Senat- Questions au gouvernement
Stephane Lemouton/SIPA

« Sa détermination reste totale » : de retour au Sénat, Bruno Retailleau retrouve sa « base arrière »

L’ancien ministre de l’Intérieur fait son retour au Sénat, après que les LR ont claqué la porte du gouvernement. Si certains y ont vu une sortie ratée, ses soutiens estiment au contraire que les événements lui donnent raison. Bruno Retailleau, qui se représentera aux sénatoriales de septembre 2026, se partagera entre la Haute assemblée et la présidence du parti. Il entame un tour de France et a lancé un « travail de fourmi » pour préparer le projet de 2027.
François Vignal

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Il est de retour à la maison. Bruno Retailleau retrouve ses habits de sénateur ce mercredi, à minuit. C’est la règle. Un mois après son départ tonitruant du gouvernement, il peut de nouveau siéger à la Haute assemblée, dès demain, jeudi.

C’est par un message laconique, sur X, le dimanche 5 octobre, à 9h22, que l’ancien ministre de l’Intérieur déclenche le mouvement qui mènera les LR à quitter officiellement l’aventure gouvernementale. « La composition du gouvernement ne reflète pas la rupture promise », dénonce le Vendéen. La suite, c’est un gouvernement Lecornu II, avec quelques LR, vite suspendus par le parti, une petite cure médiatique, avant un retour sur le devant de la scène. Un retour qui passe par la case Sénat, pour le président des LR dont les ambitions pour 2027 sont demeurées intactes.

« Son retour au Sénat est un atout »

Il revient en terrain conquis. « Au Sénat, ça va se passer tranquillement son retour. On un groupe totalement aligné à 90 % sur Bruno Retailleau », rappelle Marc-Philippe Daubresse, sénateur LR du Nord. Il retrouvera évidemment Gérard Larcher. Bruno Retailleau a d’ailleurs déjeuné avec le président LR du Sénat, ce mercredi.

Alors qu’il a présidé le groupe UMP puis LR, de 2014 à 2024, il ne reprendra pas le poste laissé à Mathieu Darnaud. « Les deux hommes ont suffisamment de respect, d’amitié, pour se passer le ballon de manière efficace », soutient Max Brisson, sénateur LR des Pyrénées-Atlantiques, « ça va être assez fluide ». Lors du départ de Bruno Retailleau pour le gouvernement Barnier, en 2024, l’idée que Mathieu Darnaud lui rende le fauteuil était pourtant évoquée, en cas de retour… « Ça n’a jamais été l’idée. Il ne va pas dire, pousse-toi de là, que j’m’y mette », corrige son entourage, « mais ce qui avait été dit, c’était si le gouvernement tombait tout de suite, là il revenait ».

A écouter ses soutiens, son retour au Sénat tombe finalement plutôt bien, dans la période. « Le Sénat sera très important. Il adore la vie parlementaire, il va s’impliquer », assure un proche. Comme dit le sénateur LR de l’Oise, Olivier Paccaud, « il pourra avoir les mains dans la tambouille législative. Ce sera une bonne chose pour lui », alors que beaucoup se joue au Parlement. « Le gros intérêt pour Retailleau de revenir au Sénat, c’est que tout ce qu’il va proposer pourra s’appuyer par des propositions de loi », soutient Marc-Philippe Daubresse, qui ajoute que « Bruno Retailleau a avec le Sénat une base arrière, avec des personnes compétentes sur tous les sujets. Son retour au Sénat est un atout ».

« Sa présidence du parti prend beaucoup de place, donc il sera moins au Sénat qu’il ne l’était avant, c’est sûr »

Mais auréolé de son image d’ex-ministre de l’Intérieur et de président des LR, l’ancien président de groupe n’abordera plus les choses comme avant. « Il fera quelques interventions politiques au Sénat, sur des sujets clivants, sur les débats qui vont arriver. Mais il n’aura pas la même activité qu’avant au Sénat. Il va cranter des sujets sur la dette, le déficit, l’accord Franco-algérien, etc », imagine Marc-Philippe Daubresse. « Il sera une voix qui compte. Aujourd’hui, sa présidence du parti prend beaucoup de place, donc il sera moins au Sénat qu’il ne l’était avant, c’est sûr », confirme son entourage, mais « le Sénat lui permettra d’être dans le coup, le tempo de la discussion parlementaire ». Et s’il restait plus ou moins dans son couloir de nage à l’Intérieur, il pourra maintenant « se préoccuper de tous les sujets », souligne un cadre du parti, qui pense que « son retour comme sénateur lui laisse une grande liberté ».

