très éloigné des demandes des agriculteurs. Et quand je lis qu’Éric Ciotti propose de financer en partie cette mesure en prenant sur la politique de la ville, c’est opposer les urbains aux ruraux. On viendrait ponctionner la politique de la ville parce que des petits ‘’sauvageons’’ ont dégradé leur quartier ? Non, ce n’est pas l’objectif de notre famille politique. Nous devons faire Nation. Quant à l’autre partie du financement qui proviendrait des amendes sur la grande distribution qui ne respecte pas la loi, elle n’aurait aucune pérennité. Si des entreprises ne respectent pas la loi, elles doivent être sanctionnées, mais il faut arrêter de placer en permanence les différents acteurs de l’alimentation dans le conflit », tance-t-elle.

Pascale Gruny (LR) vice-présidente LR de la commission des affaires sociales, s’étonne également de la proposition du président des Républicains. « Je comprends ce que veut dire Éric Ciotti, il y a urgence à s’occuper du revenu des agriculteurs. Mais accepter un SMIC agriculteurs, ce n’est pas du tout dans leur ADN. Les agriculteurs demandent à vivre de leur activité. Ils vivent déjà très mal qu’on les qualifie de fonctionnaires de la PAC. Et je vois dans mon département, l’Aisne, que c’est déjà très compliqué pour ceux qui ont des difficultés, d’aller faire une demande de RSA ».

La droite sénatoriale opposée à « une agriculture de l’assistanat »

L’idée d’Éric Ciotti ne figure d’ailleurs pas dans la proposition de loi tendant à répondre à la crise agricole, déposée le 24 janvier, par le sénateur de la Haute-Loire, Laurent Duplomb, le monsieur agriculture de la droite sénatoriale. La semaine dernière, interrogé par publicsenat.fr, Laurent Duplomb dénonçait au contraire « une agriculture de l’assistanat », représentée selon lui, « par tous ceux qu’on a installés sous des images bucoliques, qui cultivent 3 000 m2 de permaculture en altitude, qui ont accepté les aides et récupéré le RSA ».

Alors pourquoi Éric Ciotti s’est-il autorisé cette sortie des sentiers battus de son parti ? Pascale Gruny esquisse un début de réponse. « Si Les Républicains n’envoient pas des messages forts, ce sont les autres partis qu’on écoute ».

« J’imagine qu’Éric Ciotti doit chercher des idées intéressantes pour renverser la table parce que Les Républicains n’existent pas dans le débat actuel. Mais cette mesure-là, ne tient pas la route », estime Jean-Marie Séronie, agro économiste indépendant, membre de l’académie de l’agriculture et auteur de « 2041, l’odyssée paysanne – Pour la santé de l’homme et de la planète (ed. France Agricole). « Economiquement, fixer un revenu minimum, ça ne tient pas parce que les agriculteurs sont des chefs d’entreprise. Deuxièmement, il existe déjà des fonds sociaux. Selon les chiffres de l’Insee, il y aurait actuellement 18 % des agriculteurs qui vivraient sous le seuil de pauvreté. Ce qui représente 70 à 80 000 personnes. Or, seulement 11 000 agriculteurs touchent le RSA et 40 000 touchent la prime d’activité. Ça veut dire que les mécanismes sociaux ne sont pas suffisamment mis en œuvre car il y a un frein psychologique de la part des agriculteurs à demander des aides. Les agents de la MSA et les chambres de l’agriculteur ont un travail de recensement à faire pour sortir ces personnes de la difficulté. Et troisièmement, on ne peut pas opposer l’agriculture à la grande distribution car L’une est cliente de l’autre et vice versa », ajoute-t-il.

