La réforme des institutions avec ou sans le Sénat ? Tenter le référendum ? La révision constitutionnelle voulue par Emmanuel Macron à l'été fait phosphorer à tous les étages et met le Parlement en ébullition, dans l'attente des arbitrages de l'exécutif.
Dans la "transformation" projetée par l'exécutif, les grandes lignes martelées sont moins de parlementaires, pas plus de trois mandats dans le temps, dose de proportionnelle, réforme du Conseil supérieur de la magistrature, suppression de la Cour de justice de la République, plus grande liberté d'administration pour les collectivités.
La Corse, où se rend Emmanuel Macron mardi, pourrait éventuellement s'y ajouter. Ou d'autres sujets ?
2018 "ne peut pas être l'année des divisions, des petits calculs", a lancé le président il y a quelques jours devant les corps constitués, exhortant à "renouer avec le goût du risque" et souhaitant réduire de "quasi la moitié" le nombre des membres du Cese (Conseil économique, social et environnemental), censé devenir une "chambre du futur".
Ces paroles ont pu avoir une résonance particulière pour le président du Sénat. Gérard Larcher (LR), qui peut freiner voire bloquer la réforme, a livré fin janvier 40 propositions et confirmé des lignes rouges, notamment l'opposition à "l'interdiction du cumul dans le temps".
Le président de l'Assemblée François de Rugy (LREM) avait présenté auparavant sa copie, inspirée de groupes de travail transpartisans, et suggérant une accélération de la procédure législative, un droit de pétition revu, ou la neutralité du net.
Les têtes des deux chambres se verront jeudi.
- "Poker menteur" -
François de Rugy, pour qui l'alternative d'un référendum n'est "pas un tabou", a invité les sénateurs à ne pas être "serial bloqueurs" et prévenu que "notre esprit réformateur", "nous ne l'abdiquerons pas".
Au-delà du "poker menteur" actuel, "la droite ne nous fera pas de cadeau", pensent certains LREM.
Gérard Larcher, "un peu maquignon, a envie d'un accord" mais s'est peut-être durci vu des évolutions internes, selon un ténor de la majorité. Et "tient-il le Sénat" ou les clés sont-elles davantage côté Bruno Retailleau, patron du groupe LR, et côté Laurent Wauquiez.
La garde des Sceaux Nicole Belloubet a indiqué "étudier" les propositions des assemblées "pour voir (...) les marges de divergence et points d'accord".
Le texte gouvernemental doit être soumis rapidement au Conseil d'Etat pour une présentation en Conseil des ministres mi-mars. Le projet de loi arriverait à l'Assemblée début mai, au Sénat début juin, de source parlementaire.
"Viendra le moment de vérité, sur la capacité des chambres à s'accorder", pronostique-t-on. La voie "normale" de révision, suivant l'article 89 de la Constitution, prévoit l'adoption d'un texte identique, puis une majorité des 3/5e des suffrages exprimés du Parlement en Congrès.
Une autre voie agite politiques et juristes : le recours à l'article 11, par lequel peut être soumis à référendum "tout projet de loi" sur "l'organisation des pouvoirs publics", utilisé par Charles de Gaulle pour l'élection du président au suffrage universel en 1962 -ce qui avait déclenché un conflit avec le président du Sénat Gaston Monnerville.
La ministre de la Justice a envisagé l'hypothèse de l'article 11 pour introduire la proportionnelle aux législatives, le nombre de parlementaires et le non-cumul dans le temps, sujets pouvant potentiellement passer par des lois organiques ou simples, sans réviser la Constitution. Selon Mme Belloubet, "nous utiliserons tous les outils qui sont dans la boîte à outils".
Le président du MoDem François Bayrou a exhorté Emmanuel Macron à "ne pas céder" ou renoncer à la réforme, ne voyant "pas de risque" à recourir à un référendum, "l'instrument absolu d'une démocratie".
Il y aura "tous les étages" de la fusée, pronostique une source gouvernementale : Congrès sur les points convergents (CSM, CJR...), référendum sur les points bloquants, et lois.
Face aux multiples scénarios, les élus des oppositions s'accordent pour réclamer que la case Parlement ne saute pas. Un référendum direct serait "un acte monarchique", selon le président de l'UDI Jean-Christophe Lagarde. Cette "tentation", sur "une base teintée d’antiparlementarisme", est "dangereuse", pour la chef de file des sénateurs communistes Eliane Assassi.
"Ce serait assez gonflé", juge un élu de la majorité.