Un retour à la Haute assemblée qui tombe au passage un an avant les élections sénatoriales de septembre 2026, où son département de Vendée sera renouvelable. « Son mandat est remis en jeu en septembre 2026. Il va se représenter », confie un proche, même si l’annonce ne surprendra personne.

« Avoir des séquences en proximité avec des Français »

Pour repartir à l’offensive, le sénateur LR de Vendée s’est exprimé dans le JDNews, début novembre, et sur BFMTV, après une certaine discrétion médiatique. Le président des Républicains entame surtout son « tour de France », à la rencontre des militants et des Français. Après une première étape, à Bry-sur-Marne (Val-de-Marne), jeudi 6 novembre, il sera à Lille ce jeudi.

« Le tour de France est fait pour bâtir un projet pour les LR, un projet pour 2027 », explique-t-on au parti, et « il le fait sans caméra ». Le tout avec « un double objectif », ajoute un proche, « la conduite du parti, dans l’optique des municipales. Et ça lui permet aussi d’avoir des séquences en proximité avec des Français. Il voit des soignants, des agriculteurs, des chefs d’entreprise ». Le même ajoute :

 C’est ce qui avait beaucoup aidé Fillon à construire son projet. La difficulté de construire un projet politique depuis Paris, c’est d’avoir un truc parfois hors sol. Les inquiétudes du pays et des gens, ça ne se voit pas sur des notes. Le ministère isole. Là, il peut vraiment s’imprégner. 

Un proche de Bruno Retailleau.

Tour de France, projet : « Il fait ce que faisait Nicolas Sarkozy juste avant 2007 »

Autre point important : des groupes de travail thématiques pour préparer le projet. Tour de France, travail en profondeur… La stratégie – qui reste classique – rappelle à Marc-Philippe Daubresse un ancien président de l’UMP, devenu président de la République. « Il fait ce que faisait Nicolas Sarkozy juste avant 2007 », selon l’ancien ministre. « C’est vrai », reconnaît son entourage, qui explique : « Là, Bruno Retailleau a passé une commande : une quarantaine de groupes thématiques, pour trouver des idées nouvelles et des idées qui changent les choses, pas du saupoudrage. La comparaison avec le travail d’Emmanuelle Mignon (chargée du projet pour 2007, ndlr) est bonne. Ce n’est pas juste trois conventions avec trois spécialistes. C’est une quantité de travail programmatique. C’est un travail de fourmi, assez ingrat, sur lequel il faut apprendre à ne pas surcommuniquer ». Aux manettes, on trouve notamment Pierre Danon, sur l’économie, qui était déjà le Monsieur économies pour la campagne de François Fillon. Mais pas de nouvelle Emmanuelle Mignon. C’est « Bruno Retailleau qui chapeaute. Il a des réunions toutes les semaines sur les différents sujets. C’est vraiment son truc, il avait beaucoup aidé à mettre en musique le projet Fillon », rappelle son entourage.

S’il se tourne vers l’avenir, difficile de ne pas se pencher encore sur le passé récent, à savoir son passage à l’Intérieur et son départ du gouvernement. Pour certains, il aurait loupé sa sortie. Après avoir accepté de partager l’affiche avec les macronistes, partir en raison de la présence de macronistes, entraînant la chute du gouvernement et une nouvelle crise, n’a-t-il pas paru incompris, voire incompréhensible ? « Cette histoire a été racontée par ses adversaires, mais sa sortie n’est pas ratée du tout. Elle était indispensable », soutient-on à la direction du parti, « là, on a basculé dans un gouvernement à la main de la gauche ». Et d’ajouter : « Sa détermination reste totale. Le choix était le choix de la raison et les événements lui donnent raison ».