« Faire respecter le coût de la matière agricole »

En effet, si la majorité sénatoriale s’accorde pour fixer la sécurisation du revenu des agriculteurs comme l’une des priorités pour répondre à la crise actuelle, les mesures mises en avant visent « à faire respecter le coût de la matière agricole », comme l’indique la sénatrice, Anne-Catherine Loisier (rattachée au groupe centriste), qui a été corapporteure de la loi Egalim I. Ce texte de 2018 relève de 10 %, le seuil de revente à perte sur les denrées alimentaires et oblige, en théorie, la distribution à mettre fin à la revente à prix coûtant. « Ce contrat vertueux ne tient plus puisqu’un système de contournement a été mis en place par les grandes enseignes qui ont développé des centrales d’achat à l’étranger. Ce qui leur permet d’imposer aux industriels des contrats d’achats qui répondent à la législation du pays où elles sont domiciliées, tout en empochant le seuil de revente à perte. Ça représente 600 millions d’euros chaque année pris dans la poche du consommateur qui ne revient pas aux agriculteurs », explique Anne-Catherine Loisier.

L’article 1 de la proposition de loi de Laurent Duplomb entend justement « renforcer la transparence et les sanctions concernant le contournement du droit français des négociations commerciales par le recours à des centrales d’achat basées à l’étranger ».

Le Premier ministre a déjà annoncé que « dans les prochains jours », que le gouvernement allait « sanctionner très lourdement trois entreprises » qui ne respectent pas les lois Egalim. Gabriel Attal a également promis un renforcement des contrôles et une « pression maximale » sur les négociations en cours.

Enfin, la droite sénatoriale plaide pour la mise en place rapide de la réforme des retraites des agriculteurs, issue d’une proposition de loi des députés LR adoptée définitivement par le Parlement l’année dernière et qui prévoit un calcul des pensions sur les 25 meilleures années et non plus sur l’intégralité d’une carrière. « Cette réforme participe à la stabilité des revenus des agriculteurs. Avec les aléas climatiques, c’était une question de bon sens de calculer la retraite sur les 25 meilleures années. La proposition de loi prévoyait que le gouvernement fixe les modalités de la réforme dans un rapport sous trois mois. Au Sénat, on a adopté le texte conforme pour aller vite en février 2023. Et ce rapport, nous l’attendons toujours », s’impatiente Pascale Gruny qui fut co-rapporteure du texte.

Mise à jour 30 janvier 10h45

Dans un message adressé aux sénateurs LR, Eric Ciotti regrette d’entendre « beaucoup de contrevérités sur (s)a proposition (…) formulée en 2 lignes dans le JDD pour lutter contre la précarité et répondre à la détresse de nos agriculteurs, et qui reste à finaliser. Je vous rassure tout de suite, il ne s’agit en aucun cas d’une allocation, d’un revenu universel ni d’une nouvelle forme d’assistanat. Ma conviction c’est que notre famille politique doit être celle qui favorise le travail plutôt que le non-travail. Celle qui se bat pour que le travail paye, et paye toujours davantage que l’assistanat », assure-t-il.

Afin d’assurer un revenu décent aux agriculteurs à moyen terme, il rappelle les mesures défendues par le parti: « davantage d’aides de la PAC », « baisse de la fiscalité et des charges », « pause normative et réglementaire au niveau français et européen et suppression de 100 % des normes européennes surtransposées en droit français », « abrogation des dispositifs du Pacte vert européen », ou encore « un moratoire et  des renégociations des accords de libre-échange qui ne prennent pas en compte la réciprocité ».

« Il nous faut aussi répondre à court terme à la question de leurs revenus et la mesure que j’évoquais consiste, provisoirement et dans une situation de crise grave, à soutenir le revenu des agriculteurs les plus pauvres de façon à ce qu’ils ne quittent pas la profession alors que nous avons besoin d’eux pour reconstruire notre souveraineté alimentaire ! C’est un investissement pour la France ! Avec notre contre-budget, nous avions identifié jusqu’à 25 milliards d’économies annuelles, nous pouvons par conséquent gager le financement de ce type de mesure d’urgence. C’est bien le minimum que notre pays doit à ses agriculteurs qui le nourrissent, contribuent à la défense de sa souveraineté et font vivre notre ruralité », conclut-il.

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