Un départ « mal compris car brouillon »

Reste que certains reconnaissent que l’opération aurait pu être mieux amorcée. « Quand il y a eu plus de raisons de partir que de rester, ça a été mal compris car c’était brouillon », reconnaît un proche, qui veut voir « sa sortie comme un moindre mal ». Pour un parlementaire, s’il a loupé sa sortie, c’est sur la forme. « Quand ce tweet arrive vers 21 heures, on était nombreux à la prendre avec soulagement. Mais ça aurait pu être autre chose qu’un tweet. Il aurait peut-être valu expliquer davantage les raisons », soutient ce parlementaire LR, qui ajoute : « Il y a eu une précipitation des choses, dans un moment d’émotion ». « Là, il change de casquette. Il est beaucoup moins visible, donc c’est difficile à gérer. Mais c’était difficile de l’anticiper », soutient en autre pro Retailleau.

Mais prendre des coups, montrer un caractère entier, permet aussi de nourrir le récit, dans une réécriture a posteriori. « Je sais que certains se délectent d’annoncer la mort des LR, voir la mort de Retailleau. Au contraire, c’est dans ces moments-là, qui créent des cicatrices, et la capacité de rebondir, que naissent ces hommes d’Etat », avance un sénateur LR.

« Bruno Le Maire, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase »

Si la question de « comment on scénarise le départ » était un sujet de réflexion, la montée des tensions a été en réalité progressive, jusqu’au point de rupture. « La balance commençait à pencher petit à petit. Puis il y a eu le grain de sable qui a fait pencher d’un côté, c’est la nomination du gouvernement », avec le retour de Bruno Le Maire, « l’homme aux milles milliards », qui a crispé tout le monde chez les LR. « Le Maire, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase », résume Marc-Philippe Daubresse.

Sébastien Lecornu n’avait pas annoncé à Bruno Retailleau le retour de l’ancien ministre de l’Economie, quelques heures avant l’annonce officielle, finissant de « rompre la confiance ». Autre raison, moins retenus : le fait que l’ex-ministre n’ait pas eu gain de cause pour que l’Intérieur récupère la gestion des visas avec l’Algérie a aussi beaucoup joué. « Macron avait appelé Retailleau pour lui dire qu’il y aurait une espèce de conseil de défense tous les quinze jours sur ça, un truc foireux », raconte un acteur. Les événements mis bout à bout, « on a compris que Macron était à la manœuvre », précipitant le tweet – qui ne visait d’abord pas le clash mais un moyen de faire « pression sur la seconde vague » de nominations – puis le départ des LR du gouvernement.

« Si on fait la comparaison avec le Retailleau de septembre 2024, il a gagné en notoriété »

Bilan des courses, pas de regret, assurent ses soutiens. « Si on fait la comparaison avec le Retailleau de septembre 2024, il a gagné en notoriété, en image. Il est dans les classements des personnalités politiques », relève le sénateur Max Brisson, « et il a montré qu’il est un homme d’Etat ». Il s’est aussi créé « un réseau de hauts fonctionnaires, qui veulent l’aider », assure un conseiller, qui ajoute évidemment « l’expertise sur le régalien ».

De quoi faire la différence, dans la bataille qui se joue à droite pour la présidentielle ? Encore faut-il se mettre d’accord sur la méthode, primaire ou pas, et si oui, laquelle ? C’est l’un des enjeux pour les mois à venir, avec Xavier Bertrand, David Lisnard et maintenant Laurent Wauquiez – après avoir été farouchement contre – qui militent pour une primaire ouverte.

« Certains évoquent une primaire de Attal à Knafo (c’est-à-dire Reconquête, le parti d’Eric Zemmour, ndlr). Mais est-ce que Attal est d’accord pour faire campagne pour Zemmour par exemple, sachant que la règle est de soutenir celui qui a gagné ? Il faut partir sur des hypothèses réalistes », avance un fidèle de l’ex-ministre de l’Intérieur. Une idée fait son chemin, chez ses soutiens : « Ça peut être une primaire ouverte, organisée par LR, avec une charte des valeurs et un filtre de parrainage, comme celle de 2016, qui peut être élargie aux partis associés. C’est simple à organiser et on ne sait pas faire autrement », défend un proche de Bruno Retailleau. Au bureau politique, des voix se sont même prononcées pour que le président des LR soit de fait le candidat, « il y aurait une forme de logique, il a été élu avec 75 % des voix ». Vu comme ça, c’est plus simple… La méthode pourrait être arrêtée avant les municipales de mars. Mais quelle qu’elle soit, Bruno Retailleau compte bien rester au centre et incarner l’homme fort de la droite.

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